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Corée du Nord

Crescendo atomique

La presse indienne accuse le Pakistan d’avoir aidé la Corée du Nord à développer l’arme atomique. 

		(Photo : AFP)
La presse indienne accuse le Pakistan d’avoir aidé la Corée du Nord à développer l’arme atomique.
(Photo : AFP)
Les nations nucléarisées continuent de réagir à l’essai nucléaire nord-coréen de lundi. Certaines d’entre elles se renvoient la responsabilité des transferts de technologie qui ont permis à la Corée du Nord de réussir l’expérience. D’autres s’inquiètent surtout de l’escalade de la tension dans cette région du monde.

Mardi, au lendemain de l’essai nucléaire souterrain qui semble avoir réussi, un responsable nord-coréen a encore fait monter la tension. Il a indiqué que son pays pourrait tirer un missile à tête nucléaire si les Etats-Unis refusaient de faire des concessions. «Nous espérons un règlement de la situation avant que nous lancions un missile à tête nucléaire. Tout dépend de la réaction des Etats-Unis». Ce responsable, dont l’identité n’a pas été révélée par l’agence de presse sud-coréenne Yonhap, a encore expliqué que l’essai nucléaire de lundi est «l’expression de notre intention de faire face aux Etats-Unis à une table de négociations». Il a affirmé que Pyongyang est prêt à abandonner ses programmes nucléaires et à reprendre les pourparlers à ce sujet «seulement si les Etats-Unis prennent les mesures correspondantes». Enfin il a indiqué : «Nous n’avons plus rien à perdre. Les sanctions ne sont pas une solution».

Le Conseil de sécurité des Nations unies doit à nouveau se réunir ce mardi pour discuter d’un projet de résolution prévoyant des sanctions. «Il est plus que douteux que des sanctions ou des pressions réussissent à forcer le Nord à renoncer à son armement nucléaire», a commenté un universitaire sud-coréen. La France soutient ce projet préparé par les Américains et souhaite qu’il soit adopté «le plus vite possible». Le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy l’a déclaré à l’occasion des questions d’actualité à l’Assemblée nationale.        

La sensibilité à part du Japon

Au Japon, l’essai nucléaire effectué à quelques centaines de kilomètres du territoire, a réveillé des souvenirs douloureux chez les personnes les plus âgées qui ont connu la guerre, le Japon étant le seul pays au monde à avoir été bombardé avec des charges nucléaires. Le nouveau Premier ministre japonais était en Corée du Sud au moment même où la bombe explosait au nord de la péninsule. Au retour de ce voyage, Shinzo Abe a indiqué que, malgré le durcissement du contexte régional, son pays n’avait pas l’intention de changer de doctrine concernant la bombe atomique. Après sa défaite de 1945, le Japon s’est engagé à ne jamais «posséder, produire et stocker» d’armements nucléaires sur son territoire. Le Parlement a exhorté la Corée du Nord à «renoncer immédiatement» à son programme. 

L’essai nucléaire de lundi pourrait cependant faire évoluer la classe politique japonaise. Certains hommes politiques souhaitent l’abandon de cette approche pacifiste imposée par les Américains à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Justement, la solution envisagée serait d’autoriser les Etats-Unis à déployer de l’armement nucléaire sur les bases américaines installées dans l’Archipel. Cet acte de militarisation permettrait du même coup à Washington de répondre au défi lancé par la Corée du Nord.

Plus globalement, les experts estiment que cette crise pourrait renforcer la coopération entre les Etats-Unis, la Chine et la Corée du Sud, ces deux pays s’étant, jusqu’à présent, montrés plutôt compréhensifs avec Pyongyang. «Il y a une possibilité élevée que la Chine et la Corée du Sud adoptent un discours plus ferme à l’encontre de la Corée du Nord», estime un universitaire japonais. Mardi comme lundi, Pékin a réagi de façon critique à la démonstration de force nord-coréenne. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a indiqué que l’essai aurait un «impact négatif» sur les relations de la Chine avec la Corée du Nord. Pékin parle aussi d’envoyer un émissaire spécial à Pyongyang pour convaincre les dirigeants de ne pas attiser les tensions régionales. L’information a été donnée par un diplomate sud-coréen impliqué dans les discussions internationales sur le nucléaire nord-coréen.

L’analyse de l’Inde et du Pakistan

Tandis que le monde semble à court d’idées pour trouver la réponse appropriée, les pays récemment entrés dans le club des nations nucléarisées se renvoient la responsabilité de l’arrivée d’un nouveau venu dans leur club. La presse indienne accuse le Pakistan d’avoir aidé la Corée du Nord à développer l’arme atomique. «Attraper Islamabad pour punir Pyongyang», titre en une le quotidien Hindustan Times.

«Notre première préoccupation tourne autour de cette association entre la Corée du Nord et le Pakistan», déclare un responsable du gouvernement indien. Lundi, New Delhi a condamné l’explosion nord-coréenne. Ce haut responsable ajoute dans l’interview que l’essai «met en lumière les dangers de la prolifération clandestine». Une attaque à peine voilée contre le Pakistan.

En 2004, l’ancien chef du programme nucléaire pakistanais Abdul Qadeer Khan a reconnu avoir fourni de la technologie nucléaire à la Corée du Nord, à l’Iran et à la Libye, ce que Pervez Musharraf en personne a confirmé dans ses mémoires publiées tout récemment, indiquant même que le scientifique avait fait parvenir une dizaine de centrifugeuses aux chercheurs nord-coréens. Pour sa part, un autre quotidien indien, The Hindu, juge «un peu culottée» la réaction du gouvernement indien. En 1974 et en 1998, l’Inde a procédé à plusieurs essais nucléaires, entraînant l’adoption de sanctions internationales aujourd’hui tombées dans l’oubli. Le Pakistan avait riposté en effectuant ses propres tirs, en 1998.

Des spécialistes pakistanais de la défense font la différence entre la rivalité Inde-Pakistan, conduisant à une surenchère atomique régionale, et l’essai voulu par Pyongyang, de portée mondiale. «Avec l’essai nord-coréen, c’est l’hégémonie nucléaire américaine en Extrême-Orient qui s’écroule», estime un général pakistanais à la retraite. «Ce sont la politique de non-prolifération et la stratégie de l’axe du mal de Washington qui s’effondrent», ajoute un autre expert pakistanais. Côté indien, un analyste estime que «cet essai permet à la Corée du Nord de s’assoir à la table des six (pays en charge des pourparlers sur le nucléaire nord-coréen) en tant que puissance nucléaire, à égalité avec la Chine, la Russie et les Etats-Unis».  

Les points de vue de l’Iran et d’Israël

L’Iran ne condamne pas et rejette la responsabilité sur les grandes puissances. «Nous ne pouvons pas approuver l’essai nucléaire nord-coréen, mais nous ne pouvons pas le condamner non plus, en tenant compte des vues sataniques des Etats-Unis dans le Sud-Est asiatique», écrit le quotidien conservateur Kayhan International. Pour le journal Etemad Melli, Pyongyang décide d’emprunter ce «chemin, dans le but d’équilibrer sa relation avec l’Occident». Comme la Corée du Nord, l’Iran se situe, pour les Etats-Unis, dans le groupe des pays «voyous». Et comme Pyongyang, Téhéran est actuellement en plein bras de fer avec la communauté internationale sur l’aspect sensible de son programme nucléaire civil. «La meilleure solution pour lutter contre les armes nucléaires est que les grandes puissances commencent elles-mêmes par les détruire», déclare par ailleurs Gholamhossein Elham, porte-parole du gouvernement iranien.

L’essai nucléaire nord-coréen risque de rendre la situation au Proche-Orient plus dangereuse. C’est le point de vue d’Israël qui redoute maintenant un transfert de technologie de Pyongyang vers Téhéran, «d’autant que la Corée du Nord a déjà fourni des missiles balistiques à l’Iran, à la Syrie et à l’Irak, dans le passé». Cette déclaration d’un responsable israélien ayant requis l’anonymat est confortée par des propos de même teneur de la part de l’ambassadeur israélien à Washington. Israël refuse de signer le Traité de non prolifération. Les experts estiment que ce pays dispose de plus de 200 ogives nucléaires. La centrale nucléaire de Dimona n’est pas non plus contrôlée par l’Agence internationale de l’énergie atomique.



par Colette  Thomas

Article publié le 10/10/2006 Dernière mise à jour le 10/10/2006 à 16:33 TU

Audio

Jean-Pierre Cabestan

Spécialiste de la Chine au CNRS

«La Chine a besoin du régime nord-coréen.»

[10/10/2006]

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