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Serbie et Monténégro

La Serbie indépendante malgré elle

Privée du Monténégro, la Serbie va devoir réfléchir à son avenir.(Carte : RFI)
Privée du Monténégro, la Serbie va devoir réfléchir à son avenir.
(Carte : RFI)
Après le référendum de dimanche au Monténégro, Belgrade se dirige vers la reconnaissance de l’indépendance monténégrine. Mais la Serbie doit aussi gérer son nouveau statut d’Etat indépendant. Entre le Monténégro, le Kosovo et le dossier Mladic, 2006 ressemble de plus en plus à une année noire pour la Serbie.

De notre envoyé spécial à Podgorica

Les dirigeants de Serbie s’engagent prudemment dans la voie de la reconnaissance de l’indépendance du Monténégro. Telle est en tout cas la position du président Tadic, tandis que le Premier ministre Kostunica veut attendre les résultats définitifs du référendum. Pour leur part, les dirigeants monténégrins espèrent que les négociations s’ouvriront au plus vite avec Belgrade sur la succession de l’Union de Serbie-et-Monténégro, qui a cessé d’exister dimanche soir.

Avec le référendum monténégrin, en effet, c’est aussi la Serbie qui est devenue indépendante, puisque le choix du Monténégro signifie la fin de l’Union qui existait entre ces deux républiques. D’après les termes de la Charte de Belgrade, qui fonde cette Union créée en 2003 en remplacement de la Fédération yougoslave, la Serbie sera cependant la seule héritière légale de l’État commun. A ce titre, elle récupérera automatiquement le siège détenu par l’ancienne Union dans les diverses organisations internationales, comme l’ONU, le Conseil de l’Europe, le FMI ou la Banque mondiale.

La Serbie entrera pourtant dans l’histoire comme l’un des rares États à être devenu indépendant sans l’avoir voulu, et la séparation du Monténégro risque de provoquer un séisme politique en Serbie. Vuk Draskovic, le ministre des Affaires étrangères de l’Union de Serbie et Monténégro, dont la charge a virtuellement déjà disparu, a été le premier à saluer l’indépendance du Monténégro, en en profitant pour expliquer qu’il s’agit d’une « occasion exceptionnelle pour restaurer la monarchie parlementaire en Serbie ».

« Personne ne veut rester avec la Serbie »

Nenad Canak, le leader des autonomistes de Voïvodine, une province du nord de la Serbie, qui jouissait autrefois d’une très large autonomie, largement rognée sous le régime de Slobodan Milosevic, a déclaré que le référendum monténégrin prouvait que « personne ne voulait rester avec la Serbie ». Un dirigeant de la communauté hongroise de cette province a également adressé ses félicitations aux Monténégrins.

La Serbie, devenue indépendante sans le vouloir, devra donc très vite réfléchir sur son avenir et se doter d’une nouvelle Constitution, faute de quoi elle risque d’être emportée par une nouvelle vague de divisions et de séparatismes. Elle devra aussi très vite engager des négociations avec le Monténégro sur la succession de l’État. Sinon, de nombreux dossiers risquent de devenir des bombes à retardement, comme celui de plus de 200 000 Monténégrins de Serbie qui sont devenus des étrangers depuis dimanche soir, voire des apatrides dans la mesure où le Monténégro n’est guère disposé à leur accorder en masse la citoyenneté.

L’indépendance monténégrine affaiblit directement la position du Premier ministre serbe Vojislav Kostunica, qui s’était fortement engagé en faveur de l’opposition « unioniste » monténégrine. Deux historiens serbes renommés, Milan St. Protic et Slobodan Samardzic appelaient mardi à sa démission dans les colonnes du quotidien Danas, en estimant qu’il s’agissait d’une « question d’honneur ».

Pristina, les yeux braqués sur le Monténégro

La séparation du Monténégro intervient de toute façon à un très mauvais moment pour la Serbie, affaiblie par la récente décision européenne de suspendre les discussions sur un accord d’association et de stabilisation, tant que Ratko Mladic, l’ancien chef de guerre des Serbes de Bosnie, ne sera pas livré au Tribunal pénal international (TPI).

La Serbie doit également gérer le difficile dossier du Kosovo, dont le statut final en cours de négociation depuis l’automne, devrait théoriquement être défini avant la fin de l’année 2006. Dimanche, les dirigeants albanais de Pristina avaient bien sûr les yeux braqués sur le Monténégro, même si l’indépendance de la petite république n’aura pas a priori de conséquences immédiates sur le statut de ce territoire placé sous protectorat des Nations unies.

La pilule sera dure à avaler pour beaucoup de Serbes, pas forcément nationalistes, qui ont toujours estimé que le Kosovo était le « berceau » historique de la Serbie et que le Monténégro était aussi une terre serbe. L’indépendance du Monténégro ne devrait normalement pas avoir de conséquences directes sur la Republika Srpska, « l’entité » serbe de Bosnie-Herzégovine, même si les courants nationalistes pourraient trouver de nouveaux arguments pour plaider une unification de celle-ci à la Serbie.

Rompre avec le rêve de « Grande Serbie »

En fait, la Serbie vit toujours largement dans l’illusion d’une survie de l’ancienne Yougoslavie, alors que celle-ci appartient pour de bon au passé. Il faudrait que la Serbie arrive à redéfinir sa propre identité, son territoire, et qu’elle normalise ses relations avec tous ses voisins, en rompant avec son rêve de « Grande Serbie » que cultive toujours l’extrême droite nationaliste. Cette dernière se tient cependant en embuscade, avec des intentions de vote dans les sondages qui atteignent 35% des inscrits.

L’indépendance non choisie de la Serbie et la nécessité d’adopter au plus vite une Constitution pour le pays pourrait précipiter la tenue d’élections législatives anticipées, alors que le gouvernement de Vojislav Kostunica ne dispose que d’une majorité très fragile. Une déstabilisation de la Serbie – et une éventuelle victoire de l’extrême droite – pourraient alors avoir des conséquences très dangereuses pour la région toute entière, dont la Serbie demeure toujours une pièce essentielle.

par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 24/05/2006 Dernière mise à jour le 24/05/2006 à 12:40 TU

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Doris Pack

Présidente de la commission UE/Balkans au Parlement européen

«L'indépendance du Monténégro est une bonne nouvelle pour la région.»

[23/05/2006]

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