Corée du Nord
Ouverture tactique ?
(Photo: AFP)
La nouvelle a été donnée le 31 octobre à Pékin : les discussions, entre les 6 pays négociateurs et la Corée du Nord, vont reprendre. Ce n’est probablement pas un hasard si ce signe d’ouverture est venu de la capitale chinoise. Les spécialistes du dossier nucléaire nord-coréen estiment que si Pyongyang revient effectivement à la table des négociations, c’est en raison des pressions exercées par la Chine, l’un des rares amis de ce pays.
Malgré les démentis, les économistes chargés des statistiques sur les échanges mondiaux de pétrole ont remarqué que Pékin, le mois dernier, n’a pas exporté de brut vers la Corée du Nord. Les spécialistes y voient une mesure de rétorsion d’autant plus efficace que l’économie nord-coréenne dépend presque totalement des livraisons chinoises de pétrole. Alors qu’elle cherchait à dénouer la crise internationale provoquée par les tirs de missiles nord-coréens, la Chine n’avait pas apprécié le défi lancé par Pyongyang aux pays nucléarisés en procédant à sa première explosion atomique. C’était il y a tout juste trois semaines. Depuis, les Etats-Unis et le Japon ont réussi à faire adopter une résolution aux Nations unies assortie de nouvelles sanctions économiques et commerciales contre la Corée du Nord. La Russie et la Chine ont donné leur accord.
La rencontre informelle, dans la capitale chinoise, entre les émissaires américain, nord-coréen et chinois chargés du dossier, permet d’espérer une avancée puisque les tractations devraient reprendre avant la fin de l’année. De Séoul, le vice-ministre sud-coréen des Affaires étrangères a même donné une précision sur le calendrier. «Les pourparlers à six devraient reprendre après des entretiens et une coordination à haut niveau entre les responsables, en marge du sommet de l’Apec (Forum de coopération Asie-Pacifique)». Ce sommet des dirigeants asiatiques se tiendra à Hanoï, au Vietnam, les 18 et 19 novembre prochains.
Un dialogue sous conditions
Dès hier, la Corée du Nord confirmait officiellement être d’accord pour reprendre des discussions interrompues il y a un an. Pyongyang y met une condition : les sanctions financières américaines doivent être levées à l’occasion de ces nouveaux pourparlers. Comme lors des précédentes tentatives pour amener la Corée du Nord à renoncer à ses programmes nucléaires, ces discussions se tiendront à six : Corée du Nord et Corée du Sud, Etats-Unis, Chine, Japon et Russie.
«Si les discussions sont fructueuses, le Conseil de sécurité adoptera une nouvelle résolution pour diminuer le poids des sanctions, mais le simple fait pour Pyongyang de se rassoir à la table des négociations ne suffira pas à les alléger». Cette précision est également donnée par Séoul. La Corée du Sud est en phase avec les Etats-Unis car si George Bush s’est déclaré très satisfait de voir la Corée du Nord reprendre le dialogue, il a dans le même temps indiqué que des émissaires américains allaient vérifier que les sanctions prévues par la résolution 1718 sont bien mises en œuvre.
Cependant, avant même que le rendez-vous soit pris, les pays négociateurs ne se positionnent pas tous sur une même ligne vis-à-vis de Pyongyang. Pour le président américain, «manifestement, il reste encore beaucoup à faire» pour que les sanctions décidées dans le cadre de la résolution 1718 fassent leur effet, aussi bien dans le domaine du commerce que des technologies sensibles. Pour sa part, la Corée du Sud vient d’annoncer qu’elle envisageait de reprendre son aide alimentaire destinée à la population nord-coréenne, «une question purement humanitaire», a indiqué le ministre de l’Unification Lee Jong-Seok.
Ce ministre, justement, vient de perdre son portefeuille à la suite d’un remaniement du gouvernement sud-coréen. L’essai effectué par le Nord le 9 octobre a provoqué des remous au sein de la classe politique sud-coréenne. La politique de réchauffement des relations avec Pyongyang a été remise en question. Et si le président Roh Moo-Hyun continue de défendre une politique de rapprochement, il lui est reproché de ne pas avoir réussi à faire renoncer la Corée du Nord à ses ambitions nucléaires. Plusieurs ministres sont donc remplacés dont celui en charge de l’Unification, un dossier plus délicat que jamais.
Des spécialistes sceptiques
Alors que le fil du dialogue est renoué, les spécialistes de cette région du monde se montrent sceptiques sur une avancée des discussions. D’abord parce qu’aucun pays ayant acquis l’arme atomique n’y a, jusqu’à présent, renoncé. Ensuite parce que le retour de la Corée du Nord à la table des négociations est probablement motivé par la crainte des sanctions. L’ouverture relèverait plus de la tactique que d’une volonté d’apaisement. «Cela ne leur coûte vraiment rien de revenir à la table des discussions», souligne Peter Beck, spécialiste des affaires coréennes à l’International Crisis Group, une organisation non gouvernementale qui lutte pour la paix. «Compte tenu de la méfiance fondamentale qui existe, je pense que nous ne devons pas en attendre grand-chose», pronostique-t-il encore. L’analyste ne voit d’ailleurs aucun changement fondamental de position dans cette crise, ni du côté de Pyongyang, ni du côté de Washington. Pour Peter Beck, la Corée du Nord rejoint les pourparlers à six «parce que, à travers ces discussions, elle cherche à être reconnue en tant que puissance nucléaire».
Même si le ministre russe de la Défense en personne a annoncé, lui aussi, la reprise des pourparlers cette année et probablement en Chine, d’autres informations donnent des raisons d’être pessimiste sur l’issue de ces discussions. Dans un rapport parlementaire, un député sud-coréen affirme que l’élite nord-coréenne spécialisée dans le nucléaire vit secrètement dans des villages disséminés dans le pays et coupés du monde. «Les régions où ils habitent n’ont aucun lien avec le reste du pays, non seulement géographiquement mais aussi pour ce qui est des contacts, des communications avec l’extérieur», explique Song Young-Sun dans son rapport préparé pour la commission défense du Parlement sud-coréen. Des experts sud-coréens estiment ces informations crédibles. Pyongyang copierait ainsi le système soviétique. Pendant la Guerre froide, les savants russes qui travaillaient sur les projets stratégiques vivaient, avec leurs familles, dans des villes inexistantes sur les cartes et dont on a appris l’existence bien plus tard, après la Perestroïka.
par Colette Thomas
Article publié le 01/11/2006 Dernière mise à jour le 01/11/2006 à 16:30 TU