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Turquie

La Cour constitutionnelle, dernier espoir des opposants au voile à l'université

Article publié le 10/02/2008 Dernière mise à jour le 10/02/2008 à 05:52 TU

Femmes voilées à Istanboul.( Photo : AFP )

Femmes voilées à Istanboul.
( Photo : AFP )

Le Parlement turc a voté samedi en deuxième lecture, comme prévu, la modification de deux articles de la Constitution qui permettront aux jeunes filles voilées d’étudier à l’Université, ce qui leur était interdit depuis une dizaine d’années. Un changement qui fait craindre aux défenseurs de la laïcité que la société ne s’islamise, tournant le dos aux valeurs de laïcité du fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk. Entre 100 000 et 200 000 personnes ont défilé en signe de protestation samedi à Ankara et dans d'autres villes du pays.

Avec notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion

Leur seul espoir, c’est maintenant la Cour constitutionnelle : le chef de l’opposition, selon qui le fondateur de la Turquie laïque, Mustafa Kemal Atatürk, aurait jeté cet amendement constitutionnel « par la fenêtre » s’il avait été vivant, n’a pas fait mystère de son intention de contester la réforme devant la justice.

Parce que Deniz Baykal craint que la libéralisation du voile n'accroisse dans le pays les tensions et les divisions, et parce que, surtout, il est persuadé que cette liberté vestimentaire ne restera pas limitée aux universités : rapidement les diplômées voilées se verront offrir des emplois dans l’administration, et il sera impossible de refuser aux lycéennes le même droit, explique le président du kémaliste Parti républicain du peuple.

Comme au printemps dernier, avec un scrutin présidentiel promis au parti de gouvernement, l’opposition social-démocrate n’a d’autre recours que la justice pour résister au rouleau compresseur du parti de la Justice et du Développement, et tenter de sauver l’héritage d’une république qui change de valeurs, et, qui selon elle, retourne au Moyen-Âge.

Témoignages de femmes

L’assouplissement de l’interdiction du voile n’inquiète finalement qu’une minorité au sein de la population turque. Et parmi les femmes particulièrement, il ne satisfait pas seulement celles qui se couvrent par conviction religieuse. Aysel, une jeune puéricultrice, n’a par exemple personne dans son entourage ou sa famille qui porte le voile, elle respecte le libre choix de ses congénères pratiquantes. « Si on parle d’un pays de libertés et d’un Etat de droit, alors le foulard n’est qu’une question de choix personnel ; moi, par exemple, si je portais le voile, je devrais pouvoir aller à l’école si je veux, travailler dans une administration si je veux… tout en respectant la séparation des affaires religieuses et celles de l’Etat. Mais le voile ne doit pas poser problème, à partir du moment où rien n’est imposé : si vous voulez le mettre, vous le mettez et cela ne doit vous priver de rien ; si vous le portez pas, on ne doit pas vous y forcer ».

L’avocate Fatma Benli, elle, n’a jamais pu finir ses études et exercer son métier, en raison de sa chevelure soigneusement couverte. En revanche, elle a choisi de défendre les victimes de l’exclusion par le voile au sein de l’association Akder. Elle est très critique : « Dire après 5 ans au pouvoir ‘la législation n’est pas adaptée, il faut la changer’, c’est une décision qui arrive beaucoup trop tard. Que l’on se rappelle que cette interdiction remonte à il y a 10 ans, et en 10 ans ce sont plus de 100 000 jeunes filles qui n’ont pas pu étudier ! Celles qui ont subi cette interdiction vont certainement essayer de reprendre leur cursus universitaire, mais cela risque le plus souvent d’être très difficile…». Pour elle, ouvrir l’accès à l’université n’est pas du tout suffisant : « Ce qui est prévu pour l’instant, c’est juste une libéralisation, pour étudier en université, or la liberté de travailler est tout autant un droit fondamental que la liberté d’enseigner, on ne peut pas scinder la vie d’un être humain en deux. D’ailleurs, le Parlement européen a stipulé en février 2007 dans une décision concernant la Turquie que le fait d’interdire l’accès au travail à une femme parce qu’elle est voilée relève de la discrimination. ». Autrement dit : si le gouvernement turc veut, comme pour le voile à l’université, respecter les recommandations de Bruxelles, il faudra qu’il laisse libre champ au voile dans d’autres secteurs de la société.

C’est exactement la dérive contre laquelle met en garde l’opposition social-démocrate aujourd’hui. La marge de manœuvre du gouvernement est donc très étroite…