France
Ségolène Royal passe l’épreuve du Proche-Orient
(Photo : AFP)
Ségolène Royal savait qu’elle allait marcher sur des œufs. Elle savait aussi qu’aucun faux-pas ne lui serait pardonné. Ainsi fut fait. Lorsqu’elle a rencontré, le 1er décembre, les députés de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale libanaise, l’un d’eux, Ali Ammar, représentant du Hezbollah, a tenu des propos déplacés. Il a comparé la politique israélienne au nazisme : «Le nazisme qui a versé notre sang et qui a usurpé notre indépendance et notre souveraineté n’est pas moins mauvais que le nazisme qui a occupé la France». Ségolène Royal n’a pas réagi et cela lui a été reproché en France dès que l’information a été connue.
La version donnée vingt-quatre heures plus tard par la candidate socialiste a remis les choses à plat. Ségolène Royal a affirmé -ce que l’ambassadeur de France qui se trouvait avec elle, Bernard Emié, a confirmé- qu’elle n’avait pas entendu cette phrase. Traduction tronquée, inattention ? François Hollande, le Premier secrétaire du Parti socialiste, a volé au secours de sa compagne en donnant foi à la première explication : «La traduction donnée à Ségolène Royal et à l’ambassadeur n’était qu’une traduction abrégée, sommaire, qui ne comportait pas tous les propos rapportés par ailleurs [par un autre traducteur] aux journalistes». Pour couper court à la polémique, Ségolène Royal a ensuite déclaré que si elle avait entendu «ces propos inadmissibles», elle aurait immédiatement quitté la salle.
«Simple» ne veut pas dire «simpliste»
La mise au point de la candidate socialiste à la présidentielle n’a pas empêché la droite française de se déchaîner contre elle. François Fillon, l’un des conseillers politiques de Nicolas Sarkozy, a estimé qu’elle avait cumulé les «fautes». D’abord en acceptant de rencontrer un député du Hezbollah, «une organisation qui prône la destruction d’Israël», ensuite en laissant «insulter sans réagir les alliés de la France, qu’il s’agisse des Etats-Unis ou d’Israël». Philippe Douste-Blazy, le ministre français des Affaires étrangères, ne l’a pas épargnée non plus. Il s’est référé à une phrase du général de Gaulle : «J’allais vers l’Orient compliqué avec des idées simples», pour lui asséner que «simple» ne voulait pas dire «simpliste». L’un de ses prédécesseurs, Hervé de Charrette, a aussi attaqué Ségolène Royal. Il a estimé qu’elle s’était laissée «complètement piégée par le Hezbollah» et que cela «embarrassait la diplomatie française». Les reproches adressés à la candidate socialiste insistent sur le manque de préparation de sa visite et sur son incapacité à évaluer les subtilités de la situation régionale qui représentent, selon ses détracteurs, un danger pour la politique étrangère de la France.
Cette polémique est tout de même restée extrêmement franco-française. Sur place, l’incident durant la rencontre de Ségolène Royal avec un député libanais du Hezbollah n’a pas provoqué de réactions virulentes. Il n’a même eu aucune influence sur le déroulement de sa visite qui s’est poursuivie comme prévue. Elle l’a menée en Jordanie, en Israël et dans les Territoires palestiniens. Ségolène Royal est d’ailleurs la première responsable politique française à s’être rendue à Gaza depuis l’arrivée du Hamas au pouvoir, après les élections législatives de janvier 2006. Elle y a rencontré le président Mahmoud Abbas et a salué ses «efforts» pour constituer un gouvernement d’union nationale. Mais la candidate socialiste a renoncé à voir des membres du Hamas, alors qu’elle revendique de pouvoir discuter avec tous les représentants élus démocratiquement. Après l’épisode du Hezbollah au Liban, elle n’a pas pris le risque de commettre un impair en rencontrant les membres d’un parti qualifié de «terroriste» par la communauté internationale.
Une présidente potentielle
Ségolène Royal n’a donc pas voulu jouer une partition trop difficile au Proche-Orient. Elle a évité les écueils prévisibles et les dérapages attendus grâce à des déclarations prudentes. Elle a, par exemple, abordé la question du conflit israélo-palestinien en ménageant la chèvre et le chou : «Le peuple palestinien a droit à un Etat souverain et viable, et Israël à une sécurité durable». Personne ne trouvera à y redire. De même lorsqu’elle s’est prononcée en faveur de la reprise de l’aide européenne aux Palestiniens, Ségolène Royal a préféré le faire devant une assemblée composée d’étudiants et non à la suite de la rencontre avec Mahmoud Abbas, pour qu’il n’y ait pas d’utilisation abusive de ses déclarations. Elle n’a pas, non plus, tenté de faire valoir sa différence en allant contre la ligne diplomatique officielle de la France. Au Liban, par exemple, elle a respecté l’interdit présidentiel en ne voyant pas le président Emile Lahoud, jugé trop pro-syrien par Jacques Chirac.
Gaffe ou pas gaffe, cette tournée a certainement permis à Ségolène Royal d’entrer dans les habits d’une candidate crédible sur la scène internationale. Elle a rencontré tous les interlocuteurs qui comptent dans la région. Au Liban, elle s’est entretenue avec le Premier ministre Fouad Siniora, le président du Parlement Nabih Berry, l’ancien président chrétien Amine Gemayel (dont le fils Pierre, ministre de l’Industrie, vient d’être assassiné), le chef druze Walid Joumblatt, le général chrétien Michel Aoun. En Jordanie, elle a rencontré le Premier ministre, Maarouf Bakhit. En Israël, elle a dîné en tête à tête avec la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni. Elle a aussi été reçue par le ministre de la Défense Amir Peretz et le Premier ministre Ehud Olmert. Autant de rencontres qui prouvent qu’au Proche-Orient, l’option Ségolène Royal présidente est désormais considérée comme tout à fait plausible.
par Valérie Gas
Article publié le 04/12/2006 Dernière mise à jour le 04/12/2006 à 16:30 TU