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Sri Lanka

Civils entre deux feux

Reportage parmi les déplacés de la région de Batticaloa. 

		(Carte : Geoatlas/RFI)
Reportage parmi les déplacés de la région de Batticaloa.
(Carte : Geoatlas/RFI)

Les affrontements entre armée gouvernementale et guérilla tamoule provoquent des mouvements de population incessants. Des dizaines de milliers de personnes sont entassées dans des camps et parfois contraintes de retourner dans leurs villages d'origine, sous peine de voir leur aide humanitaire coupée. Et cela, malgré le fait que ces zones soient encore dangereuses. Reportage sur la côte Est.


De notre envoyé spécial à Batticaloa,

En quelque jours à peine, les Nations unies ont enregistré près de 80 000 personnes fuyant les bombardements, laissant derrière elles maisons et bétail. Aujourd'hui, ces villageois tamouls s'entassent dans des camps précaires quand il y trouvent de la place. A l'école d'Arayampathy, des centaines de familles ont empilé tables et chaises au fond des classes et dorment à même sol. Certains n'ont trouvé refuge que sous les arbres dans la cour. «Tout ce que j'ai, je le porte sur moi. Nous sommes partis en pleine nuit et nous avons marché une journée avant d'arriver. J'avais l'impression que la prochaine bombe allait nous tomber dessus», raconte Krishnagobal Sivamalar, 27 ans et mère de trois enfants.

Les familles se réfugient dans les écoles. Avec près de 150 000 personnes
déplacées dans la région, les camps sont bondés.
 

		(Photo : Mouhssine Ennaïmi/RFI)
Les familles se réfugient dans les écoles. Avec près de 150 000 personnes déplacées dans la région, les camps sont bondés.
(Photo : Mouhssine Ennaïmi/RFI)

Depuis que l'armée sri lankaise a repris le village de Vakaraï, le long de la côte Est, l'état-major s'attaque maintenant à la poche contrôlée par les Tigres de Libération de l'Eelam Tamoul (LTTE) dans la jungle de Thopigalla, à l'ouest de Batticaloa. Une zone densément peuplée. De jour comme de nuit, l'armée régulière pilonne au mortier les positions de la guérilla indépendantiste tamoule qui revendique les territoires du nord et de l'est du Sri Lanka. «Nous voulons anéantir le LTTE militairement, économiquement et sur la scène internationale. C'est le seul moyen de les faire venir à la table des négociations», confie ce haut cadre du ministère de la Défense qui exige l'anonymat.

Chantage à l'aide humanitaire

Dans la région de Batticaloa, les camps de populations civiles déplacées par
les combats s'étendent à perte de vue.
 

		(Photo : Mouhssine Ennaïmi/RFI)
Dans la région de Batticaloa, les camps de populations civiles déplacées par les combats s'étendent à perte de vue.
(Photo : Mouhssine Ennaïmi/RFI)

Au total, la région de Batticaloa compte désormais près de 150 000 déplacés disséminés dans les 92 camps que compte la circonscription. Que ce soit le long des routes, sur des terrains sablonneux jouxtant le lagon, ou en face d'un temple, partout les tentes poussent comme des champignons. A l'intérieur de ces abris de fortune, la chaleur est étouffante. Là aussi, les réfugiés dorment à même le sol. Les humanitaires, eux, sont débordés face à cet afflux massif de civils et le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies tire la sonnette d'alarme. «A moins d'avoir de nouvelles subventions, nous allons manquer de nourriture dès la fin du mois d'avril», prévient Tony Banbury, directeur régional du PAM en Asie.

Menacées de voir les aides humanitaires coupées, les populations civiles sont contraintes de rentrer chez elles bien que leurs zones d'habitation soient encore dangereuses. 

		(Photo : Mouhssine Ennaïmi/RFI)
Menacées de voir les aides humanitaires coupées, les populations civiles sont contraintes de rentrer chez elles bien que leurs zones d'habitation soient encore dangereuses.
(Photo : Mouhssine Ennaïmi/RFI)

A une poignée de kilomètres, dans le camp de Kirimuddi, c'est le phénomène inverse. Plusieurs autobus affrétés par le gouvernement embarquent des dizaines d'habitants pour Sampur. «J'habite dans la région de Trincomalé. On m'a demandé de rentrer et on m'a dit que si je restais, on me retirerait ma carte de rationnement alimentaire et qu'on ne me donnerait même pas de l'eau à boire!», dit Veluyathan Sivaramalingham, 46 ans et père de cinq enfants.

Dans un camp voisin, plusieurs témoins rapportent que certains villageois ont été forcés de faire leurs sacs et de monter dans les bus. Des méthodes confirmées par le ministre chargé des populations déplacées ainsi que la plupart des organisations humanitaires présentes sur le terrain. Une situation d'autant plus ubuesque que ces personnes sont relogées dans un camp transitoire dans un autre district. Une façon de faire baisser les statistiques régionales et de laisser la place au nouveaux arrivants.

«Il reste encore 3 à 4 000 mines un peu partout»

Après plusieurs mois, les populations civiles retournent chez elles à Vakaraï malgré le fait que la région est encore truffée de mines anti-personnel. 

		(Photo : Mouhssine Ennaïmi/RFI)
Après plusieurs mois, les populations civiles retournent chez elles à Vakaraï malgré le fait que la région est encore truffée de mines anti-personnel.
(Photo : Mouhssine Ennaïmi/RFI)

Les habitants de Vakaraï ont subi les même menaces. Depuis que l'armée a repris le contrôle de ce village au nord de Batticaloa, les populations sont poussées à se réinstaller dans leurs maisons au plus tôt. Pourtant, la route côtière qui mène à ce bourg est défoncée. Les maisons sont détruites par les bombardements. A l'entrée de la ville, une dizaine de véhicules sont calcinés. Près de l'hôpital on aperçoit encore les tranchés où les habitants se réfugiaient durant les combats.

A leur arrivée, les habitants sont interrogés par l'armée avant d'être enregistrés sur les listes officielles. Des cartes d'identités «spéciales» leur seront délivrées un peu plus tard. Les autorités craignent en effet que des rebelles tamouls ne se glissent parmi les villageois afin de tenter de reprendre le village «de l'intérieur».

«Nous avons trouvé environ 2 000 mines mais on pense qu'il en restent encore 3 à 4 000 un peu partout», explique le lieutenant-colonel Chandana Weerakoon, en charge de la ville. «Une famille a trouvé un obus dans sa maison la semaine dernière. C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu d'incidents encore. C'est très risqué de revenir dans ces régions après les intenses combats qui y ont eu lieu», avertit cette humanitaire qui ne souhaite pas que son nom soit révélé de peur de représailles par les autorités. La zone, trop dangereuse ? Devant sa maison, ce jeune paysan en est convaincu. «Je n'ai plus de travail, je ne peux pas aller cultiver mon champ car il y a trop de mines dans ce coin là», dit-il consterné. Sa voisine soupire. Son mari est pêcheur. Son bateau est détruit et le filet a disparu.

En lançant l'offensive dans la jungle de Thopigalla, le gouvernement souhaite vider la zone contrôlée par la guérilla tamoule de ses populations civiles. Des bombardements sporadiques font fuir les habitants. Une fois les rebelles isolés, la région est pilonnée par un tapis d'obus. Il ne reste alors plus qu'à prendre le contrôle militaire de la région nouvellement conquise et à renvoyer les civils dans leurs villages d'origine. La même méthode a été appliquée pour la prise de Vakaraï au cours des six derniers mois.



par Mouhssine  Ennaimi

Article publié le 26/03/2007 Dernière mise à jour le 26/03/2007 à 13:27 TU

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Le Sri Lanka veut que les déplacés rentrent chez eux

«Ils m'ont même dit que si je restais dans le camp, ils ne me donneront rien, même pas de l'eau à boire !»

[19/03/2007]

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