Nations unies
Kofi Annan critique l'unilatéralisme américain
(Photo: AFP)
De notre correspondante à New York
C’était un discours en ombres. Jamais le secrétaire général Kofi Annan n’a prononcé le nom de George Bush. Mais mardi, dans son dernier discours devant un public américain, Kofi Annan, qui se prépare à quitter son poste à la fin de l’année, a sérieusement sermonné le président des Etats-Unis. Le lieu d’abord était symbolique : la bibliothèque Harry Truman, à Independence dans le Missouri. Truman, a rappelé le secrétaire général sortant, fut un des piliers de la construction des Nations unies et considérait que «la responsabilité des grands Etats est de servir et non de dominer les peuples du monde».
Lorsque l’ancien président américain fut confronté aux menaces que représentait la Corée du Nord pour la Corée du Sud, dans les années 1950, il insista pour que l’Onu se charge de la question, a souligné Kofi Annan dans une allusion à peine voilée à la guerre actuelle. Aujourd’hui, a-t-il encore déclaré, «quand la force est utilisée, surtout la force militaire, le monde ne peut trouver ce recours légitime que s’il est convaincu que c’est fait dans un but juste, pour des objectifs largement partagés et selon des normes largement acceptées». Les Etats-Unis, à «l'avant-garde du mouvement des droits de l'homme», ne peuvent prétendre y rester «que si l'Amérique reste fidèle à ses principes, même dans la lutte contre le terrorisme».
Des relations toujours orageuses
Les conservateurs américains se sont bien évidemment offensés de ces déclarations de l’homme qu’ils avaient appelé à démissioner, l’accusant de mauvaise gestion après la révélation du scandale pétrole contre nourriture. Kofi Annan «semble oublier que les Etats-Unis contribuent à hauteur de 25% au budget des opérations de maintien de la paix», s’est emportée la sénatrice républicaine Kay Baily Hutchison. De son côté, le porte-parole du Département d’Etat a fait comprendre qu’exprimer ce genre d’opinion sur la politique d’un pays ne relevait pas des fonctions du secrétaire général.
Rien ne laissait présager il y a dix ans, au moment de son entrée en fonction, que le diplomate ghanéen bouclerait ses deux mandats en faisant la leçon aux Etats-Unis qui avaient poussé son élection, pour qu’il prenne la place de Boutros Boutros Ghali, alors en conflit ouvert avec la secrétaire d’Etat Madeleine Albright. Annan avait alors une image plus docile. Les relations d’Annan et de la Maison Blanche se sont sérieusement gâtées en 2003, lorsqu’il a qualifié l’invasion de l’Irak d’«illégale». La guerre a eu des conséquences directes pour le secrétaire général, note un diplomate européen, qui a perdu un de ses proches lorsqu’une attaque contre un bâtiment des Nations unies a provoqué la mort de Sergio de Mello, le responsable de la mission.
Les relations de l’Onu et des Etats-Unis pourraient prendre un nouveau tour alors que l’ambassadeur américain John Bolton, célèbre critique de l’institution onusienne, a annoncé sa démission et que le Sud-Coréen Ban Ki-moon arrive pour prendre la succession de Kofi Annan. A l’Onu, certains en doutent. «La dégradation des relations ne remonte pas à George Bush. Elle s’était déjà amorcée sous Clinton, avant même que le Congrès soit républicain», fait valoir un haut diplomate des Nations unies. Menés par Bolton ou un autre représentant, les Etats-Unis comptent jouer, aux Nations unies, un rôle qui leur convienne mieux. Par exemple, ils verraient bien l’un des leurs à la tête des opérations de maintien de la paix, un poste qui a longtemps échu à un Français.
Alors qu’il doit quitter les Nations unies le 31 décembre, Kofi Annan semble mettre l’accent sur ce qu’il n’a pas réussi à obtenir, notamment une réforme du Conseil de sécurité pour qu’il soit un meilleur reflet du monde d’aujourd’hui et non plus de celui «de 1945». Dimanche, dans un discours à l’occasion de la journée des droits de l’homme, le secrétaire général sortant s’est interrogé sur ce que les Nations unies avaient accompli en la matière, sous son mandat. «A juger ce qui se passe au Darfour, notre performance ne s’est pas beaucoup améliorée depuis les désastres de Bosnie et du Rwanda», a-t-il déclaré.
par Guillemette Faure
Article publié le 12/12/2006 Dernière mise à jour le 12/12/2006 à 17:07 TU
Jeudi 14 décembre 2006
Journée spéciale Kofi Annan sur RFI en direct de New York
- à 6h50, 8H50 et 13h50 (heure de Paris) : Kofi Annan est l’Invité Afrique
par Christophe Boisbouvier- à 9h10 (heure de Paris) : Appels sur l’actualité par Juan Gomez Kofi Annan répond aux questions des auditeurs de RFI
- à 12h10 (heure de Paris) : Grand reportage (rediffusion à 19h40)
« Dans les coulisses de la dernière tournée de Kofi Annan ».
Un reportage de Jean Karim Fall.
- à 19h15 (heure de Paris) : Le débat du jourJean François Cadet reçoit Jean-Marie Guehenno, chargé des opérations de maintien de la paix et Jean-Paul Ngoupandé, ex-ministre des Affaires étrangères de la République centrafricaine.
Tout au long de la journée dans les journaux d’informations, des sujets et des reportages sur le bilan de la décennie Kofi Annan : réforme de l’ONU, l’Iran, le conflit en Irak, le multilatéralisme, le Darfour…).