Sida
Prévention : abstinence ou préservatif ?
(Photo : AFP)
Tout le monde s’accorde à dire que la prévention doit être au cœur des programmes de lutte contre le sida. Reste à savoir ce que l’on met derrière ce mot. En règle générale, il s’agit de développer l’éducation, l’information sur la maladie, de donner accès au dépistage et, surtout, d’inciter les populations à utiliser des préservatifs. Car, pour le moment, les rapports sexuels protégés représentent le meilleur moyen d’éviter la contamination… sauf à choisir de ne pas en avoir du tout. Du point de vue des Etats-Unis, cette dernière solution est sans nul doute la meilleure. C’est pour cette raison qu’ils ont mis l’abstinence jusqu’au mariage au cœur de leur stratégie de lutte contre l’épidémie dans les pays du Sud.
La philosophie du Pepfar (plan d’aide d’urgence contre le sida), lancée en 2003 par le président américain George W. Bush, se résume ainsi en trois lettres : A comme «abstain» (s’abstenir), B comme «be faithfull» (être fidèle), C comme «correct and consistent use of condom» (usage correct et cohérent du préservatif). Et ce n’est pas un hasard si le préservatif arrive en troisième position. Il n’est pas prioritaire mais plutôt considéré comme le dernier recours. Certains observent qu’il est présenté par les Américains comme un pis-aller, destiné essentiellement aux prostituées.
Donner satisfaction aux conservateurs
De nombreuses associations de lutte contre le sida estiment que cette stratégie défie le bon sens et nie les faits. Car le préservatif est incontestablement la meilleure arme préventive dont on dispose actuellement puisqu’on sait que 80% des nouvelles contaminations sont dues à des rapports sexuels non protégés et que la séroprévalence est de plus en plus élevée chez les femmes mariées. Les associations mettent l’adoption de cette politique en faveur de l’abstinence à tout prix sur le compte de la volonté de l’administration républicaine américaine d’aller dans le sens des thèses défendues par sa base la plus conservatrice et religieuse. Celle-là même qui conteste le droit à l’avortement aux femmes américaines.
A Toronto, la stratégie en faveur de l’abstinence a donc une nouvelle fois été critiquée. Les associations ont manifesté pour dire leur rejet de cette politique. Jodi Jacobson, directeur exécutif d’une ONG, le Centre pour la santé et l’égalité de sexes, a affirmé qu’elle était «inapplicable dans de nombreuses cultures, notamment en Afrique subsaharienne, où les femmes sont souvent démunies face aux exigences sexuelles de leur conjoint». Elle a ajouté que la volonté de faire de l’abstinence la principale arme préventive contre le VIH était irréaliste puisqu’elle ne tient pas compte du fait que «les gens sont des êtres sexués» et que «le sexe est un aspect de la vie normale».
Stephen Lewis, l’envoyé spécial des Nations unies pour le sida en Afrique, a lui aussi participé à cette mise en cause des Etats-Unis. Il a insisté sur le fait que Washington utilise son plan d’aide pour imposer aux Etats africains la mise en œuvre de programmes qui respectent ses exigences : «Aucun gouvernement dans le monde occidental n’a le droit de dicter une politique aux gouvernements africains quant à la manière de répondre à la pandémie».
Les Etats-Unis se défendent d’imposer quoi que ce soit
Car c’est bien là que se situe le principal enjeu. Le respect prioritaire des critères A et B conditionne l’attribution d’une grande partie des 15 milliards de dollars octroyés à la lutte contre le sida. Le Congrès américain a même clairement demandé au gouvernement qu’un tiers de cette somme serve directement à promouvoir l’abstinence jusqu’au mariage. Lors de la conférence internationale sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles (Cisma) en Afrique, à Abuja en 2005, les ONG qui travaillent sur le terrain ont dressé un bilan des conséquences de l’application de la stratégie américaine. Elles ont mis en garde contre la pression exercée par les Etats-Unis pour obtenir l’adhésion à leur thèse sur la promotion de l’abstinence qui a parfois abouti à délaisser les programmes de distribution des préservatifs ou à exclure certaines catégories de population comme les prostituées. Act Up estime que 90% des bénéficiaires des subsides américains sont des groupes religieux évangéliques liés aux Eglises fondamentalistes américaines pour lesquels le salut ne peut passer que par la virginité. Dans un pays comme l’Ouganda, qui avait pourtant réussi à obtenir de bons résultats dans la lutte contre le sida grâce à la politique en faveur du préservatif, on a observé un revirement depuis 2003 qui est à mettre sur le compte de l’influence américaine.
Du côté des Etats-Unis, on se défend d’imposer quoi que ce soit aux Africains. A Toronto, Mark Dybul, coordinateur américain pour les questions liées au sida, a estimé qu’il était «tout à fait faux» de dire que son pays «insiste de manière excessive sur l’abstinence». Selon lui, ce sont les Africains «eux-mêmes» qui ont «développé» une stratégie incluant cette dimension, «qui s’est montrée efficace». D’autre part, en dehors des critiques qui peuvent être faites sur le volet prévention du plan américain, il ne faut pas oublier que sa mise en œuvre a tout de même permis l’accès au traitement de centaines de milliers de malades du sida des pays pauvres.
par Valérie Gas
Article publié le 15/08/2006Dernière mise à jour le 15/08/2006 à TU