Israël
Le lapsus nucléaire d’Olmert
(Photo: AFP)
En répondant, lundi, à une question posée par les journalistes de la chaîne allemande N24 Sat1, le Premier ministre israélien a inclus son pays dans la liste des Etats possédant la bombe atomique : «Nous n’avons jamais menacé un pays d’annihilation. L’Iran menace ouvertement, explicitement et publiquement de rayer Israël de la carte. Pouvez-vous dire qu’il s’agit du même niveau de menace lorsqu’ils [les Iraniens] aspirent à avoir des armes nucléaires, comme la France, les Américains, les Russes et Israël ?». Cette déclaration a provoqué immédiatement une vague de réactions, notamment en Israël, où l’opposition, de droite comme de gauche, a même demandé la démission du chef du gouvernement.
Ces déclarations ont même amené le ministre israélien des Infrastructures, Ben Eliezer, à faire une mise au point menaçante sur les ondes de la radio militaire, en déclarant : «Je suis partisan de la politique d’ambiguïté et je ne considère pas les propos de M. Olmert comme un affirmation selon laquelle Israël possède des armes nucléaires. Je recommande à tous ceux qui veulent continuer de parler de cette affaire, de cesser de le faire, au nom de Dieu et au nom de la sécurité d’Israël».
Ambiguïtés stratégiques
Lors d’une conférence de presse, mardi, à Berlin, en compagnie da la chancelière allemande Angela Merkel, Ehud Olmert a répété que son pays «ne serait pas le premier Etat à introduire l’arme atomique dans la région». Il a souligné que la position de son gouvernement n’avait pas changé sur ce sujet. En réalité, Israël maintient une politique d’ambiguïté sur cette question, refusant de confirmer ou de démentir ses capacités en matière d’armement nucléaire.
Des analystes militaires, cités par la presse israélienne, ne savent pas si Olmert a fait une erreur avec ce lapsus, ou s’il a purement et simplement détruit cette «politique d’ambiguïté stratégique». En réalité, Israël, qui n’a pas signé le Traité de non-prolifération (TNP) de 1968, bénéficie d’un volume d’aide militaire américaine, près de deux milliards de dollars par an, du fait de ne pas se déclarer comme étant une puissance disposant d’armement atomique. Ce traité non signé par Israël a néanmoins été adopté par Téhéran.
Secret de Polichinelle
Le journal Le Monde, publié mardi à Paris, soulignait dans son éditorial que «depuis des décennies, c’est un secret de Polichinelle : Israël est une puissance nucléaire militaire». Il s’agirait même d’une évidence pour les responsables américains. Ainsi, Robert Gates qui prend le département de la Défense, après le départ de Donald Rumsfeld, a déclaré, la semaine dernière, lors d’une audience devant la commission des forces armées du Sénat, qu’Israël est effectivement une puissance nucléaire. Il a notamment souligné que l’Iran est entouré de pays disposant d’armes nucléaires : «le Pakistan à l’est, la Russie au nord, Israël à l’ouest».
Il faut aussi rappeler les déclarations de l’ancien Premier ministre israélien Shimon Peres qui avait révélé, en 2001, que le gouvernement français dirigé par Guy Mollet avait décidé d’aider Israël à se doter de «capacité nucléaire», suite à des négociations secrètes avec les dirigeants hébreux, en prévision du déclenchement de la guerre contre l’Egypte, après la nationalisation du Canal de Suez par Nasser en 1956. Les différents gouvernements israéliens n’ont jamais voulu confirmer ce genre d’informations, préférant maintenir une «politique d’ambiguïté stratégique». Israël disposerait de 170 ogives nucléaires, un nombre presque identique à celui de la Grande-Bretagne (200), tandis que la France en possède 350, selon des données publiées par la fondation Carnegie pour la paix internationale.
Le «club» des pays disposant d’armes nucléaires
Tout porte à croire qu’Israël est devenu un membre du club des puissances nucléaires militaires de la planète. Les Etats-Unis en font partie depuis 1945, suivis par l’Union soviétique depuis 1949. Le Royaume-Uni y est entré en 1952, tandis que la France a fait exploser sa première bombe atomique en 1960 et la Chine quatre ans après. Ce n’est qu’en 1974 que l’Inde a fait son entrée dans ce club, tandis que le Pakistan n’y accéda qu’en 1998. La Corée du Nord, le membre le plus jeune, a fait exploser son premier engin le 8 octobre dernier. Ces trois derniers pays ne font partie du Traité de non-prolifération (TNP).
Il faut noter que les autorités sud-africaines ont annoncé officiellement en 1993 avoir démantelé six armes nucléaires et renoncé à toute fabrication d’armes atomiques à l’avenir. Ce processus a été supervisé par l’Agence internationale de l’énergie atomique. L’Afrique du Sud a été ainsi le seul Etat, disposant de capacités atomiques militaires, à abandonner ce club des possesseurs de bombes nucléaires. Mais il n’y a pas d’informations exactes quant à la date et à la nature des essais atomiques sud-africains qui auraient été réalisés durant le régime d’apartheid.
Risques de prolifération
D’autres Etats, tels que le Brésil et l’Argentine, ont reconnu avoir voulu effectuer des recherches en matière d’armement nucléaire, mais ont officiellement abandonné ces projets. Suite à l’essai nord-coréen, les Japonais ont commencé à évoquer l’hypothèse de se doter d’armement atomique, tout en étant le seul pays au monde à avoir été atteint en 1945 par le feu nucléaire.
La Turquie, pays de l’OTAN, se prépare aussi à lancer un programme nucléaire civil pouvant avoir des applications militaires, car Ankara se méfie beaucoup des intentions du régime iranien en matière nucléaire. L’Arabie Saoudite, qui a pu financer les recherches et l’acquisition d’armes atomiques par le Pakistan, s’inquiète également du programme nucléaire iranien.
Ehud Olmert a fait ce lapsus polémique, à la veille de sa tournée en Europe, qui l’a conduit en Allemagne puis en Italie. Il a profité de l’occasion pour appeler à des sanctions contre le régime iranien, qu’il soupçonne de vouloir se doter d’armes nucléaires. Téhéran veut faire croire que son programme d’enrichissement d’uranium est simplement à des fins pacifiques, notamment pour la production d’énergie électrique. Le Proche et Moyen-Orient risquent ainsi de devenir des zones nucléaires militaires, si ce n’est pas déjà le cas. L’éclosion d’un conflit atomique dans cette région aurait, évidemment, des conséquences à l’échelle globale.
par Antonio Garcia
Article publié le 12/12/2006 Dernière mise à jour le 12/12/2006 à 19:09 TU