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Environnement

Après le naufrage, la catastrophe écologique ?

Le Prestige a coulé à 270 kilomètres au large de l’Espagne par 3 700 mètres de fond. Il a emporté dans ses réservoirs au moins 65 000 tonnes de fioul dont on ne sait pas de quelle manière et à quelle vitesse, elles vont polluer les fonds marins et détruire la faune et la flore. En essayant de préserver au maximum les côtes d’une arrivée massive de nappes d’hydrocarbures, les autorités espagnoles ont pris le risque de provoquer, au large, une catastrophe écologique tout aussi majeure et totalement incontrôlable.
Dès l’annonce de l’avarie du Prestige, les autorités espagnoles ont décidé de tout tenter pour remorquer le bateau le plus loin possible des côtes nationales, hors de la zone d’autonomie des services de sauvetage maritime espagnols, au-delà de laquelle il est sous la responsabilité de son armateur. De cette manière, il s’agissait de préserver le plus possible le littoral, déjà souillé, d’une nouvelle marée noire de grande ampleur. Le Prestige transportait, en effet, 77 000 tonnes de fioul sur lesquelles un peu plus de 10 000 tonnes se sont déjà écoulées. Mais aussi, de partager la gestion de la catastrophe avec les armateurs du bateau et les partenaires européens susceptibles d’être impliqués.

Parmi ceux-ci, le Portugal a pris ses distances dès le départ en refusant d’accueillir le pétrolier dans l’un de ses ports. Le ministre de la Défense, Paulo Portas, a ainsi estimé que «cela reviendrait à transférer vers le Portugal un ensemble de conséquences écologiques» dont il n’était pas «responsable». Mardi encore, Lisbonne a pris la précaution de préciser que le bateau avait coulé hors des eaux territoriales portugaises. En matière de marée noire, la solidarité européenne a, semble-t-il, ses limites.

Malgré tout, plusieurs pays se sont portés volontaires pour apporter leur aide logistique à l’Espagne. L’Italie, la Belgique, l’Allemagne, le Danemark et la France qui est directement intéressée car, en fonction des vents et des courants marins, une pollution de ses côtes est toujours envisageable dans les prochains jours.

Une bombe à retardement

Au-delà de la polémique sur les responsabilités et l’engagement des uns et des autres, la décision de remorquer le Prestige a eu pour conséquence de faire couler, à une profondeur qui la rend quasiment inaccessible, une cargaison qui a tout d’une bombe à retardement. Il va être très difficile, pour ne pas dire impossible, de pomper le fioul dans les cuves du bateau par 3 700 mètres de fond. Dans ces conditions, il y a deux cas de figure possible. Soit le pétrole est toujours à l’intérieur du navire, et il va constituer une source potentielle de pollution dont il est difficile d’envisager l’évolution. Dans le meilleur des cas, il se solidifiera en atteignant des températures très basses et ne provoquera pas l’apparition de nouvelles nappes en surface. Soit les parois des cuves vont céder sous la pression de l’eau et le fioul va se répandre massivement avant d’avoir atteint la profondeur à laquelle il pourrait devenir solide. Dans ce cas, les conséquences écologiques seront évidemment encore plus importantes. La faune et la flore seront polluées et il faudra de nombreuses années pour permettre au fioul de disparaître.

Pour Eco Matser, un expert de l’organisation écologique Greenpeace, «ce n’est pas uniquement le pétrole qui se déverse sur les côtes qui est dangereux mais aussi celui qui se répand sur les fonds marins et qui va détruire les coraux, les poissons, et d’autres espèces marines».

Du point de vue espagnol, par contre, on a évité le pire. Mariano Rajoy, le vice-président du gouvernement, a estimé que «les choses se sont en fin de compte raisonnablement terminées» car en amenant le navire vers un port, le risque de provoquer des fissures aurait été supérieur et les conséquences «dramatiques».

Quoi qu’il en soit, la question qui se pose maintenant, comme à chaque fois qu’une catastrophe de ce type se produit, est de savoir comment éviter un nouveau naufrage de pétrolier plein à ras bord de produits polluants. Après l’accident de l’Erika en 1999, les pays européens avaient décidé de renforcer les contrôles opérés sur les navires qui transitaient dans leurs ports. Mais les premières mesures décidées par l’Union européenne, notamment pour rendre obligatoire une inspection annuelle des navires de plus de 15 ans [le Prestige avait 26 ans], n’entreront pas en vigueur avant un an. D’autre part, l’obligation faite aux pays européens de contrôler 25 % des navires qui transitent par leurs ports n’est pas du tout respectée. La France, par exemple, ne vérifie à l’heure actuelle qu’environ 10 % des navires faute d’inspecteurs en nombre suffisant.

Quelles que soient les mesures envisagées, elles ne résoudront pas l’ensemble des problèmes. En matière de transport maritime de produits polluants, le principal danger vient du fait que la plupart des bateaux naviguent sous pavillon de complaisance et échappent ainsi à la réglementation en vigueur. Après leur implication dans plusieurs accidents majeurs, comme celle de Total dans le naufrage de l’Erika en 1999, les principales compagnies pétrolières ont accentué cette tendance en décidant de se désengager du transport. Elles ont de plus en plus fait appel à ces sociétés installées dans des paradis fiscaux, comme les Bahamas ou le Liberia, qui proposent des tarifs alléchants mais ne remplissent pas les normes de sécurité et utilisent des navires dangereux. Le Prestige est un exemple parfait des risques engendrés par de telles pratiques.

La mise en place de contrôles dans les ports européens pourrait limiter les dangers. Mais seulement dans le cas des navires qui s’y arrêteraient. A propos du Prestige, une polémique est née entre l’Espagne et la Grande-Bretagne concernant un contrôle qui n’aurait pas été effectué lors d’un passage du navire à Gibraltar et aurait pu éviter le drame. Ce que dément formellement Londres. Reste le cas des bateaux qui ne font que passer au large et échappent aux vérifications, mais peuvent très bien faire naufrage et provoquer des marées noires. A ce niveau, il faut agir pour engager la responsabilité à la fois des «affréteurs» et des «armateurs» dans la réparation des dégâts et l’indemnisation des victimes. De manière à ce que le coût potentiel d’une marée noire rende, de leur point de vue, l’investissement en faveur de la sécurité des bateaux rentable.



par Valérie  Gas

Article publié le 20/11/2002