par Georges Abou
Article publié le 17/03/2008 Dernière mise à jour le 18/03/2008 à 08:13 TU
Un Tibétain brandit une chaîne lors d'une manifestation dans la ville indienne de Dharamsala.
(Photo : Reuters)
Le Tibet est fermé à la presse. Aucun journaliste n’a pu transmettre une information de cette région depuis le début des troubles, il y a une huitaine de jours. Faute de sources indépendantes, les faits sont invérifiables. Les quelques récits et images qui parviennent aux journaux ont été recueillis à la dérobée, auprès de témoins courageux ou de touristes de retour de Lhassa, la capitale régionale. Les téléphones portables « passent » parfois. Au bout du fil, des voix font état d’une ville bouclée, sous tension, quadrillée par un important dispositif militaire et policier. Impossible de dresser un bilan exhaustif de ce « printemps tibétain » précoce.
Selon le gouvernement chinois, il y a eu 13 morts, et les émeutiers se sont livrés à des actes de barbarie sur les forces de l’ordre et, également, sur des citoyens chinois non tibétains, Hans et Huis, musulmans dont les biens ont été vandalisés. Ces informations sont confirmées par des témoignages et des documents. Selon plusieurs sources, la ville est sous couvre-feu depuis samedi soir ou dimanche matin.
A Dharamsala, en Inde où elle est réfugiée depuis 1959, la direction politique tibétaine en exil estimait lundi que la répression chinoise avait fait des centaines de morts. La veille, le Dalaï Lama décrivait l’établissement d’un « régime de terreur » sur la province, tandis que ses proches affirmaient avoir reçu la confirmation que 80 Tibétains avaient péri depuis le début du mouvement.
Dans son communiqué, le Parlement en exil en appelle à l’ONU et réclame une enquête internationale. Pourtant, la position des autorités tibétaines en exil demeure la même : pas de rupture avec Pékin, pas d’appel au boycott des Jeux Olympiques. La direction tibétaine reste fermement cramponnée à sa ligne politique prônant l’autonomie de la province au sein de l’ensemble chinois, seule voie raisonnable selon elle à la satisfaction de ses revendications.
« J'appelle toutes les parties concernées à éviter de nouvelles confrontations et violences. »
Risques d’extension
A l’évidence, le Tibet est au cœur d’un déploiement massif de forces de l’ordre pour mater la rébellion et prévenir toute extension des troubles aux provinces limitrophes. C’est d’ailleurs des provinces voisines du Gansu et du Quinghai, où vivent de nombreux Tibétains, que nous parvient l’essentiel des informations attestant que, pour Pékin, la situation est hautement préoccupante. Les reportages en provenance des ces provinces, où la circulation est encore possible, font état d’un déploiement important de militaires. Les autorités sont nerveuses. Des incidents ont eu lieu. Et, selon nombre d’observateurs, les autorités sont obsédées par les risques d’extension par contamination à d’autres régions. La Chine ne manque pas de peuples, ou de groupes sociaux, qui ne demandent qu’à s’exprimer pour peu que l’opportunité se présente. Et, à quelques mois des Jeux Olympiques, les occasions de gâcher la fête ne manquent pas, qu’ils s’agissent de politique ou de droits, humains ou sociaux.
Ces derniers événements évoquent un tournant parmi les Tibétains. La modération du Dalaï Lama est aujourd’hui malmenée, voire contestée, par une jeune génération née en exil et qui fait le constat de l’échec d’une position de consensus qui ne mène nulle part. Les religieux bouddhistes eux-mêmes semblent avoir abandonné les principes de non-violence ; ils ont renoué avec la tradition des moines-soldats. Drapés dans leur toge safran, ils participent aux manifestations et font le coup de poing contre la police, comme des militants ordinaires. La marche entreprise le 10 mars de Dharamsala par les organisations non-gouvernementales des Tibétains en exil n’avait pas reçu l’aval, officiellement, du gouvernement en exil. Les marcheurs n’ont pas été autorisés à aller au-delà de quelques dizaines de kilomètres. Ils ont été stoppés net par la police indienne et les meneurs les plus déterminés ont été condamnés à de courtes peines d’emprisonnement. Il n’empêche : au 49e anniversaire du soulèvement des Tibétains et de l’exil du Dalaï Lama, cette année 2008 était incontestablement une date à ne pas manquer pour rappeler la vivacité de la revendication identitaire des Tibétains.
Le Tibet, une affaire intérieure
Dans ce contexte, en dépit d’une opinion publique plutôt amicale à l’égard de la cause tibétaine, la communauté internationale semble tétanisée à l’idée qu’elle pourrait irriter Pékin. Des Jeux Olympiques, personne n’évoque l’hypothèse de ne pas s’y rendre. Au contraire : c’est un discours de participation qui est réaffirmé. De partout fusent des appels à la retenue et au dialogue. Les protestations sont tout juste tolérées. Au Népal, les manifestations de soutien ont été réprimées au gaz lacrymogène, et plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées. C’est la déclaration lundi du ministère russe des Affaires étrangères qui offre la meilleure synthèse du sentiment qui se dégage de l’impotence des chancelleries étrangères. En substance : « Le Tibet est chinois et les relations entre Pékin et le Dalaï Lama sont une affaire intérieure chinoise ».
« L'Union semble en proie à de nettes divisions internes quant au degré de fermeté du message à adressser à Pékin. »
A écouter
« Pour les étudiants il faut boycotter les JO, ne pas se contenter de l'autonomie culturelle comme le veut le Dalaï Lama... Les plus jeunes doutent de la stratégie actuelle...»
18/03/2008 par Mouhssine Ennaimi
Sinologue, auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier, « Tibet : la question qui dérange », Albin Michel, 2008
« La Chine tient au Tibet pour des raisons stratégiques et militaires, il lui permet de dominer sa concurrente indienne ; il y a aussi des questions d'espace vital, 6 millions d'habitants pour 2 millions de km2...»
18/03/2008 par Charlotte Idrac
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