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Afghanistan

Des femmes qui se suicident par immolation

Le service pour femmes des grands brûlés de l'hôpital d'Hérat reçoit plus de 150 Afghanes qui se sont immolées, le plus souvent pour échapper à la violence dans leur famille. 

		(Photo : Anne le Troquer / RFI)
Le service pour femmes des grands brûlés de l'hôpital d'Hérat reçoit plus de 150 Afghanes qui se sont immolées, le plus souvent pour échapper à la violence dans leur famille.
(Photo : Anne le Troquer / RFI)

Mariages forcés, violences, système judiciaire défaillant, des centaines d’Afghanes se suicident par immolation chaque année, selon la première conférence organisée sur ce thème par la commission indépendante afghane de défense des Droits de l’Homme et l’ONG Medica Mondiale à Kaboul cette semaine.


De notre correspondante à Kaboul.

Gulsum a 16 ans, mais elle ressemble une petite vieille au dos voûté. Elle vient de subir sa neuvième opération chirurgicale qui a permis de séparer son menton de sa poitrine, collés par sa peau brûlée. Il y a un peu plus d’un an Gulsum a tenté de mettre fin à ses jours en s’enflammant. «J’ai été mariée à 14 ans à un homme de 40 ans qui m’a emmenée en Iran, raconte la jeune fille en grattant ces cicatrices. Un soir, il m’a tellement frappée, j’étais à demi consciente, alors je me suis aspergée d’essence.» Son calvaire a impressionné le parterre de responsables et d’experts rassemblés pour la première conférence organisée sur le thème du suicide par immolation à Kaboul, même si dans l’heure qui a suivi un membre du ministère de la Santé a affirmé que ces suicides étaient essentiellement dus à des défauts génétiques ou des allergies.

Le tabou du suicide, le conservatisme de la société afghane, tout mène au silence et à la méconnaissance du phénomène. Mais selon une étude de l’ONG Medica Mondiale et de la commission afghane de défense des Droits de l’Homme (AIHRC), plus de 600 femmes se seraient donné la mort cette année dans 5 provinces sur les 34 que compte l’Afghanistan et à Kaboul les cas de suicide par immolation auraient doublé depuis un an.

À l’hôpital d’Hérat où plusieurs femmes arrivent atrocement brûlées chaque semaine, seule Ayatoub, mère de 6 enfants, avoue s’être jetée dans le four à pain. «Je ne sais pas ce qui s'est passé dans ma tête. Mon mari ne voulait plus parler avec moi, et il a épousé une autre femme qui ne sait rien faire à la maison et qui est méchante, sanglote-t-elle. Maintenant je me sens coupable, mais je ne veux pas qu’on s’en prenne à mon mari, sinon il s’attaquera à mes enfants...»

Gulsum,16 ans, s'est aspergée d'essence pour échapper aux coups de son mari de 25 ans son aîné. 

		(Photo : Anne le Troquer / RFI)
Gulsum,16 ans, s'est aspergée d'essence pour échapper aux coups de son mari de 25 ans son aîné.
(Photo : Anne le Troquer / RFI)

Elles ont peur de leurs maris

Les autres patientes racontent toutes à peu près la même histoire. «J'étais en train de cuisiner. Mon petit dernier est arrivé et m'a poussée et alors le feu est venu sur mon corps», explique Azadeh, 21 ans. Au cours de la discussion, elle dévoile cependant que son mari n’est jamais là, que ce jour-là elle n’avait plus que deux dollars pour nourrir la famille pendant cinq jours…«La plupart du temps, elles disent que c'est un accident car elles ont peur de leur famille, explique le docteur Homayoon Azizi, responsable du service des grands brûlés de l’hôpital d’Hérat, un service créé en 2004 face à l’augmentation de ces cas. Certaines sont effrayées par leurs maris qui leur disent : si tu dis la vérité, les  docteurs ne vont pas te soigner, donc elles gardent leur secret. Mais quand elles sont seules, parfois elles nous expliquent ce qui s'est vraiment passé.»

D’après plusieurs études d’organisations de défense des droits de l’Homme, 60 à 80% des unions sont forcées en Afghanistan, un tiers des jeunes filles est marié avant l’âge de 16 ans et 9 foyers sur 10 connaissent la violence, sans parler de la pauvreté et du manque d’éducation. Mais difficile de protester et le divorce est quasiment impossible. «Les traditions, la justice informelle et des pratiques dites religieuses, mais contraires à l’Islam, dominent particulièrement dans les campagnes, accuse Suraya Sobhrang (AIHRC), les femmes ne sont pas prises en compte par un vrai système judiciaire. En plus on a augmenté la conscience des femmes en leur disant qu’elles avaient des droits, mais quand il s'agit de les faire appliquer, le gouvernement, la justice, personne n’est là.»

À Hérat, pour la première année depuis l’apparition du phénomène avec la chute du régime taliban, le nombre de femmes atteignant l’hôpital après une tentative de suicide par immolation est en diminution. «C'est parce que des organisations nationales et internationales ont fait des campagnes dans les médias contre ce désastre, analyse le docteur Azizi. Et aussi parce que les gens qui poussent au suicide sont poursuivis par la police». Une conscientisation de tous et l’engagement de faire respecter les droits et les lois, ce sont aussi les conclusions de la conférence de Kaboul. Mais si Gulsum a accepté d’y témoigner et de briser la loi du silence, c’est surtout pour dire aux parents de réfléchir avant de marier leurs enfants. Elle n’en veut cependant pas aux siens : «Ils sont trop pauvres pour s’occuper de moi et ils ont accepté que je divorce.»



par Anne  Le Troquer

Article publié le 19/11/2006 Dernière mise à jour le 19/11/2006 à 16:21 TU