Article publié le 16/05/2008 Dernière mise à jour le 27/05/2008 à 07:14 TU
Les zones les plus touchées par le cyclone Nargis se trouvent dans le delta du fleuve Irrawady à 200 km au sud-ouest de Rangoon, l’ancienne capitale birmane.
Bogalay, c’est là que le cyclone a sans doute fait le plus de victimes. Certaines estimations officieuses mais sérieuses font état de 100 000 morts, rien que pour la région administrative, c'est-à-dire le township qui s’étend sur 180 km².
C’est dans cette bourgade de 45 000 habitants que nous partons pour tenter de témoigner de la catastrophe humanitaire et de ses conséquences.
Pour accéder à cette zone interdite, nous allons emprunter une étroite route caillouteuse qui serpente au milieu des rizières et utiliser plusieurs moyens de transport.
Nous n’avons évidemment aucune autorisation. Nous nous sommes donc préparés à déjouer plusieurs contrôles de police.
 
Pour ne rien arranger, les pluies de mousson, en avance cette année, inondent les rues de la ville. Ce qui complique les opérations de secours et augmente le risque d’épidémie.
Il n’y a pas une minute à perdre, des trombes d’eau s’abattent chaque jour sur la ville et il faut mettre sa famille à l’abri.
Depuis la catastrophe, Bogalay accueille des milliers de déplacés qui s’entassent dans des camps improvisés : des monastères, des écoles, ou bien un temple hindou dédié à Ganesh, le dieu protecteur - Ça tombe plutôt bien !
Dans ce lieu, mille personnes reçoivent gratuitement de la nourriture, sans discrimination de race ou de religion. Solidarité hindoue en terre bouddhiste. Bien avant l’aide internationale, ce sont ces réseaux locaux de solidarité qui fonctionnent le mieux. Nous ne faisons aucune photo de déplacés dans ces camps pour ne pas être repérés.
Pour comprendre l’ampleur de la catastrophe, nous arrangeons avec beaucoup de difficultés un départ en bateau pour aller dans le cœur du delta, là où les morts se comptent par milliers. Ce genre de voyage est interdit aux étrangers, y compris aux organisations non-gouvernementales.
Le gouvernement, évidemment, ne veut pas de témoins étrangers. Cette fois, ce sont des moines qui vont nous aider.
Grâce à leurs contacts, nous allons une fois de plus déjouer la vigilance des militaires pour parvenir à embarquer sur ce bateau d’une dizaine de mètres de long.
Deux moines sont du voyage. Ils découvrent avec nous un spectacle de désolation.
Des berges dévastées, des dizaines de têtes de bétail noyées dans le fleuve, et de très nombreux cadavres humains gonflés par les eaux.Après une heure et demi de bateau - que nous avons passée cachés sous des bâches - nous arrivons à destination : le village de Kayan, ou plutôt ce qu’il en reste, c'est-à-dire presque rien !
L’endroit a été littéralement avalé par les eaux, soufflé par les vents, écrasé par la tempête ! Seul le monastère a résisté. 
Cinq cents personnes vivaient là. Trois cents à peine ont survécu.
Ces paysans ont tout perdu : leurs maisons, leur bétail et leurs rizières, en partie inondées par de l’eau salée. C’est ça aussi la catastrophe : l’impossibilité pour les rescapés de cultiver leurs champs.
Après avoir discuté avec ce riziculteur, nous prenons le chemin du retour. On nous fait comprendre qu’il est trop risqué d’aller plus au sud, car la marine birmane patrouille sur le fleuve. C’est pourtant dans ces villages isolés parfois inaccessibles qu’il y a eu le plus grand nombre de victimes. Nous ne pourrons pas y aller.
Sur le bateau, pas un mot. Nous venons de prendre la mesure de la catastrophe. Elle est immense !
Nous resterons quatre jours à Bogalay avant de repartir vers Rangoon. Notre travail était loin d’être fini. Mais nous ne pouvions plus rester sans mettre en danger les Birmans qui nous avaient aidés. Nous leur rendons hommage : pour leur courage et la résistance dont ils font preuve au quotidien.
Bogalay-Rangoon : sur la route du retour, nous croisons de très nombreux déplacés. Chaque jour, ils sont plus nombreux à s’y agglutiner. Beaucoup d’enfants. Cela leur permet de rester au sec. Cela leur permet surtout de récupérer un peu d’aide lorsque les passagers des camions ou des voitures ouvrent leurs fenêtres.
Le voyage s’arrête à Rangoon.
En Birmanie, le cyclone Nargis a sûrement tué plus de 100 000 personnes et déplacé plus d’un million d’autres. C’est la plus grande catastrophe humanitaire qu’ait connu le pays.
Texte et photos : Luc Auberger
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