Sida
Drogue, prostitution… et ignorance
(Photo: AFP)
La consommation de drogues injectables est sans aucun doute une porte ouverte à la contamination par le VIH. Et par effet de ricochet, la propagation du virus dans la communauté des toxicomanes représente un danger majeur: celui d’une large propagation de l’infection. Que ce soit en Asie ou en Europe orientale, les deux régions où l’épidémie de sida se développe le plus rapidement, l’Onusida fait le constat du lien entre forte consommation de drogues injectables et contamination. Dans deux grands pays où les ravages du virus sont de plus en plus importants, la Chine et la Russie, on note en effet que la prévalence du VIH parmi les utilisateurs de drogues injectables a fait un bond ces dernières années.
En Chine, le taux d’infection dans cette population a globalement cru depuis 1990. Il atteint aujourd’hui des seuils très inquiétants dans certaines zones du pays. Dans la province du Yunnan, qui fait partie des régions les plus touchées par le sida avec le Henan et le Guangxi, l’Onusida estime que 20% des toxicomanes ont été testés positifs en 2004. En Russie, la situation est encore plus préoccupante car le nombre de consommateurs de drogues injectables pourrait atteindre 1 à 2% de la population totale. Et les toxicomanes représentaient, au début de l’année 2004, 80% des cas d’infection «officiellement notifiés» dans le pays.
«Une masse critique»
Lorsqu’un nombre important de consommateurs de drogues injectables est infecté, on se rend compte que, très rapidement, le VIH peut se propager chez les partenaires sexuels des porteurs du virus, les prostitués (hommes, femmes, transsexuels) qu’ils fréquentent et constituer alors «une masse critique» à partir de laquelle l’infection peut dépasser le cercle des personnes ayant des comportements à haut risque pour atteindre la «population générale». En Russie, l’Onusida note, en effet, que la contamination par voie sexuelle a crû ces dernières années. Elle est passée de 6% en 2001 à 25% en 2004. L’absence d’utilisation des préservatifs par les toxicomanes explique en grande partie cette augmentation. De même qu’elle est à l’origine de l’accroissement de la part des femmes dans les nouvelles infections. Le même phénomène est observé en Chine. Dans ce pays, drogue et prostitution contribuent largement à la propagation de l’épidémie. D’autant plus que les professionnel(le)s du sexe sont eux-(elles) mêmes très souvent drogués et que les toxicomanes ont recours à la prostitution pour gagner de quoi acheter leurs doses.
Cette spirale de la contamination est d’autant plus difficile à contrôler lorsque les personnes concernées sont mal, ou pas du tout, informées sur le sida. Et de ce point de vue, les résultats d’enquêtes et d’études mentionnés dans le dernier rapport annuel d’Onusida sont très révélateurs. Ils permettent de mesurer l’étendue des efforts à faire pour sensibiliser les populations. En Inde, le pays qui compte le plus grand nombre de porteurs du virus dans le monde avec l’Afrique du Sud, 42% des prostituées estiment être capables de savoir si un client est séropositif en fonction de son apparence physique. Et 30% d’entre elles ne savaient pas en 2001 que le préservatif protégeait de l’infection. A Karachi, au Pakistan, une prostituée sur cinq ne savait pas reconnaître un préservatif, les trois quarts ignoraient d’ailleurs qu’il pouvait protéger du VIH, et un tiers n’avait de toute manière jamais entendu parler du sida. Même en Thaïlande, où des progrès significatifs avaient été enregistrés après une grande campagne de prévention, le message en faveur de l’usage du préservatif semble ne pas être durablement passé. Une étude réalisée dans quatre villes, dont Bangkok, a montré que dans 50% des cas les prostituées n’y avaient pas recours. Alors qu’en 2000, elles étaient 96 % à l’utiliser.
Lutter aussi contre la pauvreté
L’ensemble des ces éléments amène donc aujourd’hui Michel Sidibe, directeur du département d’appui aux pays et aux régions de l’Onusida, à constater que la «globalisation» de l’épidémie -au-delà de l’Afrique qui demeure tout de même la région la plus touchée- a engendré une évolution de sa «dynamique». Il estime que celle-ci n’est plus seulement alimentée par le clivage «Nord-Sud» et que le problème se situe aussi aujourd’hui au niveau «de la justice sociale», en ce sens que «la pauvreté devient centrale dans la lutte contre l’épidémie». Au Nord comme au Sud, ce sont les populations les plus fragiles, les plus marginalisées, donc souvent aussi les moins instruites et les plus pauvres qui sont les premières victimes du virus. Et Michel Sidibé de rappeler qu’aux Etats-Unis, une femme noire a douze fois plus de chances d’être contaminée par le sida qu’une femme blanche.
par Valérie Gas
Article publié le 30/11/2005 Dernière mise à jour le 30/11/2005 à 11:12 TU