Pakistan
Simulacre de lutte contre les talibans
(Photo : Claire Billet/RFI)
De notre envoyée spéciale à Quetta
«Les autorités pakistanaises ne peuvent pas contrôler la frontière. Nous la traversons sans problème. Les talibans viennent à Quetta et en partent facilement, raconte Mohammad Kazim, un journaliste local. Ils ont des proches qui peuvent les cacher et ils se sentent à l’abri ici.» Des bruits de klaxon, de moteurs, des cris… Dans la poussière des rues, les motards se faufilent avec agilité entre les voitures, les charrettes tirées par des ânes fatigués et les gros 4x4 : le centre-ville de Quetta fourmille d’activités. Dans le bazar, des hommes barbus, portent fièrement le turban pachtoune autour de la tête. Mais quand on s’éloigne vers le quartier de Pachtoonabad, les voitures se font plus rares. La banlieue est pauvre, habitée par des réfugiés afghans qui ont fui la guerre. Au milieu des ruelles de terre, les enfants jouent pieds nus.
Ici, pourtant, ceux qui apportent leur soutien aux talibans sont aussi Pakistanais. «Pendant le gouvernement des talibans, nous avions des contacts directs avec eux. Nous les soutenions moralement, financièrement et humainement, raconte le mollah Noor Muhammad, une figure politique et religieuse de Quetta. Quand les Etats-Unis et leurs alliés les ont fait chuter, il y a eu une énorme pression internationale et notre contact a été réduit…» Le mollah pakistanais est à la tête d’une madrasa (école religieuse) réputée pour envoyer des jeunes se battre. «Il y a trois mois de vacances à l’école. Si un étudiant part combattre, nous ne sommes pas au courant. Officiellement, nous n’autorisons pas les étudiants. Mais, les Etats-Unis ont imposé leur politique par la force sur tous les pays musulmans. C’est le devoir de tous musulmans de les chasser de leur pays.»
Quetta est une ville qui ne dévoile pas facilement ses secrets. Le rôle des services de renseignement est le plus brûlant. «L’ISI entraîne les combattants, raconte AR Ziaratwal, un leader politique régional. On m’a dit qu’ils proposent 200 euros, une moto et d’autres choses pour se battre en Afghanistan. Je sais quand ils installent des camps d’entraînement, rien ne nous est caché.» Mais beaucoup souhaite parler anonymement : «Les chefs talibans ont des liens avec les agences de renseignement, voilà pourquoi ils ne sont pas arrêtés. Ils vont se cacher et la police fait un simulacre d’arrestation, dévoile un homme proche des talibans. Tout Pakistanais se sent menacé par les services de renseignement parce qu’ils enferment des gens dans des cellules de torture».
Des arrestations pour plaire aux Etats-Unis
«Nous venons du Helmand (sud de l’Afghanistan). Mon fils était dans un minibus qui a eu un accident à cause des bombardements et il a été blessé à la jambe. Nous vivons dans un endroit reculé, sans installations médicales et aucun docteur ne vient. Alors nous sommes venus à Quetta pour le faire soigner». Akbar porte les marques de la guerre sur son visage. Les rides qui le creusent accentuent l’inquiétude du regard. Il attend avec son autre fils, accroupi devant l’entrée d’une aile de l’hôpital public. Mais la porte qu’ils guettent restera fermée. «On pensait être en sécurité, mais la police est venue et a arrêté mon fils, avec d’autres patients…»
Ils sont quarante-huit blessés, accusés d’être des talibans, à avoir été arrêtés dans plusieurs hôpitaux de Quetta. Paul Fruh, le chef du bureau de la Croix-Rouge internationale est scandalisé. «Une personne blessée qui arrive au Pakistan sans arme n’est pas forcément un taliban. La plupart des gens qui viennent ici ne sont pas blessés par balles comme le seraient des combattants. Ils ont été victimes de bombes ou de mines. Dans ce type de conflit, il ne faut pas oublier que pour un combattant touché, il y a au moins 10 civils qui sont blessés». Tout le monde sait, à Quetta, que les détenus n’étaient en majorité pas des talibans.
«L’Otan a accusé le Pakistan de soutenir les talibans et a ouvertement mentionné l’ISI, les services secrets (pakistanais). Alors la police a voulu leur montrer qu’ils font leur travail, qu’ils arrêtent des talibans, constate Mohammad Kazim, journaliste local. Ils font ça pour plaire aux Américains et aux forces de l’Otan. C’est une comédie. Ces arrestations servent juste à duper la communauté internationale.» Dans un ruelle bruyante du grand bazar, un vendeur de tapis déclare : «Tout va bien ! Il n’y a pas de talibans à Quetta». Deux hommes jeunes, en turban noir le fixent, sourient et s’en vont. Sur le trottoir, ils passent devant un vieil homme qui vend des photos de Ben Laden et de combattants afghans. Les langues se délient lentement à Quetta.par Claire Billet
Article publié le 18/10/2006 Dernière mise à jour le 18/10/2006 à 12:57 TU