Nucléaire
Petit essai, grand danger
(Photo : www.wsmr-history.org)
Il est rare que des premiers essais démarrent aussi «petit». Mais il est vrai que, selon une source chinoise dite «informée», le numéro un nord-coréen Kim Jong-Il aurait donné des instructions pour que l’explosion «n'ébranle pas trop» le mont Paektu, un sommet voisin que de nombreux Coréens considèrent comme sacré !
La Corée du Nord aurait donc surtout réussi à «faire boom», mais pas plus ; un geste surtout politique, pour revendiquer l'entrée dans le club nucléaire. Pyongyang ne possède d'ailleurs qu'une demi-douzaine de bombes, au mieux une dizaine : ses ingénieurs ne disposent pas -ou pas encore- de matière fissile pour en fabriquer davantage. On ne sait d'ailleurs pas où en est le programme d'enrichissement d'uranium des Nord-Coréens, combien de «centrifugeuses» par exemple sont utilisées pour «enrichir» le minerai.
Il n'est pas démontré non plus que ces charges nucléaires soient opérationnelles, ni qu'elles soient suffisamment miniaturisées pour être embarquées à bord des fusées Nodong, ou des Taepodong 1 et 2, également en cours d'expérimentation ces derniers mois.
Collecte planétaire
En France, on a pu en quelques heures confirmer que l'explosion en Corée du Nord était bien de type nucléaire, et qu'elle avait une puissance faible. Le Centre national de données de Bruyères-le-Châtel, dans le sud de Paris -élément du Système de surveillance international (SSI) du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, basé à Vienne- disposait des éléments sismiques, radiologiques, hydroacoustiques et au besoin infra soniques, collectés par un réseau qui comprend plus de trois cents stations dans le monde.
Ce centre est capable de distinguer une simulation d'essai nucléaire - qui serait une explosion chimique (avec un explosif classique), forcément «en cascade»-d'une réaction nucléaire, qui est quasi simultanée, de l’ordre de millièmes de seconde. Le centre de Bruyères-le-Châtel avait été mis à profit pour interpréter l'accident dans le sous-marin russe Koursk, et les séismes à Boumerdès en Algérie, ou à Sumatra en Indonésie.
Si la collecte des données nucléaires est planétaire, leur interprétation reste l'apanage de chaque nation. Surtout de celles qui ont également des moyens autonomes de détection -par exemple des satellites relevant les émissions de gaz ou fumées, le surgissement de cratères, des modifications dans les structures industrielles.
D'autres techniques de détection sont en cours de mise au point, comme les «robots inspecteurs à laser», ou l'analyse d'échantillons de particules prélevés par frottis. Mais aucune ne vaut un accès direct aux sites -accès refusé justement par la dizaine de pays dotés d'une capacité nucléaire, mais qui n’ont pas ratifié le Traité d'interdiction des essais. Et pour cause : parmi eux, la Chine, les Etats-Unis, Israël, l’Iran. Quant à l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, ils n’ont même pas signé le traité.
Le «bouclier» antimissiles dopé
Une des premières retombées de l'essai nucléaire nord-coréen a été l’annonce, par le Premier ministre japonais Shinzo Abe, que le Japon et les Etats-Unis allaient accélérer leur coopération dans le domaine des systèmes de défense antimissile.
Dès juillet dernier, suite à un tir d'essai -d'ailleurs raté- de la fusée intercontinentale Taepodong-2, il avait été décidé, entre Tokyo et Washington, d'accélérer le déploiement de systèmes d'interception anti-missiles américains sur tout le territoire japonais. Pour parer au plus pressé, un croiseur américain équipé du système Aegis avait été dirigé en août aux abords des côtes japonaises. Plusieurs destroyers devraient également en être dotés. Trois systèmes sol-air Pac-3 -des Patriot de classe «avancée»- doivent être installés dès l'an prochain près des bases américaines dans l’archipel, avec un an d'avance sur les prévisions initiales. Fin août, le ministère japonais de la Défense, qui avait prévu de fabriquer ces missiles PAC 3 sous licence dans son pays, annonçait qu’il préférait, pour aller plus vite, acheter directement ces systèmes aux Américains qui se proposent de leur céder 80 missiles anti-missiles Patriot.
Même si ce premier essai nucléaire nord-coréen paraît très modeste, et s'il est loin d'être prouvé que les charges en cours de mise au point pourraient être embarquées à bord des fusées nord-coréennes Nodong, Taepodong 1 et 2, il ne peut manquer d'inquiéter au Japon, cible toute proche qui, soixante ans après les bombes américaines sur Hiroshima et Nagasaki, reste à bon droit terrorisé par la perspective d'un voisin nucléaire agressif. Mais il n’envisage pas pour autant, ainsi que vient de le promettre le nouveau Premier ministre Shinzo Abe, de se doter lui-même de l’arme nucléaire.
Du côté américain, ce test nord-coréen va donner une nouvelle impulsion au programme de «bouclier anti-missiles», qui n’est pas encore au point – en dépit des crédits très importants qui lui sont consacrés –10 milliards de dollars par an. A terme, ce réseau de radars, dont le centre de commandement est situé dans le Colorado, s’appuiera sur trois sites d’intercepteurs : Vanderberg, en Californie, et Fort Greely, en Alaska, qui existent déjà et sont dirigés vers la menace nord-coréenne. Et un site en projet en Pologne, proche de la Baltique… qui viserait à contrer une menace iranienne.
par Philippe Leymarie
Article publié le 10/10/2006 Dernière mise à jour le 10/10/2006 à 16:51 TU