Soudan
Khartoum expulse l’envoyé de l’ONU
(Photo : AFP)
Les autorités soudanaises ont donné une délai de 72 heures à l’envoyé spécial des Nations unies pour quitter le pays. Jan Pronk, diplomate néerlandais, a été déclaré persona non grata après avoir indiqué, sur son blog internet, que l’armée soudanaise avait subi des pertes lors de deux batailles récentes contre les rebelles au Darfour. L’expulsion du chef de mission de l’Onu constitue aussi un nouvel épisode de la crise qui s’aggrave entre l’organisation internationale et les autorités de Khartoum qui refusent le déploiement des casques bleus au Darfour décidé par le Conseil de sécurité en août dernier. L’Onu a rappelé son envoyé à New York pour consultation.
Le Hollandais Johannes Pieter (Jan) Pronk, 66 ans, ancien ministre social-démocrate s'est toujours fait remarquer pour sa liberté de parole, au risque de provoquer des incidents diplomatiques. C’est ce qui vient de se produire avec les autorités soudanaises qui l’ont déclaré persona non grata dimanche et l’ont obligé à quitter le pays sous 72 heures. Le gouvernement de Khartoum a ainsi réagi aux commentaires personnels, que le représentant de l’Onu au Soudan a publiés sur son blog internet, concernant la situation dans la province occidentale du Darfour, suite à une offensive des forces soudanaises contre les rebelles. Pour le régime du président el-Béchir, il s’agit d’une preuve «d’inimité à l’égard du gouvernement et des forces armées soudanais».
Jan Pronk, qui a pris ses fonctions en 2004, soulignait dans son blog (www.janpronk.nl), le 14 octobre dernier, que les forces du gouvernement de Khartoum ont perdu «deux batailles majeures» au Darfour. Et cela, poursuit-il, au prix de «pertes [qui]semblent avoir été très importantes. On parle de centaines de victimes dans chacune des deux batailles, de nombreux soldats blessés et d’autres faits prisonniers». L’envoyé spécial des Nations unies a cru utile d’ajouter que «le moral de l’armée gouvernementale dans le nord du Soudan est tombé. Certains généraux ont été renvoyés; des soldats refusent de se battre».
Expulsion sans appel
Le ministère soudanais des Affaires étrangères a jugé ces affirmations incompatibles avec le mandat du représentant de l’Onu. Les militaires soudanais ont demandé des excuses à Jan Pronk. Des officiers supérieurs se sont plaints auprès du président Omar el-Béchir, lequel a finalement donné son accord pour l’expulsion du représentant spécial de l’Onu. Le gouvernement de Khartoum a ensuite envoyé une lettre au secrétaire général des Nations unies lui demandant de rappeler son envoyé spécial du Soudan. Le bureau du secrétaire général a fait savoir que Jan Pronk avait été appelé à New York pour «des consultations». Il est clair que les responsables de l’Onu n’ont pas vraiment apprécié les agissement de leur représentant au Soudan. Jan Pronk avait du reste déjà manifesté par le passé des divergences vis-à-vis des orientations de l’organisation internationale.
Cet incident entre l’Onu et Khartoum s’ajoute à une crise qui se développait depuis des années et qui avait déjà conduit à l’expulsion de deux membres de la Mission des Nations unies au Soudan (Minus). En réalité, le régime du président el-Béchir refuse toujours d’appliquer la résolution 1706, proposée par les Etats-Unis et par la Grande-Bretagne, adoptée de 31 août dernier par le Conseil de sécurité, avec les abstentions de la Chine, de la Russie et du Qatar.
Cette résolution prévoit le déploiement de 20 000 casques bleus et policiers internationaux au Darfour. Le président el-Béchir s’y oppose en qualifiant de néo-coloniale la démarche de l’Onu visant à remplacer les 7 000 soldats déployés par l’Union africaine qui se trouvent actuellement au Darfour. El-Béchir considère que le plan de l’Onu est inspiré par Washington qui a des visées sur le pétrole soudanais. Il avait même menacé d’attaquer, dans une sorte de jihad, les soldats de l’Onu envoyés au Darfour, ce qui a provoque de facto la suspension de la résolution du Conseil de sécurité.
Pour une extension des accords de paix
Jan Pronk a rappelé dans son blog que le contingent africain de la Minus n’est pas en mesure de rétablir le calme dans la province occidentale du Soudan. Mais il avait proposé de faire surtout appel à des Africains pour participer à une nouvelle force onusienne bien équipée et correctement financée. Il avait aussi dénoncé dans ses écrits les violences commises par les rebelles au Darfour, ainsi que les brutalités des milices arabes djandjawid, appuyées par Khartoum, qui réfute pour sa part ces informations relayés par des organisations humanitaires.
Jan Pronk s’est néanmoins prononcé pour l’extension des accords de paix d’Abuja, conclus en mai dernier entre le gouvernement soudanais et le Mouvement de libération du Soudan dirigé par Minni Minawi, mais dénoncé par les autres mouvements rebelles du Darfour. Le diplomate néerlandais s’est aussi insurgé contre l’appui de rebelles tchadiens aux forces gouvernementales soudanaises, au Darfour, et il a aussi dénoncé le soutien des forces tchadiennes aux rebelles soudanais.
Le Mouvement justice et égalité (MJE), qui n’a pas signé les accords de cessez-le-feu, condamne l’expulsion de Jan Pronk, tout en soulignant que les rapports n’étaient pas toujours faciles avec le délégué de l’Onu. Le gouvernement autonome du Sud-Soudan s’est aussi déclaré opposé à la décision de Khartoum. L’Union européenne ainsi que plusieurs gouvernements occidentaux, dont ceux de Grande-Bretagne, de France et des Etats-Unis, se sont déclarés inquiets des effets de l’expulsion de Jan Pronk qui n’est pas de nature à contribuer pour rétablir la paix au Darfour.
par Antonio Garcia
Article publié le 23/10/2006 Dernière mise à jour le 23/10/2006 à 19:10 TU