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Birmanie / Crise humanitaire

La junte résiste aux pressions

par Sophie Malibeaux

Article publié le 14/05/2008 Dernière mise à jour le 15/05/2008 à 09:20 TU

Les acteurs internationaux tentent d’éviter une catastrophe dans la catastrophe en Birmanie, près de deux semaines après le passage du cyclone Nargis. Plusieurs hauts responsables insistent auprès des généraux birmans pour qu’ils se décident à autoriser une entrée massive d’aide et de travailleurs humanitaires. Le Premier ministre thaïlandais, suivi du commissaire européen au Développement Louis Michel ont fait le voyage, tandis que depuis Londres, le Premier ministre Gordon Brown appelle l’ONU à organiser un sommet d’urgence sur le modèle de celui organisé après le tsunami de 2004. A New York, le responsable des Affaires humanitaires de l'ONU, John Holmes, a appelé les autorités birmanes à un « changement radical » d'attitude en permettant aux spécialistes internationaux de se rendre dans les zones affectées afin d'éviter une seconde vague de décés. Le secrétaire général de l'ONU, Ban-Ki-moon, a annoncé mercredi soir qu'il allait envoyer prochainement John Holmes en Birmanie.
Le Premier ministre thaïlandais Samak Sundaravej (2e à droite) présente à son homologue birman Thien Sein (g) l'aide humanitaire de la Thaïllande, le 14 mai 2008.(Photo : AFP)

Le Premier ministre thaïlandais Samak Sundaravej (2e à droite) présente à son homologue birman Thien Sein (g) l'aide humanitaire de la Thaïllande, le 14 mai 2008.
(Photo : AFP)


La catastrophe naturelle est en train d’évoluer en crise humanitaire à force de limiter les moyens engagés pour répondre aux besoins des sinistrés. Ce mercredi 15 mai, le bilan officiel s’établissait à plus de 38 500 morts et 28 000 disparus, tandis que le secrétaire d’Etat britannique, Douglas Alexander, évoquait un bilan de quelque 200 000 morts, se basant sur les estimations des organisations caritatives. Plus le temps passe, plus les besoins s’accroissent dans les districts les plus touchés de Rangoon et du delta de l’Irrawaddy, où près de deux millions de personnes manquent d’eau potable, de nourriture et d’abris. Or, la junte a mis en place de nombreux barrages militaires pour maintenir les témoins étrangers de la catastrophe à l’écart des zones sinistrées. L’on sait malgré tout que des dizaines de milliers de survivants n’ont encore eu accès à aucune aide.

 Les militaires birmans font tout pour garder la haute main sur la distribution des vivres. Les organisations humanitaires internationales ont pu – à grand-peine – obtenir l’autorisation de faire atterrir plusieurs avions chargés de médicaments, biens de première nécessité, couvertures, bâches et autres matériels de survie, mais le personnel humanitaire étranger reste pour la plupart tenu à l’écart des zones sinistrées, où seules les équipes locales sont autorisées à se rendre. Des autorisations spéciales délivrées par le commandement régional militaire sont requises pour ceux qui souhaitent accompagner l’aide jusqu’à destination finale. Ces mesures de contrôle extrêmement strictes freinent considérablement la progression des secours. C’est pour déverrouiller ce système que plusieurs hauts responsables ont fait le voyage.

Tentative diplomatique du Premier ministre thaïlandais 

Le chef du gouvernement thaïlandais, Samak Sundaravej, lui-même soumis à la pression des diplomates britanniques et américains, a entamé une visite en Birmanie, devant le conduire à rencontrer son homologue birman. L’objectif du voyage est d’obtenir du Premier ministre birman Thein Sein un assouplissement des restrictions imposées par la junte. Ce mercredi 14 mai 2008, la junte a d’ailleurs fait un geste à l’égard des pays voisins, autorisant 160 personnels humanitaires des pays voisins à entrer dans le pays. Ces équipes de secours viennent du Bangladesh, de Chine, d’Inde et de Thaïlande, les principaux partenaires commerciaux du pays. Leurs gouvernements ont souvent été plus complaisants avec les généraux birmans que les démocraties occidentales. Ces dernières ayant pris des sanctions contre la junte, depuis la confiscation de la victoire électorale de l’opposition en 1990. Le Premier ministre Samak, quant à lui, n’est pas arrivé les mains vides à Naypidaw, la capitale-forteresse de la junte. Dans ses bagages, il y avait les 100 téléphones satellites réclamés par les militaires, mais aussi une lettre des Nations unies priant la junte de délivrer des visas aux personnels humanitaires étrangers.

Mission délicate pour le commissaire européen Louis Michel

Arrivé à Rangoon en fin de journée le 15 mai, le commissaire européen au Développement prévoit de rester deux jours environ et d’avoir des discussions avec des hauts responsables birmans, mais sans aucune garantie. Surtout, Louis Michel souhaite rencontrer les responsables des organisations humanitaires et espère pouvoir se rendre dans la zone la plus touchée par le cyclone, dans le delta de l’Irrawaddy, mais il n’est pas sûr d’y parvenir. Ce que le régime birman accepte des voisins d’Asie, n’est pas forcément accordé aux Occidentaux. Louis Michel estime que le travail effectué par les humanitaires européens depuis deux ans en Birmanie devrait lui faciliter la tâche. Il met l’accent sur le caractère strictement « humanitaire » de sa mission. Malheureusement, il n’est pas sûr non plus que ce concept soit compris de la junte. Les généraux restent obnubilés par leur maintien au pouvoir. C’est pourquoi, dans moins de dix jours, les quatre millions d’électeurs des zones les plus touchées seront appelés aux urnes. Entre les bilans de la catastrophe continuellement revus à la hausse sur les chaînes de la télévision d’Etat, les spots de propagande continuent de tourner pour pousser les populations à voter « oui » au projet de Constitution de la junte. Une partie des électeurs, dans les zones épargnées par la catastrophe, ont déjà voté. Sur les quatre millions restant, appelés à s’exprimer le 24 mai prochain, deux millions environ ont perdu tous leurs biens, et des membres de leur famille, quand ils n’ont pas tout simplement disparu. Il n’empêche, la junte tient à brandir sa victoire. Le texte constitutionnel que les autorités birmanes tentent de faire approuver par la population renforce leur main mise sur le pouvoir et exclut à jamais le retour en politique de la dissidente, prix Nobel de la paix, Aung San Su Kyi.

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