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Kenya

Violente répression de la police, l'opposition repousse sa manifestation

par  RFI

Article publié le 02/01/2008 Dernière mise à jour le 03/01/2008 à 14:17 TU

Les partisans de l'opposant Raila Odinga ont tenté de manifester ce jeudi matin à Nairobi malgré les barrages mis en place par la police, qui a utilisé canons à eau et gaz lacrymogène. Le Mouvement démocratique orange a finalement annoncé le report au 8 janvier de son rassemblement. Hier les violences se sont poursuivies dans la partie occidentale du pays, le bastion du candidat de l’opposition Raila Odinga. Ainsi à Kisumu, troisième ville du pays et probablement la plus touchée par les émeutes, les corps de huit personnes ont été amenés à la morgue. Les deux camps du président Kibaki et de Raila Odinga s'accusent réciproquement de « génocide », et Raila Odinga refuse de discuter avec le président Mwai Kibaki « en dehors d’une médiation internationale ». C’est donc dans un contexte particulièrement difficile que le chef d’Etat ghanéen John Kufuor, président de l’Union africaine, devrait tenter de jouer les médiateurs politiques, une semaine après les élections contestées du 27 décembre.

Manifestation à Nairobi pour protester contre l'élection du président Mwai Kibaki.(Photo : Reuters)

Manifestation à Nairobi pour protester contre l'élection du président Mwai Kibaki.
(Photo : Reuters)

Les pressions diplomatiques se sont multipliées, dans la journée de mercredi, pour que John Kufuor, puisse réaliser cette médiation avec le chef de la mission du Commonwealth, Ahmed Tejan Kabbah, ancien président de la Sierra-Leone. Le Premier ministre britannique Gordon Brown et la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice ont donné tout leur appui à cette initiative, invitant tous les dirigeants politiques kényans à adopter une position plus conciliante, face à cette grave crise politique qui s’est aggravée par des affrontements ethniques d’une grande intensité. L'archevêque sud-africain et prix Nobel de la paix, Desmond Tutu, est arrivé lui à Nairobi pour offrir son aide.

La tension persiste

C’est donc l’annonce de la réélection de Kibaki, le 29 décembre, qui a mis le feu aux poudres, après un dépouillement interminable. Raila Odinga rejette ces résultats, les observateurs européens dénoncent aussi des irrégularités. Et ce mercredi, coup de théâtre, le président de la commission électorale avoue lui-même qu’il n’est pas sûr que Mwai Kibaki ait remporté l’élection. Dans une interview accordée au journal The Standard, le président de la commission électorale a même ajouté avoir reçu des pressions de la part du parti de l’Union nationale, mais aussi du camp de Kalonzo Musyoka qui se présentait sous la bannière « Mouvement orange démocratique-Kenya » (ODM-K), un nouveau parti créé après la scission de l’opposition en août dernier. Alors à Nairobi, des discussions discrètes ont eu lieu entre la communauté internationale et les deux camps rivaux. Selon des sources diplomatiques du côté du président réélu, la volonté d’ouverture ne semble pas pour le moment à l’ordre du jour, on campe sur ses positions.

Raila Odinga, lui, n’a guère de marge de manœuvre, dans le sens où il n’a pas d’autorité directe sur les fauteurs de troubles. Si Mwai Kibaki a appelé tous les leaders politiques à se rencontrer le plus rapidement possible, le porte-parole du gouvernement a continué à jeter de l’huile sur le feu, en accusant directement le camp de Raila Odinga de vouloir déstabiliser le pays en attisant les haines ethniques, en mettant sur le compte de l’opposition les violences qui ont éclaté à Eldoret, dans le nord-ouest du pays, où au moins 35 personnes ont été brûlées vives mardi, dont des femmes et des enfants de la tribu Kikuyu, à laquelle appartient également le président Kibaki.

Incidents ethniques

Das un communiqué, des ministres kényans parlent de « nettoyage ethnique organisé par le Mouvement orange démocratique », le parti de Raila Odinga. Ils ont même annoncé leur intention de porter plainte devant la Cour pénale internationale (CPI). Du côté de la communauté internationale, la Grande-Bretagne a appelé à une médiation de l’Union africaine. Les appels à l’arrêt des violences se sont multipliés effectivement, de la part de Washington, de Londres, de l’Union européenne et de l’Union africaine.

On a pu parler mercredi de calme précaire à Nairobi et dans plusieurs villes du pays. Toutefois, la tension n’est pas vraiment retombée à Eldoret, où des centaines de personnes ont rejoint le centre-ville pour aller dans des stations de police. Et à Nairobi, dans le bidonville de Mathare, où des violences ont eu lieu lundi et mardi, les habitants craignent toujours les menaces des Mungikis, ce gang composé de jeunes de l’ethnie Kikuyu, qui se sont rendus tristement célèbres cette année en décapitant des gens. Des habitants de Mathare craignent qu’ils ne commencent à lancer des représailles très violentes contre d’autres communautés, notamment les Luos. « On a peur, on ose plus circuler, raconte un homme, les gens sont armés de machettes et si vous n’appartenez pas à leur gang, à leur communauté, ils vous massacrent ».

Kenya : plus de 40 ethnies

La population du Kenya, évaluée à 36 millions d’habitants, avec un taux de croissance de 2,6% et une espérance de vie de 49 ans, se répartit entre plus de 40 ethnies différentes. La plus nombreuse est celle des Kikuyus qui représente près de 22% de la population totale de cet Etat est-africain. Le président Mwai Kibaki appartient à cette ethnie, installée principalement dans la zone des hauts plateaux du centre du pays. Les Kikuyus détiennent les principaux secteurs de l’économie nationale.

Viennent, ensuite, les Luhyas, 14% de la population, et les Luos, 13%. Ce dernier groupe ethnique est établi notamment dans zone ouest du Kenya, près du Lac Victoria et à la frontière avec l’Ouganda, ainsi que dans la capitale, Nairobi, notamment à Langata, où se trouve l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique. Les observateurs soulignent que les Luos soutiennent de manière fanatique le chef de l’opposition Raila Odinga.

 Un autre groupe important est celui des Kalenjins (12% de la population), dont fait partie l’ancien président Daniel Arap Moi, ainsi que la majeure partie des marathoniens kényans qui se sont distingués dans les grandes compétitions internationales.

La grande majorité de la population du Kenya est chrétienne, avec 45% de protestants et 35% de catholiques. Mais cela n’a pas empêché les manifestations de tribalisme, parfois violentes, dans un pays qui a néanmoins réussi à vivre en paix depuis son indépendance en 1963, ce qui n’est pas le cas des Etats voisins de la région des Grands Lacs. Le Kenya a ainsi connu de graves incidents interethniques dans la Vallée du Rift, en 1992, faisant près de 1 500 morts. D’autres incidents ethniques se sont produits également sur la ville côtière de Mombasa en 1997, faisant près de 200 morts.

Par rapport à la plupart des Etats africains, le Kenya dispose d’une situation économique plutôt confortable, avec un rendement moyen annuel de 540 dollars par habitant, selon la Banque mondiale. Mais les spécialistes considèrent que les responsables du Kenya n’ont pas réussi à résoudre le problème du tribalisme profondément enraciné dans les mentalités, contrairement à ce que le président Julius Nyerere da la voisine Tanzanie à réussi à faire, dès l’indépendance de son pays.

A écouter

Salim Lone, directeur de la communication de la campagne présidentielle de Raila Odinga

« Durant le rassemblement de l'ODM, Monsieur Odinga expliquera à la population ce qu'il est en train de faire pour s'assurer que la volonté de la population qui l'a élu président soit respectée. »

03/01/2008 par Laurent Correau

David Anderson, professeur de politique africaine à l'université d'Oxford

« Bien qu'il soit un homme politique très astucieux, Raila Odinga est aussi très têtu (...) et de l'autre côté, Mwai Kibaki a tout à perdre s'il admettait que les résultats de l'élection devaient être annulés »

03/01/2008 par François Cardona

David Anderson, professeur de politique africaine à l'université d'Oxford

 « La Grande-Bretagne est le premier partenaire économique du Kenya, les liens économiques sont donc puissants et très solides. »

03/01/2008 par François Cardona

Tony Mwangi, porte-parole de la Croix-Rouge kényane

« Nous n'avons pas pu apporter notre aide de façon opérationnelle car les routes ont été bloquées par les membres de différentes communautés et par des gangs. »

02/01/2008 par Sébastien Nemeth