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Bosnie-Herzégovine

Insurmontables divisions communautaires

Onze ans après la fin de la guerre, les divisions communautaires ne s’effacent pas, au contraire : en Fédération croato-bosniaque, ces divisions continuent d’affecter tous les domaines de la vie sociale, notamment l’éducation. Et les partis nationalistes, toujours dominants, jouent la carte du «réflexe communautaire» dans la perspective des élections de dimanche.
La Bosnie-Herzégovine est composée de deux «entités» : la Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska (la République Serbe). 

		(Carte : Nicolas Catonné / RFI)
La Bosnie-Herzégovine est composée de deux «entités» : la Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska (la République Serbe).
(Carte : Nicolas Catonné / RFI)

De notre envoyé spécial en Bosnie-Herzégovine

La petite ville de Donji Vakuf, en Bosnie centrale, que les Croates préfèrent appeler Uskoplje, compte désormais deux quartiers bien séparés, alors qu’autrefois les communautés étaient mélangées. Ironiquement, les habitants appellent maintenant «zone B» le quartier bosniaque, et «zone C» le quartier croate. Les Serbes, qui étaient peu nombreux à Donji Vakuf, ne sont pas revenus.

Toute la vie de la petite ville, théâtre de durs combats entre forces croates et musulmanes en 1992 et 1993, est partagée selon ce critère ethnique. Depuis quelques années, de nombreux réfugiés chassés par les combats sont revenus vivre dans la ville, mais Bosniaques musulmans et Croates revendent ou échangent entre eux les appartements ou les maisons qui leur sont restitués pour se retrouver dans le «bon» quartier, celui où leur communauté est majoritaire.

Le Haut commissariat pour les réfugiés des Nations unies (UNHCR) a annoncé triomphalement fin 2004 que le cap d’un million de retours de réfugiés avait été atteint, alors que 2,2 millions de personnes ont été chassées de leurs foyers durant le conflit. Cependant ce chiffre est bien illusoire car peu de gens reviennent effectivement vivre là où leur communauté est maintenant minoritaire. Le Comité Helsinki pour les droits de la personne de Bosnie-Herzégovine, qui a consacré des études approfondies à ces phénomènes d’échange de biens entre réfugiés, estime qu’il s’agit de la «phase finale du nettoyage ethnique».

L’étude des «matières identitaires»

De même, à l’école, les enfants des deux communautés partagent les mêmes bâtiments, mais sans suivre les mêmes programmes scolaires et sans guère se croiser. L’éducation dépend des cantons, mais surtout les enfants des différentes communautés suivent des programmes spécifiques. Les programmes sont très différents dans les «matières identitaires» comme la langue ou la littérature. Les petits Croates de Bosnie apprennent ainsi la littérature croate et n’auront guère de chance, tout au long de leurs études, d’entendre parler d’écrivains serbes ou bosniaques de Bosnie.

Les programmes d’histoire sont aussi distincts. Ils divergent non seulement dans l’analyse de la guerre et des événements récents, mais également sur la présentation du passé plus lointain qui valorise aussi ce qui formerait l’histoire nationale de chaque peuple. L’écriture d’une histoire commune de la Bosnie et de ses trois peuples n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Des bagarres éclatent régulièrement dans la cour entre petits Bosniaques et petits Croates, même si les heures de sortie et de récréation ne sont pas les mêmes. L’administration internationale essaye depuis des années de dépasser ces divisions, mais la seule alternative possible semble être… de construire des écoles séparées pour les différentes communautés !

«Comme avant la guerre»

Ces divisions se retrouvent dans tous les autres secteurs de la vie sociale. La ville compte ainsi deux cliniques publiques, l’une croate, l’autre musulmane, et deux équipes de pompiers. Le conseil municipal est dominé par les deux partis nationalistes, la Communauté démocratique croate (HDZ) et le Parti de l’action démocratique (SDA, musulman). Fatima Mehanovic, une élue du Parti social-démocrate (SDP) qui essaie de promouvoir une alternative multiethnique, explique que son parti est peu influent et se trouve toujours submergé par la coalition nationaliste. «La division à l’intérieur de la municipalité fait l’affaire des partis au pouvoir», explique-t-elle. «Ils entretiennent toujours un climat de peur et de tension, qui amène les habitants à se serrer les coudes autour de leur parti communautaire».

La campagne pour les élections de dimanche a, une nouvelle fois, poussé à l’extrême ces réflexes communautaires. Les partis nationalistes appellent «les leurs» à voter massivement, en agitant le risque d’une forte participation électorale des autres communautés, qui pourrait modifier les équilibres ethnico-politiques dans les différentes institutions du pays. «Les partis ont renoué avec le langage de la haine, exactement comme à la veille de la guerre», affirme ainsi avec pessimisme Srdjan Dizdarevic, le président du Comité Helsinki.

par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 28/09/2006 Dernière mise à jour le 28/09/2006 à 14:51 TU