par Julie Lerat
Article publié le 19/03/2008 Dernière mise à jour le 20/03/2008 à 13:57 TU
Le président américain George W. Bush (de dos) salue les militaires après son discours au Pentagone à l'occasion du cinquième anniversaire de l'invasion de l'Irak.
(Photo : Reuters)
Le 20 mars 2003, à 5h30 du matin, les premières explosions retentissaient dans Bagdad. Cinq ans après, le président américain George Bush défend toujours sa stratégie en Irak. Dans un discours prononcé ce mercredi, il déclarait : « On débat de manière compréhensible pour savoir si cette guerre en valait la peine (...) et si nous pouvons la gagner. Les réponses sont claires pour moi: chasser Saddam Hussein du pouvoir était la bonne décision, et ceci est un combat que l'Amérique peut et doit gagner ». Le président américain inscrit une nouvelle fois l’intervention en Irak dans sa stratégie pour instaurer la « démocratie » dans le monde arabe. « En répandant l’espoir au Moyen-Orient, nous allons aider les sociétés libres à prendre racine, et quand elles le feront, la liberté engendrera la paix que nous désirons tous ».
« Vaincre l’ennemi en Irak permettra de minimiser les risques d’avoir à affronter cet ennemi ici, sur notre sol ».
« Le président américain considère la guerre en Irak comme étant au centre du dispositif de lutte contre le terrorisme ».
Depuis plus d’un an, l’administration américaine vante les bons résultats de sa nouvelle stratégie en Irak. Le « surge », l’envoi de 30 000 hommes supplémentaires sur le terrain, annoncé en janvier 2007, aurait rempli ses objectifs, selon le général David Petraeus. Le commandant en chef des troupes en Irak a déclaré que les violences avaient baissé de plus de 50% dans le pays. En conséquence, en novembre 2007, les Etats-Unis rappelaient 5 000 de leurs soldats, pour marquer la fin progressive de l’envoi de supplétifs et le retour au calme. Mais la démission, il y a une semaine, de l’amiral William Fallon, le commandant en charge des guerres en Irak et en Afghanistan, a relancé le débat sur l’efficacité de la stratégie américaine dans le pays.
La guerre a mis fin à un quart de siècle de dictature. Saddam Hussein a bien tenté de faire bonne figure au début du conflit, mais ce fut de courte durée.
« Il faudra attendre la défaite des républicains aux élections de mid-term, en novembre 2006, pour que le président Bush consente à modifier un tant soit peu sa politique ».
L’Irak, miné par les violences
Si une baisse des violences a été enregistrée courant 2007, les attentats ont repris de plus belle en 2008, et l’Irak est victime chaque jour de nouvelles violences. Dans la ville chiite de Kerbala, ce lundi, 43 personnes sont mortes victimes d’un attentat-suicide. Mardi, six personnes ont été tuées et 51 blessées à Mossoul et dans le nord de Bagdad. L’insécurité est le drame quotidien des Irakiens. Les Etats-Unis ont dépensé 20 milliards de dollars pour équiper et entraîner quelque 250 000 policiers et 160 000 soldats irakiens. Mais ces hommes sont eux-mêmes régulièrement la cible d’attaques-suicides, et ne sont pas en mesure pour l’instant de maintenir l’ordre et la sécurité.
Sans la solidarité, qui reste de tradition entre Irakiens, la vie quotidienne serait un enfer.
« On n'a pas beaucoup de boulots hormis les boulots dangereux comme être soldat, être policier ou traducteur et, dans ce cas-là, on est visé par les principaux groupes armés ».
A Bagdad, les habitants ne disposent que de quatre à six heures d’électricité par jour. Dans tout le pays, selon l’ONG Oxfam, 70% des irakiens n’ont pas accès à l’eau potable et 43% vivent avec moins d’un dollar par jour. La guerre a fait environ 4,4 millions de déplacés, dont deux millions qui ont fui leur pays pour se réfugier essentiellement en Syrie et en Jordanie. Selon le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU, il s’agirait de la plus « vaste migration humaine » depuis la partition entre l’Inde et le Pakistan, en 1947. Ces déplacements de population posent de nombreux problèmes dans les pays d’accueil.
« La Syrie est sans doute le deuxième pays le plus touché par l'invasion américaine de l'Irak. Elle a accueilli 2 millions de réfugiés irakiens. »
Si les Américains estiment à près de 4 000 le nombre de leurs soldats tués, et à 29 000 celui des blessés, le bilan humain côté irakien est sujet à controverses. Les chiffres varient de 81 000 morts à 1,2 millions, au bout de 5 ans de conflit. Selon une enquête menée par l’Organisation mondiale de la santé et le ministère irakien de la Santé, 151 000 civils seraient morts de façon violente durant les trois premières années du conflit (entre avril 2003 et juin 2006). Un chiffre auquel il faut ajouter les personnes décédées pour des causes liées de près ou de loin au conflit, et à la dégradation des conditions de vie – le taux de malnutrition infantile, par exemple – est passé de 19% pour la période 1999-2003 (alors que l’Irak était soumis à un embargo international) à 28% en 2007.
Sur le plan politique, la situation n’est guère meilleure. Après avoir écarté les sunnites de la scène politique et de l’administration, les Américains tentent de les réintégrer au jeu politique. Mais la coalition au pouvoir, contrôlée par une majorité chiite, n’est pas pressée de voir les sunnites, au pouvoir sous Saddam Hussein, reprendre une place sur l’échiquier politique.
Ces cinq années de conflit ont exacerbé les haines entre les communautés sunnites et chiites, avec le risque d’une contagion au niveau régional.
« Très vite, les Etats-Unis ont compris qu'une de leurs plus graves erreurs avait été d'exclure de la gestion des affaires la communauté sunnite. »
L’Irak dans la campagne
Aux Etats-Unis, de nombreux rassemblements ont eu lieu ce mercredi pour protester contre la guerre en Irak. Selon un sondage réalisé par la chaîne CNN, deux tiers des Américains se prononcent contre l’intervention américaine dans le pays et 61% estiment que le futur président devrait retirer les troupes « dans les mois qui suivent sa prise de fonction ». Pourtant, d’après une étude réalisée par le Pew Research Center, les Américains sont plus optimistes que dans le passé. Si 54% d’entre eux estiment que l’intervention était une mauvaise décision, 48% jugent que la situation militaire est bonne. « Je pense que ce sera une question beaucoup plus importante lors de l’élection présidentielle que ça ne l’a été pendant les primaires », explique Carol Dougherty, directeur adjoint du Pew Research Center.
« Lors des élections de mi-mandat, en 2006, il ne fait aucun doute que les démocrates ont bénéficé de la grande insatisfaction suscitée par la guerre en Irak. »
Les sondages d’opinion montrent que deux tiers des Américains sont désormais hostiles à la guerre en Irak. Mais avec la crise économique qui s’intensifie (…) les gens n’ont pas le cœur à défiler dans les rues.
Les différents candidats ont déjà fait de l’Irak un enjeu de la campagne. Le candidat républicain, John McCain, s’est rendu à Bagdad en début de semaine. Il estime qu’un retrait militaire complet d’Irak plongerait le pays dans un bain de sang, et que les Américains doivent rester en Irak, « un siècle s’il le faut ». Hillary Clinton qui, en tant que sénatrice de l’Etat de New York, avait voté pour l’intervention en Irak, prône désormais un retrait progressif des troupes, qui commencerait dans les 60 jours après son élection. Son adversaire démocrate, Barak Obama, est plus radical sur la question : il a toujours clamé son opposition à la guerre en Irak et promet un retrait complet dans les 16 mois suivant son élection.
Il y a encore un an la guerre en Irak battait des records d'impopularité aux Etats-Unis. Aujourd'hui l'opinion y est sensiblement moins hostile.
Pour l’heure, les Américains semblent être plus préoccupés par les questions économiques. Ils risquent de trouver l’investissement en Irak très lourd, au regard de la crise qui touche le pays : officiellement, la guerre en Irak aurait déjà coûté 500 milliards de dollars aux Etats-Unis. Ce mois-ci, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, a estimé que ce coût s’élevait en réalité à 3 000 milliards de dollars.
Sur le même sujet
A écouter
« Officiellement, la guerre en Irak a déjà couté 400 milliards de dollars aux Etats-Unis. »
19/03/2008 par Murielle Paradon
« Gordon Brown est dans une position très inconfortable ».
19/03/2008 par Muriel Delcroix
« Les journalistes américains eux-mêmes racontent que, depuis cinq ans que dure cette guerre, ils ne savent plus trop comment se renouveler ».
19/03/2008 par Donaig Ledu
Directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et mediterranéen à Genève
« Vous avez une guerre bâclée, le procès de Saddam Hussein a été bâclé et cela donnera aussi une paix bâclée et les successeurs politiques irakiens qui ont accompagné l’envahisseur américain arrivent difficilement à assurer une stabilité politique ».
20/03/2008