Somalie
Hôpital, école, la vie sans les Tribunaux islamiques à Mogadiscio
(Photo Manu Pochez / RFI)
Santé, éducation. Depuis que l’Etat s’est effondré en Somalie, les habitants de la capitale n’ont accès qu’épisodiquement aux hôpitaux ou aux écoles. Des services publics qui tentent de perdurer, malgré les combats sporadiques et le manque de moyens. Certains en viennent même à regretter les Tribunaux islamiques qui assuraient une certaine sécurité.
De notre envoyée spéciale à Mogadiscio
A l'hôpital Madina, l'hôpital chirurgical de Mogadiscio, on inscrit tous les jours au feutre, sur un grand tableau, le nombre de consultations, le nombre d'hospitalisations et le nombre de blessés par balle. «Ils sont la majorité», constate Ali Moalin Mohamed, administrateur de l'hôpital depuis sa réhabilitation par le CICR, en 2000. Et pour chacun des blessés couchés dans les lits, il détaille : «celui-ci a reçu deux balles dans le ventre, des miliciens qui voulaient lui voler son téléphone portable. Elle, elle vendait des marchandises sur le bord de la route. Elle a reçu une balle perdue au passage d'un convoi éthiopien. On ne sait pas s'ils ont tiré pour se défendre, ou s'ils ont seulement cru qu'ils étaient attaqués.»
(Photo Manu Pochez / RFI)
En ce moment, c'est plutôt calme. Mais depuis sept ans, les six chirurgiens de l'hôpital Madina n'arrêtent pas. Règlements de comptes, combats entre clans, brigandage. «Une nuit, se souvient Ali Moalin, on en a reçu 85 d'un coup...» Alors, lorsqu'on lui demande si il croit que cela va s'arrêter un jour, l'administrateur soupire. «On espère, on espère. Mais vous savez, ça fait seize ans que ça dure. Il va falloir que le gouvernement travaille très dur pour remettre de l'ordre».
«Pendant les Tribunaux islamiques, ce n’était pas comme ça»
Abdirahmane Dinari, le porte parole du gouvernement de transition, affirme que l'ordre règne dans 90 % de la ville. Vendredi soir pourtant, des combats à l'arme lourde ont secoué Mogadiscio pendant une dizaine de minutes. «Ce n'était rien, dit il, des miliciens qui ont lancé une grenade contre le mur de la présidence. Nous avons riposté. Mais ce sont juste des gens qui veulent faire croire que la situation est instable à Mogadiscio». Il ajoute pourtant que le gouvernement de transition a fait de la sécurité en ville une priorité. «Il y a deux millions et demi d'habitants ici. Nous avons les moyens de payer seulement mille policiers, alors qu'il en faudrait plus de dix mille. On a déjà demandé plus de dix fois à la communauté internationale de nous aider. S'ils veulent venir au secours de la Somalie, c'est maintenant qu'il faut le faire !»
(Photo Manu Pochez / RFI)
Et de fait, les habitants de Mogadiscio s'inquiètent de la détérioration de la sécurité. «Les voleurs sont revenus», déclare Aweys, professeur de français. «Ils sont revenus parce qu'ils n'ont peur de personne. Pendant les Tribunaux islamiques ce n'était pas comme ça. On pouvait utiliser les téléphones portables au marché. On pouvait même marcher dans la rue la nuit » Aujourd'hui, les opinions sont partagées. Les islamistes avaient interdit le qat, les cigarettes, le cinéma, mais ils avaient aussi découragé les voleurs.
L’école pour les plus chanceux
Les adolescents, eux, ont été ravis de les voir partir. Cet après midi, ils s'entassent sous un hangar de tôle pompeusement baptisé cinéma, assis par terre, les yeux rivés sur une petite télévision. Selon les jours, on y projette des films indiens ou américains, sans sous-titres, et surtout, en direct, les matches du championnat de football d'Angleterre. Le foot. La passion des adolescents de Mogadiscio.
(Photo Manu Pochez / RFI)
Le matin, les plus chanceux vont à l'école. Depuis que l'Etat s'est effondré, en Somalie, l'enseignement est livré tout entier aux entrepreneurs privés. C'est cher, c'est donc réservé à l'élite. Les estimations, toutes approximatives, donnent un taux de scolarisation de 10 à 20 %. L'école Hamar est l'une des plus grandes de la capitale. 2 230 élèves, garçons et filles, du primaire au secondaire. Uniforme obligatoire, les garçons portent pantalon et chemise blanche, les filles une grande robe et un voile. Le bâtiment était, à l'origine, une école publique. Récupéré et réhabilité par un groupe d'enseignants, il est aujourd'hui propre et bien entretenu. 10 à 14 dollars par mois et par enfant, et 3 à 5 dollars, en option, pour ceux qui veulent utiliser le service de ramassage scolaire. De vrais bus, treize en tout, qui vont chercher les élèves chez eux et les y ramener.
«Avant, se souvient le proviseur, Abdurahmane Cheikh Mahmoud, tout était gratuit. Mais finalement, la qualité de l'enseignement est meilleure aujourd'hui qu'avant la guerre. Les parents payent, donc ils suivent les études de leurs enfants, et les enseignants sont payés, donc on surveille de près leur travail». Au programme, dès l'école primaire : anglais, arabe, somali, anglais, sciences et religion. Et on ne plaisante pas avec l'autorité. «Ils sont difficiles, ces enfants là», se plaint Adburahmane Cheikh Mahmoud. «Ils ont grandi dans l'anarchie, ils sont habitués aux tueries et aux pillages. Alors parfois, lorsqu'on les gronde, ils disent : "OK, ici dans l'école tu es le plus fort, mais une fois dehors je vais me venger".»
Les enfants de la diaspora
(Photo Manu Pochez / RFI)
Les retardataires rentrent en classe à grands coups de badine. Autorité, morale, discipline. Tout ce qui manque dehors. Les méthodes ont même séduit au-delà des frontières… Dans l'école Hamar il y a un pensionnat, et plusieurs dizaines de petits somaliens pas comme les autres. On les reconnaît à leur façon de marcher, et surtout de parler. Ceux là sont issus de la diaspora, ils ont grandi en Grande Bretagne, aux Etats-Unis ou au Canada. Officiellement, ils sont là pour apprendre «leur culture et leur religion». Mais le proviseur confie que la plupart étaient en train de mal tourner là-bas. Pour les remettre dans le droit chemin, les parents les ont donc envoyés en pension à Mogadiscio. «Quand je suis arrivé, c'était bizarre», confie Mohad, 18 ans, arrivé il y a trois mois d'Edmonton au Canada. «J'ai atterri à Mogadiscio, j'avais la trouille, je ne voulais même pas sortir de l'aéroport ! Mais finalement, on s'habitue.»
Envoyer ses enfants en Somalie, pour leur apprendre les bonnes manières ? Personne ici ne comprend notre étonnement. Ce n'est pas le moindre des paradoxes, dans cette ville folle où, depuis seize ans, il a bien fallu continuer à vivre.par Donaig Le Du
Article publié le 22/01/2007 Dernière mise à jour le 22/01/2007 à 13:31 TU