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Soudan

Le long chemin vers la paix

Alors que le déploiement des agents et policiers des Nations unies, prévu dans la deuxième phase du plan de paix des Nations unies pour le Darfour, a débuté en douceur, les mouvements rebelles, non-signataires de l'accord d'Abuja, s'interrogent sur la meilleure façon de retourner à la table de négociations.

Les déserteurs zaghawa se sont retranchés dans l'est tchadien, frontalier du Darfour soudanais. 

		(Cartographie: SB/RFI)

Abuja, Nigeria, 5 mai 2006. L’accord de paix sur le Darfour est sur la table, après sept rounds de négociation entre Khartoum et les rebelles du Darfour. Seuls le gouvernement soudanais et la faction du Mouvement de libération du Soudan (MLS) de Minni Minawi vont signer. Les autres groupes rebelles rejettent le texte.

«La proposition d’accord présentée par les médiateurs ne parvenait pas à prendre en compte ou à résoudre les causes profondes du conflit au Darfour et c’est la principale raison pour laquelle nous l’avons rejeté», explique le chef négociateur à Abuja du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), Ahmad Tugod. «Quand l’accord est sorti, nous avons découvert que les médiateurs n’avaient retenu que les positions du gouvernement».

Coleen Thomas-Jensen, chercheur au sein de l’organisation International Crisis Group (ICG) était présent à Abuja lors des négociations. Il a très vite senti la défiance des rebelles envers la médiation. «Les mouvements rebelles ont senti que l’équipe de médiation de l’Union africaine était contre eux dès le début», explique l’analyste américain. «Effectivement, les représentants de l’Union africaine avec lesquels je parlai, étaient frustrés par rapport aux rebelles. C’est compréhensible, les rebelles étaient des négociateurs inexpérimentés et ils ne savaient pas ce qu’ils voulaient».

Lors du long processus de négociations, les mouvements rebelles ont eu des difficultés à présenter un front commun face à une médiation gouvernementale cohérente et sûre de ses positions, plus à cause de conflits de personnalités que de divergences de fond. Après plusieurs mois, la communauté internationale a fini par trouver que les pourparlers prenaient trop de temps. L’équipe de facilitateurs de l’Union africaine a donc fini par rédiger un accord de paix complet et l’a mis sur la table.

«Le gouvernement du Soudan a accepté de signer le texte quasi-immédiatement. À partir de ce moment-là, le poids de signer ou non l’accord, les pressions ont reposé uniquement sur les rebelles», précise M. Thomas-Jensen, ajoutant : «On s’est retrouvé avec cette situation perverse où le gouvernement du Soudan qui a commis la majorité des violences a accepté rapidement, sans même prendre le temps d’éplucher le texte pendant quelques jours. La plupart des observateurs ont alors compris que l’accord était inadéquat».

Selon la majeure partie des experts, l’accord de paix du Darfour, rédigé par la médiation, avait de nombreuses faiblesses, notamment il ne prévoyait pas de mécanismes de contrôle suffisant du cessez-le-feu entre les parties. Ni même pour le désarmement des Janjawids, les milices arabes alliées au régime de Khartoum, qui ont commis la majeure partie des atrocités au Darfour. Khartoum avait aussi tracé une ligne rouge en interdisant de faire mention du déploiement des Nations unies. L’accord évoque uniquement les troupes de l’Union africaine, depuis longtemps débordées par la crise. Ce déploiement était pourtant déjà prévu par la communauté internationale. Cet oubli sert aujourd’hui d’excuse au gouvernement soudanais qui brandit l’accord d’Abuja pour ralentir la mise en place de la force mixte ONU-Ua.

Le Darfour est situé à l’Ouest du Soudan. Divisé en trois Etats (Nord, Sud, Ouest) depuis 1989, il couvre une superficie aussi vaste que la France. 

		(Photo: Laurent Correau/RFI)
Le Darfour est situé a l’Ouest du Soudan. Divisé en trois Etats (Nord, Sud, Ouest) depuis 1989, il couvre une superficie aussi vaste que la France.
(Photo: Laurent Correau/RFI)

Le morcellement du Mouvement de libération du Soudan

L’un des ingrédients de l’échec d’Abuja fut la désorganisation et l’absence d’une position commune des deux mouvements rebelles, le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et le Mouvement de libération du Soudan (MLS). Les querelles étaient incessantes entre les groupes, mais aussi au sein des délégations. Si, au sein du MLS, la faction de Minni Minawi a signé, le reste du mouvement s’est ensuite fragmenté.

Pour Omer Ismaël, chercheur sur le Darfour a l’université de Harvard aux États-Unis, il était difficile de parler d’une unité du MLS, avant Abuja : «Ce sont des commandants locaux qui ont pris les armes pour défendre leurs territoires et leurs populations. Ce n’est qu’en février 2003, avec l’attaque sur Golo que Abdulwahid el-Nour évoque, dans une déclaration, le MLS». Les autres milices tribales entendent parler du mouvement et décident de le rallier. Ils se mettent en contact, alors que jusqu’à présent, éparpillés sur un territoire très vaste et divisés par la barrière de la langue, ils n’avaient jamais tenté de se regrouper. «Ils se sont mis sous la bannière du MLS, mais ont conservé leurs propres identités, militairement et politiquement», explique Omer Ismaël.

Bien qu’il ait un président, un vice-président et un secrétaire général, le Mouvement de libération du Soudan n’est jamais devenu une véritable organisation. Le mouvement n’a pas de réelle hiérarchie. À sa création, il ne propose aucun programme ou manifeste pour articuler ses demandes. Les différentes factions se sont même parfois entretuées sur le terrain, généralement à cause de conflits de personnalités.

«Avant même Abuja, le président Abdulwahid et le secrétaire général, Minni Minawi, étaient divisés», précise Omer Ismaël. «Je me souviens, le vice-président Abdallah Khamis est venu à Asmara début 2004. Abdulwahid et Minni travaillaient dans des bureaux séparés. La première chose qu’il a dit est ceci : créons un seul bureau, le bureau du MLS», ajoute-t-il. L’expérience dure une semaine. Selon le chercheur, c’est le seul moment où les deux leaders, Minni Minawi et Abdulwahid el-Nour, ont tenté de se réunir sous un même toit.

Près d’un an plus tard, la majorité des commandants militaires du MLS sont à Amaraï, au Nord-Darfour. Ils tentent de trouver de nouveaux dirigeants politiques. En vain.

De gauche à droite : Abdallah Khamis, vice-président du Mouvement de libération du Soudan (MLS) ; Khalil Ibrahim, président du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) ; Ibrahim Diraig, président du parti fédéraliste et démocratique soudanais, Sudan Federal Democratic Alliance (SFDA). 

		(Photos : Sonia Rolley/RFI)
De gauche a droite : abdallah Khamis, vice-président du Mouvement de libération du Soudan (MLS) ; Khalil Ibrahim, président du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) ; Ibrahim Diraig, président du parti fédéraliste et démocratique soudanais, Sudan Federal Democratic alliance (SFDa).
(Photos : Sonia Rolley/RFI)

Le rôle ambigu du Mouvement pour la justice et l’égalité

Après l’échec d’Abuja, l’Érythrée, l’un des pays qui soutient l’opposition soudanaise, politique et armée depuis 1994, appelle les non-signataires à se réunir à Asmara en juillet 2006, pour créer un nouveau mouvement unifié. Le Mouvement pour la justice et l’égalité et quelques factions minoritaires du Mouvement de libération du Soudan vont se regrouper sous la bannière FNR, le Front national de rédemption.

Un an plus tard, en mai 2007, les membres du FNR sont à nouveau réunis à N'djamena pour discuter de la structure et du programme de l’alliance rebelle. Dans les hôtels de la capitale tchadienne, ils se croisent, échangent leurs points de vue, le plus souvent à travers des médiateurs érythréens.

«À la fois pour la paix et pour la guerre, c’est important d’être unifié. Il y a quelques mois, nous avons battu le gouvernement du Soudan sur le terrain parce que nos armées ont travaillé de concert», explique Khalil Ibrahim, président du Mouvement pour la justice et l’égalité et membre du Front national de rédemption, ajoutant : «Mais nous avons été battus autour de la table des négociations à Abuja, parce que nous étions divisés.»  

Le MJE explique les retards dans la création du FNR par le morcellement du MLS. «Le MJE attend l’unification ou la réunification du MLS depuis juin 2006 pour finir la mise en place du FNR. Ce que nous leur demandons, c’est juste de se coordonner», explique Khalil Ibrahim. Feint ou réel, le président du MJE s’emporte et menace de retourner seul à la table des négociations. «Avant, il y avait un MLS, ensuite trois et maintenant onze. Comment peut-on aller vers des négociations avec onze factions ?», s’indigne-t-il, avant de vanter l’organisation et la force de son mouvement. Mais la fragmentation du MLS explique-t-elle seule l'absence d'une alliance autour du MJE ?

Après l'accord d'Abuja, certains chefs du MLS avaient fait le pari d'entrer dans le Front national de rédemption. Ils ont claqué la porte en octobre dernier après la bataille de Kari Yari. Ils dénoncent la personnalité et le programme du chef du MJE, Khalil Ibrahim, qu'ils accusent d'être dans la mouvance de l'islamiste d'Hassan al-Tourabi.

«Le Dr Khalil Ibrahim a fait partie du système, aux côtés d'Omar el-Bashir pendant longtemps. Il a dirigé des troupes qui se sont battues dans le Sud-Soudan», explique l’un d’eux, le commandant Abdelkarim Jarelnabi. «Il n'y a plus que le Mouvement pour la justice et l'égalité qui fasse partie du Front national de rédemption. FNR, c'est maintenant simplement un autre nom pour le MJE», s’exclame-t-il.

Le caractère islamiste des leaders et l’appartenance passé au régime d’el-Bashir continuent de nuire au MJE, par ailleurs, méprisé par la communauté internationale et rejeté par certaines factions rebelles.

Au-dessus de la mêlée, Ibrahim Diraig, président de l’Alliance démocratique et fédérale du Soudan, membre du Front national de rédemption, et l’une des figures historique et morale de l’opposition darfourienne, tente d’expliquer la division de ceux qu’il appelle les «garçons».

«À l’origine, c’est un conflit entre nomades et fermiers à propos de la terre, pas un conflit politique», explique M. Diraig. «C’est devenu aujourd’hui un conflit politique. Les rebelles négocient avec le gouvernement, pas avec les nomades, pour un partage du pouvoir. Maintenant que l’enjeu est plus important, l’idéologie et l’ambition entrent en scène». Minni Minawi est devenu conseiller du président. Ses hommes sont aujourd’hui gouverneurs ou ministres. «Ils se battent tous pour savoir qui sera le chef».

La désorganisation de la communauté internationale

Le morcellement des mouvements rebelles du Darfour s’explique aussi par la division de la communauté internationale. «Chaque pays a sa clientèle. Les Nations unies ont tiré d’un côté, l’Union africaine de l’autre. Certains ont même crû en l’accord d’Abuja et ont forcé la main a Minni Minawi», dénonce ahmad allami, ministre tchadien des affaires étrangères.

Les médiateurs d’Abuja, comme les pays observateurs, connaissaient peu les groupes rebelles, ni leur force ou leur représentativité sur le terrain. Les États-Unis, représentés durant toutes les négociations par une délégation de faible envergure, ont envoyé dans les derniers jours, l’adjoint au secrétaire d’Etat, Robert Zoellick pour reprendre en main les négociations. «Le bulldozer américain a fait ce qu’il sait faire le mieux, un rapide "fixage" de la situation, qui échoue toujours pour régler les conflits», commente Omer Ismaël.

Les groupes rebelles dénoncent des pressions de la délégation américaine, qui les aurait même menacé de sanctions s’ils ne signaient pas l’accord. Les États-Unis ont surtout misé sur Minni Minnawi. Ils pensaient qu’il était le commandant le plus puissant sur le terrain.

L’Érythrée et le Tchad ont été exclus du processus d’Abuja, accusés par Khartoum et soupçonnés par une partie de la communauté internationale de soutenir les rebelles du Darfour. Après l’échec des négociations de paix, l’Érythrée lance avec le Tchad et le Libye leur propre initiative de médiation. Ils travaillent quasi-quotidiennement à l’unification et au renforcement de positions des rebelles, notamment dans le cadre du FNR pour relancer les négociations avec Khartoum sur de nouvelles bases.

À l’opposé, la médiation internationale, constituée par les Nations unies, l’Union africaine et surtout les États-Unis, cherche un règlement rapide de la crise et pousse les rebelles à signer «Abuja plus», l’accord de paix d’Abuja avec quelques modifications.

Les deux initiatives, l’une menée par États-Unis et l’autre par l’Érythrée se font concurrence

«Les relations bilatérales des deux pays sont au plus bas», commente Coleen Thomas-Jensen, chercheur au sein d’International Crisis Group. Les Érythréens reprochent aux États-Unis de ne pas avoir mis en œuvre l’accord de paix avec l’Éthiopie, mais aussi le soutien des États-Unis à l’invasion des troupes éthiopiennes en Somalie.

De son côté, les États-Unis accusent l’Érythrée d’être une cause d’instabilité dans la région, de soutenir des groupes rebelles contre l’Éthiopie et les tribunaux islamiques en Somalie.

«Avec ces deux pays, prêts à se sauter a la gorge, la grande question est de savoir comment la communauté internationale et les pays de la région vont pouvoir s’entendre sur une initiative commune, bref comment l’Érythrée et les États-Unis vont d’une certaine manière pouvoir travailler ensemble», explique Coleen Thomas-Jensen.

À l’appel du président Kadhafi, fin avril, tous les pays, parties prenantes sur le dossier du Darfour, se sont réunis a Tripoli. L’un des objectifs de cette rencontre était de coordonner leur position. Des rapprochements entre les initiatives régionale et internationale ont eu lieu, notamment grâce à l’intervention de pays européens, comme la France, la Norvège ou les Pays-Bas. Mais la concurrence entre les pays demeure. Poussé par la pression de son opinion publique ou par des intérêts stratégiques, chacun envoie sa délégation au Tchad pour courtiser les mouvements rebelles. Des visites de quelques jours pour rencontrer tel ou tel leader de factions. «Les rebelles sont comme des enfants trop gâtés», commente un médiateur.

La désorganisation de la communauté internationale, comme les divisions au sein de la rébellion, profite de fait au gouvernement soudanais, qui lui fait front commun. Ces deux problématiques, à l’origine de l’échec d’Abuja, doivent être résolus, selon les experts, avant qu’un accord de paix puisse mettre fin aux atrocités commises dans le Darfour.



par Sonia  Rolley

Article publié le 12/05/2007 Dernière mise à jour le 12/05/2007 à 15:21 TU