France
Ouverture du procès de l'Erika
(Photo : AFP)
En 1999, le naufrage du pétrolier Erika provoqua une marée noire sur le littoral français, polluant 400 kilomètres de côtes. Sept ans après, le procès s’est ouvert, ce lundi, à Paris. Le géant pétrolier Total, affréteur du navire, l’armateur, la société de classification italienne Rina et les secours, doivent expliquer pourquoi ce navire a pris la mer en pleine tempête malgré des traces de corrosion signalées lors de plusieurs inspections. Ce procès sans précédent va durer quatre mois et coûter quelque 600 000 euros, ce qui en fait l’un des plus chers de l’histoire judiciaire française.
Après sept ans d'enquête, Total et douze personnes physiques et morales comparaissent devant la justice qui cherche à démêler les responsabilités de cette catastrophe écologique qui révèle la complexité du monde du transport maritime, où pullulent sociétés écrans et intermédiaires.
Le 12 décembre 1999, l’Erika se brise en deux et sombre au large de la Pointe de Penmarc’h, sur la côte de Bretagne (nord-ouest de la France). 20 000 tonnes de fioul lourd se déversent sur 400 kilomètres de côtes, provoquant une catastrophe écologique sans précédent. 150 000 oiseaux ont été mazoutés, l’économie bretonne sinistrée, le secteur du tourisme lourdement touché. Les victimes de l’Erika, plus de 70 parties civiles, dont de nombreuses collectivités ou associations bretonnes, réclament des indemnisations pour ce désastre, dont ils estiment le préjudice à plus d’un milliard d’euros.
Pourquoi un navire en mauvais état a-t-il pris la mer en pleine tempête? Les deux tiers des cinquante neuf audiences seront consacrés à la période qui a précédé l'accident. L'accusation pointe les responsabilités de Total. Elle estime que le groupe pétrolier français a affrété, en toute connaissance de cause, un navire dangereux, vieux de près de 25 ans et en mauvais état, pour transporter plus de 30 000 tonnes de fioul lourd. Un premier rapport d'experts fournit des arguments dans ce sens. Il fait état d’une absence de procédure de «vetting» (inspection menée habituellement par Total) et le fait que le groupe pétrolier se refusait normalement à affréter des navires aussi âgés.
Pour son dernier voyage, l'Erika a d'abord été affrété par une société des Bahamas, agissant par l'intermédiaire d'une société suisse. Il a ensuite été sous-affrété par une filiale de Total basée au Panama, représentée par une société britannique. La cargaison a été vendue deux fois entre deux filiales de Total, dont une basée aux Bermudes, puis cédée finalement à un utilisateur final, en Italie.
A l’ouverture du procès, Total a plaidé non coupable. Pour le groupe français, l’enjeu est de taille. Poursuivi pour «complicité de mise en danger d’autrui» et «pollution maritime», Total encourt une simple amende, mais risque gros au niveau de l’image. En effet, s’il est condamné, le groupe pétrolier risque d'avoir à payer de lourds dommages et intérêts, réclamés par les parties civiles, dont de très nombreuses collectivités locales, au moment où le groupe affiche des bénéfices records, de quelque 12 milliards d’euros en 2005 et autant prévu en 2006.
L'Erika, navire construit au Japon en 1975, a changé huit fois de propriétaire et trois fois de pavillon (Panama, Liberia, Malte) au cours de son existence. Au moment de la catastrophe, en 1999, il appartenait à une société maltaise, Tevere Shipping, contrôlée par deux sociétés libériennes, dont les actions étaient détenues par un Italien basé à Londres, Giuseppe Savarese, bénéficiant de la garantie d'une banque britannique, la Bank of Scotland.
Alors que plusieurs inspections avaient détecté une corrosion dangereuse qui n'a pas été traitée correctement, l’accusation va chercher à démontrer que l'armateur, endetté, payait les traites du bateau avec son affrètement, sans vouloir l'immobiliser pour les travaux nécessaires.
La société italienne de certification Rina, mondialement réputée, est appelée à la barre pour expliquer pourquoi elle a classé l’Erika parmi les bateaux en état de naviguer. Mais, dès l’ouverture du procès, Rina a réfuté la compétence d’une juridiction française invoquant son «immunité internationale» consentie, selon elle, par Malte, puisque l’Erika battait pavillon maltais.
Pour sa part, le capitaine indien de l’Erika, Karun Mathur ne s’est pas présenté au procès. Il est accusé d’avoir dissimulé les avaries du bateau et d'avoir changé de cap dans la tempête sans avoir averti les autorités.
Alors que le procès de l’Erika vient de s’ouvrir, la polémique sur sa cargaison rebondit, après un reportage de la chaîne publique France 3 accusant Total d’avoir fait transporté des «résidus de fonds de cuve», plus cancérogènes que le fioul. D’autre part, une étude récente de l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse (Ensa) insistait sur le caractère cancérogène de la cargaison, accusant les autorités d’avoir «minimisé» les risques. Dans ce contexte, l’association des bénévoles de l’Erika et le collectif anti-marée noire de Saint Nazaire ont appelé les nombreux bénévoles ayant nettoyé les plages à faire part de leurs éventuels problèmes de santé sur un site internet.
Trois candidats à la présidentielle présents à l'ouverture du procès
Les analyses réalisées après le naufrage pour caractériser la cargaison étaient incomplètes, affirme Corinne Lepage, avocate des parties civiles et candidate à la présidentielle. Ce lundi, à l’ouverture du procès, elle a posé la responsabilité des affréteurs et défendu l’application du principe du «pollueur-payeur» à tout le monde «y compris au monde pétrolier».
Comme la candidate Corinne Lepage, deux autres candidats sont intervenus, avant l’ouverture du procès, pour demander des avancées en matière de sécurité maritime. Dominique Voynet, candidate des Verts, ministre de l’Environnement au moment du naufrage, très critiquée pour ses réactions jugées tardives et des déclarations où elle paraissait minimiser l'ampleur de la catastrophe, s’est dite «très désireuse de voir Total s’expliquer enfin». Pour sa part, Philippe de Villiers, candidat du Mouvement pour la France et président du conseil général de Vendée (partie civile) a dénoncé les «navires pourris». Très attendue, la socialiste Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, s’est faite représenter par le vice-président François Patsouris, mais n’a toutefois pas exclu de faire une apparition lors d'une audience.
Depuis la catastrophe écologique de l’Erika, pressée par l’opinion publique, l’Union européenne (UE) a créé une Agence européenne pour la sécurité maritime, mis en place des mesures pour mieux contrôler les bateaux et empêcher la circulation des plus dangereux. Ainsi, depuis 2003, aucun pétrolier à simple coque transportant du pétrole ne peut plus entrer ni sortir des ports de l’Union européenne. Depuis 2005, ces pétroliers sont interdits de transit à proximité des côtés européennes et les pays membres de l’UE sont obligés d’inspecter au moins 25% des navires qui font escale dans leurs ports. D’autres mesures de renforcement des contrôles des navires à risque ont été présentées à l’automne 2005 par la Commission européenne mais pas encore adoptées.
par Elisa Drago
Article publié le 12/02/2007 Dernière mise à jour le 12/02/2007 à 19:08 TU