Darfour
La France propose des corridors humanitaires

Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, multiplie les contacts, auprès de ses homologues du groupe G8, réunis à Potsdam, en Allemagne, pour les convaincre de la nécessité d’ouvrir des corridors humanitaires terrestres, ou des ponts aériens, à partir de la région d’Abéché, au Tchad. Mais les Etats-Unis sont partisans de l’application de nouvelles sanctions au régime soudanais, accusé de violations massives des droits de l’homme dans sa province occidentale. Selon les organisations humanitaires internationales, le conflit au Darfour - entre les rebelles africains de cette province et les forces soudanaises appuyées par les milices arabes janjawids - a provoqué, depuis quatre ans, plus de 200 000 morts et 2,5 millions de déplacés.
Le projet de création de corridors humanitaires, proposé par Bernard Kouchner, permettrait l’évacuation des personnes en danger et l’acheminement d’aide sanitaire et alimentaire sur une distance de 300 à 400 kilomètres à l’intérieur du Darfour. Le ministre français des Affaires étrangères est conscient des difficultés qui se présentent et il a même déclaré, mardi à Hambourg, qu’il est «impossible de dire si cela marchera».
Des sources proches du ministre, citées par Le Figaro, affirment que l’opération serait «sous mandat de l’Onu et à composante européenne. Sa configuration dépendra de ceux qui voudront bien y participer». Pour le moment, les partenaires européens se montrent réticents, même si Javier Solana, Haut représentant de l’Union européenne pour la politique extérieure a manifesté son accord «sur le principe».
La mise en place d’un corridor humanitaire sécurisé entre le Tchad et le Soudan exigerait la mobilisation de moyens militaires, dans une région extrêmement tendue. Outre les interventions des troupes gouvernementales soudanaises contre les populations du Darfour, plusieurs milices et bandes armées sont également présentes des deux côtés de la frontière tchado-soudanaise.
La France dispose de centaines de soldats ainsi que des avions de combat et des hélicoptères au Tchad, dans le cadre du dispositif «Epervier». Mais le déploiement de ces effectifs, dans le cadre d’une opération de sécurisation des corridors humanitaires, ne pourrait intervenir que dans le cadre d’une mission sous mandat des Nations unies et avec l’approbation des gouvernements de N’Djamena et de Khartoum, ce qui est loin d’être fait. Il faut noter que le Soudan n’a pas encore autorisé l’installation d’une force hybride Onu-Union africaine de 20 000 hommes, capable de rétablir la sécurité dans sa province occidentale. De leur côté, les autorités tchadiennes se déclarent peu enthousiasmées à l’idée de création de corridors humanitaires dans la partie orientale du pays, craignant que cela puisse nuire aux relations déjà très tendues avec les voisins soudanais.
Les autorités tchadiennes face à l'idée de corridors humanitaires
«Il ne faut pas que cette idée de corridors humanitaires gêne le processus de paix entre le Tchad et le Soudan, ou pire, mette de l'huile sur le feu.»
Des organisations humanitaires ont également émis des critiques au sujet de l’ouverture des corridors humanitaires, à partir d’Abéché, une région où sont déjà installés près de 400 000 réfugiés et déplacés. Des responsables de Médecins sans frontières, ont ainsi exprimé des réserves quant à l’efficacité de ces corridors au Darfour, une province qui a une surface équivalente à celle de la France.
Denis Lemasson
Responsable des programmes de MSF pour le Soudan
«Il n'y a pas de véritables lignes de front aujourd'hui (...), on voit mal comment des corridors humanitaires pourraient être efficaces.»
Bernard Kouchner, qui a pu s’entretenir mercredi à Potsdam avec la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, s’est déclaré à plusieurs reprises partisan du «droit d’ingérence» pour des raisons humanitaires. Pourtant il a préféré obtenir un consensus auprès de ses homologues du G8 réunis à Potsdam, au lieu de l’application de nouvelles sanctions comme celles qui ont été annoncées mardi par George Bush, face au «génocide» commis au Darfour. Trente et une nouvelles entreprises soudanaises ont été ajoutées à la liste de celles avec lesquelles les Américains sont interdits de toute transaction commerciale ou financière. Deux hauts responsables du gouvernement de Khartoum vont être également soumis aux sanctions américaines. Le gouvernement chinois, qui importe 60% du pétrole produit par le Soudan, considère que ces sanctions vont «compliquer la recherche d’une solution au problème». Bernard Kouchner s’est entretenu avec le ministre chinois des Affaires étrangères, Yang Jiechi, lequel a «marqué son intérêt» pour les idées françaises, mais sans leur apporter un clair soutien. Le projet des corridors humanitaires va être évoqué lors de la réunion internationale sur le Darfour que Bernard Kouchner a l’intention d’organiser à Paris, avant la fin juin.
par Antonio Garcia
Article publié le 30/05/2007 Dernière mise à jour le 30/05/2007 à 18:09 TU