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Bosnie-Herzégovine

La Republika Srpska n’y croit toujours pas

Les électeurs bosniaques sont appelés aux urnes dimanche pour renouveler les 13 Parlements de ce pays toujours divisés en «entités» et en «cantons», ainsi que la présidence collégiale de l’État central. Côté serbe, on évoque à nouveau le droit à la sécession, et la Bosnie n’a plus aucune réalité aux yeux des jeunes Serbes. Reportage à Foca.
La Bosnie-Herzégovine est composée de deux «entités» : la Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska (la République Serbe). 

		(Carte : Nicolas Catonné / RFI)
La Bosnie-Herzégovine est composée de deux «entités» : la Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska (la République Serbe).
(Carte : Nicolas Catonné / RFI)

De notre envoyé spécial à Foca

«Les élections du 1er octobre sont un référendum pour la Republika Srpska.» Dans ses meetings, Milorad Dodik, le Premier ministre de cette «entité», ne mâche pas ses mots. Il y a quelques années, Milorad Dodik, chef des Sociaux-démocrates serbes indépendants, faisait figure de «modéré», et il était courtisé par la communauté internationale. Il réclame désormais à cor et à cri un référendum «d’autodétermination» pour l’«entité» serbe de Bosnie-Herzégovine, créée par les accords de Dayton, qui ont mis fin à la guerre en 1995.

À la gare routière de Foca, dans l’est de la Bosnie, à quelques kilomètres du Monténégro, un seul panneau publicitaire rappelle l’imminence des élections. Il appelle les électeurs à voter pour le Parti démocratique serbe (SDS), la formation longtemps dirigée par Radovan Karadzic, le criminel de guerre en fuite, dont Foca est un bastion traditionnel.

La gare routière se limite en vérité à un croisement, où s’arrêtent les quelques bus qui, chaque jour, relient la bourgade à Belgrade et à Niksic, au Monténégro. «Les Monténégrins ont bien eu le droit de faire leur référendum, et maintenant le monde va donner l’indépendance aux Albanais du Kosovo : pourquoi les Serbes de Bosnie n’auraient-il pas le même droit», demande Radosav, le patron du Putnik, le café délabré de la gare.

La résistance des partis nationalistes

Les arguments de Milorad Dodik, qui évoque le «précédent» que représenterait l’éventuelle indépendance du Kosovo, font mouche, mais les électeurs de Foca devraient, comme à l’accoutumée, préférer des formations plus radicales que celle du Premier ministre qui reste à leurs yeux coupable d’avoir voulu, il y a quelques années, collaborer avec les partis bosniaques. «Dodik parle de référendum pour gagner des voix, mais il gouverne avec le soutien des partis de Sarajevo», s’indigne Radosav. «On ne peut pas jouer sur deux tableaux en même temps. La guerre est finie depuis onze ans, mais la Bosnie n’existe plus. Que l’on nous laisse vivre chacun de notre côté !»

Depuis la conclusion des accords de Dayton, la communauté internationale a multiplié les efforts pour réduire les compétences propres aux deux entités qui composent la Bosnie – la Republika Srpska et la Fédération croato-bosniaque – mais elle s’est toujours heurtée aux fortes résistances des différents partis nationalistes. Alors que les projets de réforme constitutionnelle, ébauchés l'an dernier, ont échoué, le pays aborde les élections du 1er octobre alors qu'il se trouve dans une impasse politique. «Le débat politique a régressé au niveau qui prévalait il y a dix ans, lors des élections de 1996, un an après la guerre», estimait même il y a quelques mois Zlatko Dizdarevic, analyste de Sarajevo.

Avant la guerre, Foca était une ville assez florissante, idéalement située sur les bords de la rivière Drina. Les quelques usines ne gênaient pas trop les nombreux touristes qui venaient dans la région, notamment pour chasser ou pêcher. Un peu plus de 50% des habitants de la ville étaient musulmans. Ils ont tous été expulsés ou massacrés dès les premières semaines de la guerre, au printemps 1992. Depuis, le centre de Foca, où se dressaient autrefois une mosquée du XVIe siècle et un vieux bazar n’est plus qu’un terrain vague. Dans les campagnes, quelques Bosniaques reviennent dans leurs villages reconstruits grâce aux aides internationales, mais ils n’osent toujours guère venir en ville.

«La Bosnie n’existe plus depuis longtemps»

Le gouvernement de la RS a voulu faire de Foca – rebaptisée durant plus de dix ans Srbinja, mais qui a récemment dû reprendre son vrai nom, à la suite d’une décision du Haut représentant international en Bosnie – le centre de la Bosnie orientale. La ville dispose de quelques délocalisations universitaires et même d’un embryon de faculté de médecine.

Dejan et Marko y sont inscrits en deuxième année. Ils sont originaires d’un village proche de la ville, et ne se souviennent pas de la guerre. «Mon père a combattu contre les musulmans, je regardais les images à la télévision, mais j’étais trop jeune pour comprendre, et mon village n’a jamais connu de combats», explique Dejan. Il ne se fait guère d’illusion sur ses études ni son avenir. «Pour s’inscrire à l’Université à Foca, il n’y a que deux hypothèses : soit tu as de tellement mauvaises notes que tu ne peux pas t’inscrire à Banja Luka, soit tes parents habitent la région et n’ont pas assez d’argent pour financer tes études dans une autre ville».

Les deux garçons ne rêvent que d’une chose : partir. «En Serbie peut-être, comme mon frère aîné», explique Marko. «Mais là-bas aussi, ajoute-t-il, ils ne sont pas sortis du tunnel. Alors plutôt en Europe occidentale, en Australie». L’avenir de la RS les intéresse peu et, dimanche, ils n’iront pas voter. «Les politiciens sont les mêmes, les nôtres comme ceux des musulmans. Et la Bosnie n’existe plus depuis longtemps», assure Dejan, qui n’a jamais mis les pieds de sa vie à Sarajevo, la capitale de son pays, distante d’à peu près 60 kilomètres de Foca.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 26/09/2006 Dernière mise à jour le 26/09/2006 à 15:35 TU