par Marina Mielczarek
Article publié le 02/01/2008 Dernière mise à jour le 03/01/2008 à 03:02 TU
S’ils s’étaient attendus à cela, un cadeau du Nouvel an 2008 ! Voilà ce que viennent de recevoir les clandestins de Mytilène : cent cinquante vestes de collection, 58 paires de chaussures de grandes marques, des shorts, des pantalons en quantité astronomique et jamais portés ! Le tout appartenait à un malade psychiatrique, collectionneur obsessionnel, récemment décédé dans un hôpital d’Athènes. Il avait mis huit ans à accumuler son trésor. D’un commun accord avec la direction de l’hôpital, les responsables du camp de Mytilène ont décidé de distribuer la marchandise à leurs réfugiés clandestins. Une petite partie d’entre eux arrive directement de Turquie (sur l’autre rive de la mer Egée) en vue d’un hypothétique eldorado européen. Une partie d’entre eux parvient à travailler dans les usines de fabrique de ces vêtements à Mytilène, « mais tous vivent ici, entassés dans des conditions particulièrement déplorables, sans le moindre habit de rechange », souligne le personnel du camp, expliquant dans la foulée le caractère exceptionnel des cadeaux du Nouvel an à Mytilène, car en général, cette zone comprise entre les côtes turques et grecques fait s’arracher les cheveux à l’Union européenne qui s’est donné comme objectif d’ici 2010 (plan quinquennal 2005-2010 de la Commission de Bruxelles) d’harmoniser sa politique de lutte contre l’immigration illégale.
2007 : La Grèce épinglée par la justice européenne
De ses nombreuses portes d’entrée, des côtes grecques aux rives maltaises ou encore italiennes, ce sont les îles espagnoles des Canaries qui auront marqué l’actualité et fait les gros titres 2007 dans la presse internationale. Et ce, « malgré notre bilan migratoire revu à la baisse », a tenu à préciser José Luis Zapatero, le Premier ministre espagnol en ce début de nouvelle année. Mais souvenez-vous, il y a moins d’un an, les caméras déployées sur les plages de Lanzarote ou de Tenerife, nous ont fait à nous, spectateurs du monde entier, assister en direct aux terribles arrivées de barques bondées d’immigrés africains et aux découvertes simultanées de leurs cadavres déshydratés. L’an dernier, rien que pour le mois de décembre, 90 Africains sur 140 migrants illégaux sont morts sur la route de l’exil européen.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, malgré l’horreur des conditions de transport, malgré les problèmes maltais, italiens ou espagnols, c’est la question grecque qui paraît la plus aigüe. En termes de salubrité et de coopération transnationale.
Nous étions en avril quand la Commission européenne a entamé une procédure contre Athènes pour ses atteintes à la dignité humaine. Bruxelles a depuis gagné le procès, et publié bon nombre de rapports stigmatisant deux points essentiels de la lutte contre les migrants clandestins :
- Les conditions d’accueil et d’assistance sanitaire et médicale réservées aux demandeurs d’asile.
- La coopération inter-frontalière.
Les îles grecques de Mytilène et de Samos sont des lieux de passage depuis la Turquie vers la Grèce pour les immigrés clandestins.
(Carte : D. Alpoge/RFI)
Cas unique en Europe, les gouvernement grec et turc expliquent ne pas pouvoir dialoguer sur le même modèle que leurs partenaires européens, la politique d’immigration en Turquie dépendant de l’armée et non des services de police comme dans le reste de l’Union. Des paroles qui ont font dire à Emmanuel Karlas, préfet des îles grecques de Samos, que l’Union européenne pourrait pousser les Turcs à changer les choses en 2008.
Pendant ce temps, la Grèce tient la tête du palmarès européen 2007 avec des arrivées en hausse. Selon les statistiques du ministère de l’Intérieur, 4 000 clandestins ont débarqué sur ses côtes en 2006 contre 10 000 en 2007. Des données entachées d’un titre peu glorieux puisque Athènes est citée dans les rapports internationaux comme particulièrement récalcitrante à autoriser enquêteurs et journalistes à l’intérieur de ses camps de réfugiés. Le même préfet Karlas ajoute : « Le problème avec l’Union européenne, c’est que Bruxelles est loin ! En tout cas, loin de se rendre compte des réalités du terrain. Vous comprenez, le problème des réfugiés n’est pas un problème grec ni turc ni même italien ou espagnol ou italien, c’est un problème de l’Europe tout entière ! »
Candidats à l’immigration : toutes les professions touchées, mais l’Europe se cadenasse
Des immigrants accrochés à des cages d'élevage de thon, après le naufrage de leur bateau au large des côtes maltaises, le 26 mai 2007.
(Photo : AFP)
L’été dernier, un chirurgien irakien parlant parfaitement l’anglais débarquait sur les côtes italiennes après un long naufrage en mer Adriatique. L’homme se fait appeler Omar pour rester anonyme. Il a payé 1 500 dollars pour une traversée en Zodiac afin de fuir Bagdad où les professionnels bilingues sont menacés par les milices islamistes. Contrairement au deal passé, le zodiac était déjà plein lorsqu’il est arrivé pour le départ. « Le marché avait été conclu pour un conducteur habilité et un assistant qui pouvait utiliser un système GPS, tout ça c’étaient des mensonges ! » Le chirurgien est d’abord passé par la Syrie puis la Jordanie et la Libye enfin pour prendre son bateau en direction de l’Europe. En arrivant sur l’île de Lampedusa, Omar déclarait : « Ce voyage n’est pas un acte de courage, je ne suis pas un Hercule, j’ai traversé la mer parce que je n’avais pas d’autres choix, c’était la mer ou la condamnation à mort ». Muni de ses papiers d’identité, le chirurgien a dû attendre plusieurs jours consécutifs dans un entrepôt avant d’être jeté en prison puis identifié et réhabilité par les autorités italiennes.
L’exemple d’Omar contrebalance l’idée d’extrême pauvreté, de manque ou de perte de documents identitaires inhérente, c’est vrai, à la majorité des cas. Alors, combien ont-ils été comme Omar à venir en Europe l’année dernière munis de papiers justifiant l’exil de leur pays d’origine ? Personne ne le sait, il n’existe pas de données fiables, explique Laura Boldrini, porte-parole en Italie du Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) qui préfère parler de l’immense pression psychologique exercée à l’arrivée : « Nous voyons défiler des personnes de tous les milieux sociaux et professionnels. Ce sont d’honnêtes gens, très professionnels, qui aiment le respect des lois et croyez-moi, ils sont déjà suffisamment embarrassés d’enfreindre les règlements et de faire quelque chose d’illégal en débarquant de façon clandestine ».
En vertu de la loi, les réfugiés en danger de mort sont sous la protection du droit international. Cependant, l’Oxfam, une organisation internationale humanitaire oeuvrant dans le domaine de l’immigration a publié un rapport édifiant en 2005. L’une des conclusions du document stipule que 90% des demandeurs d’asile rejoignent les côtes européennes illégalement par crainte de voir les portes de l’Union de plus en plus difficiles à franchir.
Faire le gendarme ou prendre le mal à la racine ? L’Europe se cherche une politique européenne de l’immigration clandestine
Le président français Nicolas Sarkozy avec le Premier ministre José Luis Zapatero en Espagne le 31 mai 2007.
(Photo : AFP)
Alors que cette politique est citée comme l’une des priorités de chaque présidence de l’UE, il est à noter que depuis 10 ans, les 27 élargissent leur Union vers l’Est mais se barricadent de plus en plus par le Sud. Un phénomène accentué depuis les attaques contre le World Trade Center à New York, et les menaces terroristes consécutives envers différents pays européens. A chacune de leurs rencontres, Nicolas Sarkozy (qui fut antérieurement ministre de l’Intérieur) et José Luis Zapatero se félicitent de leur coopération policière bilatérale. Néanmoins, l’Espagne a eu beau se targuer d’une hausse des prises et des patrouilles policières en 2007 et d’une baisse des arrivées de réfugiés, le chef du gouvernement espagnol doit encore entendre résonner les paroles assassines de ses homologues - notamment français, allemand et autrichien - qui lui ont envoyé une fin de non-recevoir après sa demande d’aide communautaire au plus fort de la crise des arrivées de clandestins sur les îles Canaries. Les partenaires du Nord reprochaient à l’Espagne d’avoir, en quelque sorte, récolté la monnaie de sa pièce, après son choix de recourir à des régularisations massives dans les années 2000.
Sur le papier, pourtant, les bonnes intentions existent et se succèdent. Ainsi en témoigne le rapport du Sénat français : « Tout comme le contrôle des flux d’immigration ne peut être efficace sans une véritable politique européenne, l’action de développement menée par la France envers les pays d’où sont originaires les migrants ne pourrait se faire sans l’aide de l’Union européenne ».
2008, l’Europe en manque d’immigrés ?
Quelque 7 milliards d’euros sont affectés chaque année à partir des fonds communautaires à 150 pays, organisations et territoires du monde entier. L’Union européenne s’est engagée à accroître les sommes : 0,56% de son RNB (revenu national brut) en 2010 et 0,7% en 2015.
La question migratoire illégale est assez récente en Europe. Elle date du sommet des chefs d’Etats et de gouvernements européens de Tampere en Finlande en 1999, durant lequel l’Union a décidé d’instituer un partenariat avec les pays tiers. Le président de la Commission de Bruxelles avait déclaré : « Le problème de l’immigration dont nous voyons les conséquences dramatiques ne peut être résolu efficacement à long terme que dans le cadre d’une coopération au développement ambitieuse et coordonnée, permettant de s’attaquer à ses causes profondes ».
En 2008, la question migratoire sera au cœur de l’actualité et occupera une bonne partie des rencontres multilatérales en Europe. L’agenda conduit par la France, présidente de l’Union au second semestre, s’est déjà fixé de poursuivre des objectifs chiffrés de reconduite aux frontières. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, la France entend lutter contre son immigration illégale en durcissant les conditions de regroupement familial. L’année dernière, la loi rendant possibles les tests ADN sur les demandeurs d’asile a été votée, malgré une vague de protestation et d’indignation de la société civile.
Mais la France n’est pas l’Europe, mettra-t-elle l’Union au diapason ? Rien n’est moins sûr. Les 27 ne partagent pas la même vision des choses et surtout pas la même approche de ce qu'est une lutte efficace. Néanmoins, ils sont aujourd’hui d’accord sur les prochaines étapes :
1) Harmoniser les politiques communes. Le 12 septembre dernier, l’UE a examiné une directive concernant le retour des personnes en séjour irrégulier. La directive encourage le retour volontaire. C’est la première fois que des procédures communes sont élaborées sur ce sujet.
2) Créer des centres de « garde temporaire » : en cas d’expulsion ou d’éloignement, la Commission propose des centres de garde temporaire pour les personnes en attente de décision individuelle (3 mois minimum, durée pouvant être raccourcie ou prolongée par les Etats membres jusqu’à 18 mois).
En contrepoint aux options avancées par la prochaine présidence française, les partenaires de l’Union ont entendu l’appel du Commissaire européen chargé de la Justice. En présentant un projet de « carte bleue » en octobre dernier, une sorte de permis de travail temporaire pour les immigrés, le commissaire Frattini, pourtant peu réputé pour ses idées libérales, annonçait tout de go lors d’une rencontre européenne à Lisbonne : « Qu’au lieu de s’ériger des barrières, l’Europe vieillissante devrait se consacrer à être compétitive face aux Etats-Unis, au Canada, à l’Australie et aux puissances économiques émergentes en Asie ».
Les solutions existent, elles sont à trouver dans l’accueil et l’assimilation d’une main-d’œuvre efficace, répondant à des formations basées sur des standards communs, pertinents et en totale conformité avec le droit humain, qui n’est pas seulement européen mais universel.