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Sri Lanka

Muttur, ville fantôme

Dans le camps de Al Aysha, les habitants de la ville de Muttur qui ont fui les combats entre armée srilankaise et guérilla tamoule, habitent dans des tentes en toiles alors que la saison des pluies menace de provoquer des inondations. 

		(Photo : Mouhssine Ennaimi/RFI)
Dans le camps de Al Aysha, les habitants de la ville de Muttur qui ont fui les combats entre armée srilankaise et guérilla tamoule, habitent dans des tentes en toiles alors que la saison des pluies menace de provoquer des inondations.
(Photo : Mouhssine Ennaimi/RFI)

La reprise des combats entre les Tigres de l'Eelam tamoul (LTTE) et l'armée srilankaise dans le nord et le nord-est du Sri Lanka provoque des déplacement de populations. La ville musulmane de Muttur, est déserte. Ses habitants ont quasiment tous fui, la plupart à Kantalai, une ville cinghalaise située à une cinquantaine de kilomètre. Dans la région de Trincomale, l'armée et la rébellion se livrent à des tirs d'artillerie lourde.


De notre envoyé spécial à Kantalai et Muttur

«Si on voulait s'en sortir vivants, il fallait partir très vite!, dit Nafeena Rahim, tunique sale et foulard sur la tête. Cette jeune mère de famille ne cache pas son émotion. Les yeux humides et la gorge serrée, elle tient absolument à témoigner. «Les Tigres de l'Eelam Tamoul sont entrés dans la ville de Muttur et ils ont commencé à tirer. Plusieurs personnes ont été enlevées et exécutées. Nous, nous avons fui et depuis nous habitons ici, dans ce camps». Eprouvée, Nafeena Rahim montre la tente en toile qu'elle partage avec une douzaine d'autres membres de sa famille depuis plus de trois semaines.

Des camps congestionnés

Au camps de Al Aysha, ils sont plus de 2 000 personnes à avoir fui les tirs et les bombes sans même avoir eu le temps de prendre ni sarong, ni saari, ni sandales. La plupart des gens ont parcouru plus de 50 kilomètres souvent à pied, parfois en bus, pour venir se réfugier dans ce collège pour filles à Kantalai. Une voix grave sort des hauts-parleurs. Toutes les mères ayant un enfant entre zéro et un an sont priées de venir au bâtiment principal pour recevoir une moustiquaire, des serviettes et des biberons pour leurs nourrissons. Une dizaine de femmes voilées font la queue, leurs enfants en pleurs dans les bras.

Dans cet établissement scolaire, devenu camps de déplacés, il y a exactement 108 tentes en toile. Celles qui ne sont pas déchirées sont recouvertes d'une fine bâche en plastique. Maigre consolation quand on sait que la saison des pluies a commencé. D'ailleurs, tout le monde craint les inondations qui peuvent surgir à tout moment maintenant.

Pour éviter tout risque d'incendie, les cuisines sont communes. Une mesure exceptionnelle d'après le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM). «Normalement, nous donnons des portions individuelles par personne et par famille mais là, c'est impossible. Il y a trop de monde et les tentes sont trop proches l'une de l'autre. Nous sommes obligés de centraliser la nourriture», dit Musthafa Nihmath, coordinateur national du PAM. A l'intérieur des tentes, il n'y a rien ou presque. Les gens dorment à même le sol. La journée, il y fait une chaleur étouffante.

Des camps comme celui d'El Aysha, on en compte une quinzaine dans la région de Kantalai. Soit au total près de 35 000 personnes dans des conditions bien en dessous du seuil de la précarité. Pas besoin de chercher. Les camps sont au bord même de la route. En trois semaines, Kantalai a doublé sa population et les déplacés de Muttur doivent faire face à l'animosité montante des habitants. «Comment peut on vivre dans ces conditions? Ces gens doivent rentrer chez eux maintenant. En plus, nos écoles sont occupées et le matériel qui s'y trouve est complètement dégradé», confie sans cynisme un habitant cinghalais de Kantalai.

Des bunkers dans les jardins

A quelques centaines de mètre de là, au camps de Al Thariq, le docteur Lars Stuewe fait une tournée pour voir s'il n'y a pas de blessés grave. «ça, c'est une blessure dûe à un tir d'artillerie. Cet enfant a les deux bras et la jambe gauche brûlés au troisième degré. Il doit suivre un traitement quotidien sinon il risque d'y avoir des risques d'infection», dit le médecin. Exaspéré, le généraliste demande à ce que l'on lui envoie tous les blessés avant qu'il ne soit trop tard. «Les gens viennent se soigner mais après le traitement de base, ils préfèrent rentrer chez eux, dans les camps, car ils sont très inquiets et préfèrent rester en famille au cas ou…», explique ce médecin, responsable d'un hôpital de campagne, construit après l'afflux massif des habitants de Muttur.

Pourtant la plupart des déplacés aimerait bien rentrer chez eux mais la ville de Muttur est coincée entre la ligne de front de l'armée srilankaise et les territoires contrôlés par la guérilla tamoule (LTTE). «Ici, on nous dit qu'on doit rentrer chez nous, mais moi je ne veux pas rentrer si je ne suis pas certain que ma famille est à l'abri des tirs de mortiers ou des attaques de la rébellion», ajoute Muhammad, pêcheur à Muttur.

A partir de 16 heures, Muttur redevient ville fantôme. Même l'armée régulière ne prend pas le risque de patrouiller dans les ruelles désertes. Les rares téméraires qui sont restés (ou revenus) sont reclus chez eux. La route en territe qui conduit à Muttur est très dangereuse et il n'est pas rare que des roquettes tombent à quelques centaines de mètres de là. Certains cocotiers sont décapités. La mosquée ressemble à un tas de ruines. Le bureau de la Croix Rouge est criblé de balles.

«Le LTTE a construit un bunker, là, dans notre jardin. J'ai interdit à mes enfants de s'en approcher, j'ai trop peur que quelque chose n'explose», dit Rifanah Ripan Rimas, 20 ans, mère de deux enfants.



par Mouhssine  Ennaimi

Article publié le 28/08/2006 Dernière mise à jour le 28/08/2006 à 17:33 TU