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OTAN / Russie

Personne ne gagne, mais tout le monde se réjouit

par Piotr Moszynski

Article publié le 04/04/2008 Dernière mise à jour le 05/04/2008 à 02:52 TU

Le sommet de l’Otan à Bucarest n’a pas apporté de réponses claires à l’une des questions essentielles pour l’avenir de l’Alliance atlantique : comment gérer ses relations avec la Russie et quelle attitude adopter par rapport à ce partenaire important et difficile. Les divisions sur ce point au sein de l’Alliance sont encore mieux visibles après le sommet qu’avant.

Le président russe Vladimir Poutine et son homologue américain George Bush pendant le sommet de l'Otan, le 4 avril 2008, à Bucarest.(Photo : Reuters)

Le président russe Vladimir Poutine et son homologue américain George Bush pendant le sommet de l'Otan, le 4 avril 2008, à Bucarest.
(Photo : Reuters)

Vu sous un certain angle, le sommet de Bucarest peut paraître comme un triomphe de la diplomatie dans le sens le plus classique du terme : personne n’en sort vraiment content, mais tout le monde y trouve de quoi se vanter de succès devant son opinion publique. A l’issue du Conseil Otan-Russie, avec la participation de Vladimir Poutine, le secrétaire général de l’Alliance, Jaap de Hoop Scheffer, a reconnu que la rencontre n’a apporté « aucune percée » sur les questions qui fâchent, notamment sur le Kosovo, sur la défense antimissile et sur l’élargissement de l’Otan. Des raisons de se réjouir ne manquent pourtant pas : « atmosphère constructive » (le même J. de Hoop Scheffer), « aucune agressivité dans les débats » (Angela Merkel), « volonté de dialogue » (Miguel Angel Moratinos), dialogue « très ouvert » (Vladimir Poutine), « la Guerre froide est terminée » (George W. Bush). Bref, les débats n’ont permis aucune avancée notable, mais au moins ils n’ont pas été agressifs.

Divisions européennes

La Russie tient particulièrement à ce que l’Otan n’ose pas trop s’approcher de ses frontières en ouvrant sa porte à la Géorgie et à l’Ukraine. Sur ce plan, elle a remporté un demi-succès. L’Allemagne et la France, avec plusieurs autres pays, se sont fermement opposées à l’idée de faire adhérer les deux anciennes républiques soviétiques au MAP (Membership Action Plan – le Plan d’action pour l’adhésion) dès le sommet de Bucarest. Le MAP est une des étapes décisives sur la voie vers l’Otan, garantissant en pratique que le pays qui y participe devient candidat officiel à entrer dans l’Alliance. Les Américains, accompagnés par la grande majorité des anciens pays communistes européens, faisaient pression pour que cette décision ne soit pas retardée. Ils ont juste obtenu qu’elle ne soit pas rejetée. En effet, les ministres des Affaires étrangères doivent en débattre de nouveau et prendre éventuellement une décision en décembre prochain. Par ailleurs, l’Alliance a exprimé sa volonté de voir les deux pays la rejoindre à terme. Pour le président ukrainien Viktor Iouchtchenko, il s’agit d’un « évènement historique », car « c’est la première fois qu’une déclaration si claire a été formulée ».

Le vrai succès de la diplomatie russe dans cette affaire consiste en une confirmation flagrante de l’efficacité de sa politique d’ignorer plus ou moins l’Union européenne en tant que telle. Selon une des thèses de base de la nouvelle politique étrangère de Moscou, ce sont les Etats-nations souverains qui détermineront l’avenir de l’Europe. Ainsi, l’Union européenne n’est digne que d’être traitée comme un phénomène passager. Suivant cette logique, le Kremlin s’appuie sur les contacts bilatéraux avec les pays membres de l’UE, en exploitant leurs particularités (comme des degrés divers de méfiance ou confiance à l’égard des Etats-Unis). Ainsi, à Bucarest, la Russie a réussi une éblouissante démonstration de la fameuse thèse de Donald Rumsfeld sur la division entre « la nouvelle Europe » pro-américaine et « la vieille Europe » qui l’est beaucoup moins. A l’occasion – ce qui est passé presque inaperçu – la Russie a aussi démontré une nouvelle fois la redoutable efficacité de la transformation d’une dépendance vis-à-vis de ses ressources énergétiques en une dépendance politique. La Hongrie, devenue pratiquement totalement dépendante de la Russie sur le plan énergétique, est le seul pays ex-communiste à s’opposer à Bucarest à l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine au MAP.

Odeur de naphtaline

Cela dit, ce succès russe risque d’avoir des conséquences pratiques assez limitées. L’Otan a visiblement l’intention de faire adhérer la Géorgie et l’Ukraine dans quelques années. Certains pays membres pourraient essayer de retarder, voire bloquer cette décision pour des raisons qui leur sont propres, mais dans l’ensemble les pays occidentaux ont de plus en plus de mal à comprendre, dans le contexte d’un monde de plus en plus globalisé (y compris militairement), l’argumentation russe qui semble enracinée plutôt dans le XIXe que dans le XXIe siècle. Zones d’influence, pré-carrés impériaux, frères slaves, un ennemi trop près de frontières… tout cela laisse planer une odeur de naphtaline et donne l’impression de concentrer d’énormes efforts sur des objectifs finalement un peu fantasmagoriques. Il n’est sans doute pas difficile de comprendre cette argumentation. Mais comprendre ne veut pas forcément dire approuver et suivre.

L’Otan a d’ailleurs émis également un signal clair pour dire qu’elle n’allait ni l’approuver, ni la suivre. Les dirigeants réunis à Bucarest ont mis un terme net aux espoirs de la Russie de limiter les négociations sur l’installation du bouclier antimissile américain en Europe aux relations bilatérales avec Washington, accompagnées de pressions sur les capitales directement impliquées : Prague et Varsovie. Le bouclier devient désormais une affaire de l’Alliance atlantique qui invite les Russes cordialement mais fermement à coopérer.

Les attitudes des deux côtés se préciseront peut-être un peu plus lors de la prochaine rencontre de George W. Bush et de Vladimir Poutine à Sotchi. Toutefois, il s’agit de la dernière rencontre des deux présidents qui quittent bientôt leurs fonctions. Il est vrai que le nouveau chef de l’Etat russe, Dmitri Medvedev, vient aussi à Sotchi, mais Bush ne pourra pas encore lui présenter son futur homologue américain. Un moment idéal pour l’Europe pour essayer de s’immiscer dans le jeu des grands ? Peut-être. Saura-t-elle en profiter ? C’est une autre question.

A écouter

Vladimir Poutine, président russe

« L'apparition sur nos frontières d'un bloc militaire puissant dont les actions sont placées, entre autre, sous l'article 5 du Traité de Washington, sera considéré par la Russie comme une menace directe à sa sécurité. »

05/04/2008 par Donbrovskaia Inga