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Chine / Tibet

La négociation impossible

par Nicolas Vescovacci ( Avec AFP et Reuters)

Article publié le 10/11/2008 Dernière mise à jour le 10/11/2008 à 16:57 TU

C’est sans surprise que la Chine a annoncé ce lundi 10 novembre l’échec des discussions sur le Tibet avec les émissaires du Dalaï Lama. Le gouvernement fermera toujours la porte à toute forme d’autonomie et d’indépendance, a prévenu un négociateur chinois, mettant fin à tout espoir des Tibétains en exil. Parce qu’il faut bien désigner un coupable, Du Qinglin accuse le Dalaï Lama d’avoir créé les conditions de cette impasse politique. Pour la Chine, le Dalaï Lama doit « respecter l’histoire, affronter la réalité et fondamentalement changer ses propositions ». Officiellement, le gouvernement chinois ne ferme pas la porte à un futur dialogue. Mais à ses conditions : toujours sans concessions !

Le Dalaï Lama lors d'une conférence de presse à Sydney, le 12 juin 2008.(Photo : Reuters)

Le Dalaï Lama lors d'une conférence de presse à Sydney, le 12 juin 2008.
(Photo : Reuters)

Rien n’a jamais abouti car les jeux sont faits depuis longtemps. Depuis que Mao Zedong a ordonné le 7 octobre 1950 l’invasion militaire du Tibet. Depuis que le régime communiste a décidé de conquérir ces hauts plateaux, jusqu’à l’Himalaya, afin de redessiner la frontière sud-ouest de la Chine.

Et les Jeux Olympiques de Pékin n’ont rien changé. Sous la pression internationale, les autorités centrales avaient convenu de « reprendre contact » avec les émissaires du Dalaï Lama avant la grand-messe du sport mondial, histoire de faire croire à un assouplissement politique. Une réunion qualifiée de « cordiale » avait eu lieu à Pékin au début du mois de juillet 2008. Mais sans aucun résultat ! Pourquoi d’ailleurs y en aurait-il eu ? Sur le Tibet, la Chine n’a jamais rien eu à négocier. C’est à peine si elle veut discuter ! Rien d’étonnant donc que le gouvernement de Pékin ait annoncé ce lundi 10 novembre 2008 l’échec de la huitième et dernière rencontre entre les deux parties qui s’inscrit dans un long processus mort-né qui a redémarré en septembre 2002.

« Nos contacts et discussions n'ont pas permis de progresser et les représentants du chef spirituel des Tibétains devraient en assumer la pleine responsabilité ». La rhétorique du Parti communiste reste immuable. Les Tibétains sont forcément « coupables » de vouloir porter atteinte à l’intégrité du territoire national.

Comme à chaque fois qu’ils se rendent en Chine, les émissaires du Dalaï Lama sont arrivés à Pékin la semaine dernière avec des propositions. Pas un brûlot anti-communiste, mais la compilation de quelques revendications politiques et culturelles afin d’envisager une autonomie pour le peuple tibétain dans un ensemble chinois. Le gouvernement tibétain en exil ne milite plus pour l’indépendance du Tibet depuis près de vingt ans. Il prône une « voie médiane ». Dans la capitale chinoise, les officiels continuent pourtant d’accuser le Dalaï Lama, leader d’une « clique de terroristes » qui chercherait à déstabiliser la Chine.  « La porte vers l’indépendance du Tibet, la demi-indépendance ou l’indépendance voilée n’a jamais été ouverte et ne le sera jamais », a expliqué Du Qinglin, le directeur du département du Front uni du travail qui gère les relations avec les minorités religieuses et ethniques. Durant les deux jours d'entretiens avec les diplomates tibétains, les autorités chinoises ont donc mis plutôt l’accent sur les changements nécessaires que le chef spirituel et politique des Tibétains doit opérer : « le Dalaï Lama doit abandonner ses opinions et actions séparatistes et s’efforcer de comprendre le peuple chinois », a expliqué Zhu Weiqun, le vice-ministre du Bureau des relations extérieures du Parti communiste.

Pour que les Tibétains comprennent mieux le peuple chinois, leurs émissaires ont été conduits, en marge des discussions, dans la province de Ningxia où vivent des populations Hui : des minorités musulmanes que Pékin met volontiers en avant pour incarner la réussite du modèle d’intégration à la chinoise.

Ce voyage forcé à caractère ethnique n’a semble-t-il pas convaincu les envoyés spéciaux du Dalaï Lama qui n’ont évidemment pas changé une ligne de leur protocole d’accord censé consacrer leur vision d’un Tibet autonome.

Le Dalaï Lama jette l’éponge

Face à l’intransigeance de Pékin, le Dalaï Lama n’a pas attendu l’annonce d’un échec programmé des discussions pour exprimer son amertume. Lors d’un déplacement au Japon au début du mois de novembre 2008, le quatorzième représentant du peuple tibétain expliquait à des journalistes que la revendication pour une plus grande autonomie du Tibet avait échoué. « Ma confiance envers le gouvernement chinois est devenue de plus en plus mince. La répression au Tibet s’accroît et je ne peux pas prétendre que tout va bien. Les Tibétains sont condamnés à mort. Cette ancienne nation et son héritage culturel sont en train de mourir, » affirmait-il.

L’apôtre de la non-violence reconnaissait ainsi « un échec personnel ». Pour de nombreux Tibétains, notamment les plus jeunes, cet aveu d’impuissance venait confirmer l'impasse de la stratégie de la médiation qui consiste à ne pas demander l'indépendance mais une simple autonomie.

De jeunes exilés tibétains indépendantistes poussent depuis des mois pour une radicalisation du mouvement et menacent de déborder la vieille garde tibétaine.

Après plusieurs décennies de combat, quarante-neuf ans d’exil, le lauréat du prix Nobel de la paix a clairement annoncé qu’il se mettait en « semi retraite », dans l’attente de la définition d’une nouvelle ligne politique qui doit être discutée à Dharamsala, en Inde. La retraite a-t-elle sonné pour le Dalaï Lama ? Faut-il que le vieux bonze de 73 ans, à la santé fragile, passe la main ?

En tous cas, entre le 17 et le 22 novembre 2008, trois cents représentants des communautés tibétaines en exil devraient tenter d’élaborer une nouvelle stratégie pour faire face à la Chine. Si un éventuel durcissement est possible, « le mouvement tibétain demeurera non violent, » assure le secrétaire particulier du Dalaï Lama. Une dimension, selon ses proches, qui ne serait pas négociable.

Sans prendre le chemin de la violence, beaucoup d’observateurs s’interrogent sur le bien fondé de la « voie médiane » prônée par l’actuelle direction du gouvernement tibétain. La jeune garde représentée par Tsewang Rigzin, le président du Congrès de la jeunesse tibétaine, voudrait profiter de ce mini-sommet inter-tibétain pour imposer sa vision des choses. Fini l’autonomie, selon lui, c’est désormais l’indépendance qu’il faudrait exiger des autorités centrales chinoises. Si elle venait à se confirmer, cette radicalisation du mouvement tibétain serait considérée à Pékin comme une déclaration de guerre.