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Algérie

Réconciliation «nationale» controversée

La charte pour la paix et la réconciliation nationale ne fait pas recette parmi les anciens groupes armés. Ici, en 1994, d'anciens militants de l'Armée islamique du salut organisés en milice d'autodéfense après le massacre de Medea. 

		(Photo : AFP)
La charte pour la paix et la réconciliation nationale ne fait pas recette parmi les anciens groupes armés. Ici, en 1994, d'anciens militants de l'Armée islamique du salut organisés en milice d'autodéfense après le massacre de Medea.
(Photo : AFP)
Après six mois d’application, les dispositions clémentes de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ont expiré ce 31 août 2006. Elles ne sont pas parvenues à capter l’intérêt de tous les groupes armés et de plusieurs dizaines d’anciens militants du Front islamique du salut (FIS), en exil à l’étranger.

De notre correspondant à Alger

Cette charte adoptée par référendum le 29 septembre 2005 avec «97,36% de oui», ensuite promulguée fin février 2006 par ordonnance, est l’épilogue officiel de dix années de violence armée et de contre violence. Les autorités n’ont pas encore dressé le bilan de cette démarche portée à bras le corps par le président Bouteflika. Tout en renvoyant dos à dos, bourreaux et victimes, elle a offert des remises totales de peines et des compensations matérielles. Mais, elle a interdit de droit politique les islamistes impliqués dans la «tragédie nationale», formulation officielle qualifiant la décennie 90 qui a fait plus de 100 000 morts, des milliers de «disparus», des dizaines de milliers d’orphelins…

Pour tourner cette sombre page, il revient à une commission nationale de suivi, représentée dans chacune des 48 wilayas (préfectures), la charge de veiller à l’application de cette charte. C’est dans l’anonymat et la discrétion la plus totale que cette structure a oeuvré. D’après une estimation officieuse, elle a accordé la grâce à 2 200 personnes, condamnés et détenus pour des actes de violence «autres que les massacres collectifs, les viols et les attentats à l’explosif dans les lieux publics». Parmi les terroristes élargis, Abdelhak Layada, premier chef du Groupe islamique armé (GIA). Cette mansuétude, légitimée par le référendum, n’empêche pas de nombreux civils ainsi que des militaires de se demander «où sont passés les auteurs des horreurs de la décennie rouge» et de verser dans la dérision en disant qu’ils «faisaient tous la popote ou la cueillette dans les bois».

L’imminence d’une grande offensive

Dans les montagnes, la main tendue par les autorités n’a été acceptée que par 200 membres de groupes armés, chiffre révélé par le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni. Il resterait alors dans les maquis quelque 500 terroristes qui seraient affiliés au GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), selon la presse locale. Celle-ci annonce depuis un mois l’imminence d’une grande offensive militaire contre ces poches rebelles, localisées essentiellement dans les monts de Kabylie. Cette option militaire correspond à la lettre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui prévoit que, passés les dix mois de grâce, tous ceux qui persisteront sur la voie armée seront combattus.

Rien n’indique que ce terrorisme qualifié de «résiduel» sera rapidement éradiqué. Pas plus que le dossier des disparus ne sera réglé de sitôt. Sur plus de 6 000 cas, on ne sait pas encore combien de familles ont accepté la compensation matérielle prévue par la loi. «Les personnes disparues sont considérées comme victimes de la tragédie nationale, et leurs ayants-droits ont droit à réparation», indique la charte. Mais, de nombreuses familles, regroupées notamment au sein de SOS Disparus, rejettent cette approche et revendiquent vérité et justice. L’avocat Farouk Ksentini, président de la Commission étatique nationale de protection des droits de l'homme, qui a eu à gérer ce dossier pour le compte du président Bouteflika, a évité de suivre SOS Disparus sur cette piste. Pour lui, «l’Etat est responsable, mais pas coupable» et il existe plusieurs cas de «faux disparus», des personnes qui seraient à l’étranger. Invité à en publier la liste, l’avocat s’est muré dans le silence.

«Ternir l’image de l’Algérie sur le plan international»

Plus que jamais, le sujet des disparus, ainsi que celui des centaines d’assassinats non élucidés, demeurent très sensibles. Mais, toutes les voix discordantes sont condamnées au silence sous peine d’en répondre pénalement. Les autorités ont prévu dans l’ordonnance de mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale une disposition spéciale. Elle énonce une peine allant de trois à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 250 000 à 500 000 dinars algériens (environ 2 400 à 4 900 euros) pour «quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international».

Bien que théoriquement interdit d’activité politique, et donc passible de poursuite judiciaire, l’ex-émir de l’Armée islamique du salut, Madani Mezrag, a tenu une conférence de presse à laquelle quelques journaux avaient été conviés, 48h avant la fin du délai de grâce de la charte. Il s’est prononcé contre l’existence de ce délai, tout en revendiquant la réhabilitation du Front islamique du salut et de ses cadres. Rien de cela n’est envisagé dans la charte du président Bouteflika. Et c’est ce qui explique, peut être, que des anciens du FIS comme Rabah Kebir, Kamreddine Kherbane ou Ahmed Zaoui ont préféré rester en exil.

par Belkacem  Kolli

Article publié le 01/09/2006 Dernière mise à jour le 01/09/2006 à 12:08 TU