par Georges Abou
Article publié le 02/12/2008 Dernière mise à jour le 03/12/2008 à 18:09 TU
La Cour constitutionnelle thaïlandaise a finalement donné satisfaction à l’opposition. Elle a ordonné la dissolution du Parti du pouvoir du peuple (PPP) et l’exclusion de son leader de la scène politique pendant cinq ans. Conséquences immédiates : le Premier ministre est déchargé de sa fonction et les milliers de manifestants qui bloquaient le trafic aérien des aéroports de Bangkok autorisent la reprise des vols.
On attendait un coup d’Etat militaire. C’est finalement un coup d’Etat judiciaire qui a eu lieu ce mardi avec cette décision de la plus haute juridiction du royaume de sanctionner la coalition au pouvoir. Certains responsables du Parti du pouvoir du peuple, et de deux formations alliées, ont été reconnus coupables de fraudes électorales lors des élections législatives de décembre 2007, qui avaient mis fin à quinze mois d’administration militaire. Selon la nouvelle Constitution, adoptée sous administration militaire en août 2007, la fraude électorale peut disqualifier l’ensemble d’une formation politique. Au total, ce sont 109 dirigeants des trois partis qui ont été écartés de la politique, ce mardi, par les juges constitutionnels.
C’est une première victoire pour l’opposition ultraroyaliste réunie au sein de l’Alliance du peuple pour la démocratie (PAD), qui a engagé depuis plusieurs mois un vaste mouvement de protestation contre le gouvernement et le Premier ministre Somchai Wongsawat, qualifié de « tyran » par ses adversaires. La tension s’est aggravée la semaine dernière avec l’occupation des deux grands aéroports commerciaux du pays. Cet épisode, avec ses conséquences considérables sur l’activité économique, et notamment touristique du pays, a accéléré le processus de décomposition politique qui menaçait.
Concrètement, c’est désormais le vice-Premier ministre qui va assurer l’intérim du pouvoir. A charge pour Chavarat Charnvirakul de présider le cabinet, tandis que le Parlement sera appelé à désigner le nouveau Premier ministre chargé de constituer la prochaine équipe gouvernementale. L’objectif immédiat, à l’échéance des prochaines 48 heures, est d’obtenir une apparente stabilité dans la perspective du discours que le roi prononcera, comme c’est la tradition, le 4 décembre, à la veille de son 81ème anniversaire.
Sept mois de crise
Reste à savoir si la décision de la Cour constitutionnelle thaïlandaise est de nature à ramener la stabilité dans le pays. Incontestablement cette décision a au moins pour effet de desserrer l’étau autour du trafic aérien en provenance et à destination des aéroports de la capitale. Trois cent cinquante mille passagers sont bloqués en Thaïlande en raison de l’occupation des aéroports. Dès ce mercredi 3 décembre, les autorités aéroportuaires estiment qu’elles pourront mener les vérifications nécessaires au rétablissement du trafic. « Un premier vol pourrait partir d’ici 24 heures, s’il n’y a pas de problèmes techniques », assure le président de l’autorité des aéroports de Thaïlande. Mais, selon d’autres responsables, la remise en route des installations pourraient prendre encore plusieurs jours. La date du 15 décembre est prononcée pour la reprise normale du trafic.
Sur le plan politique, le fondateur de la PAD annonce l’arrêt de toutes les actions de son mouvement mercredi, soit deux jours avant la date anniversaire du très respecté souverain Bhumibol Adulyadej. « L’Alliance du peuple pour la démocratie a accepté de cesser les manifestations après une longue campagne de 192 jours. Nous avons remporté une victoire », affirme Sondhi Limthongkul.
« Trop bêtes pour voter »
Pourtant si cette apparente victoire de l’opposition, obtenue avec l’inertie bienveillante de l’armée, semble écarter les risques de dérapage immédiat, c’est une nouvelle bataille politique qui va s’engager. Qu’il est été judiciaire ou militaire, le scenario avait été anticipé par les militants du PPP désormais dissous. Ils ont créé le Pheu Thaï (« Pour les Thaï »). Et d’ores et déjà, le nouveau parti peut compter sur les 216 députés (sur 480) épargnés par le jugement de la Cour constitutionnelle.
Pour le journaliste Yvan Cohen (http://www.yvancohen.blogspot.com/) qui observe la vie politique thaïlandaise depuis des années, « c’est une révolution à l’envers » qui est en cours dans ce pays. Nombre d’observateurs évoquent en effet une restauration conservatrice, un an après la victoire électorale du PPP. L’analyste politique Thitinan Pongsudhirak, de l’université Chulalongkorn, estime pour sa part que la décision de la cour a pratiquement « éliminé une génération de politiciens ». Et, dans un article publié à l’issue de l’annonce du jugement, son collègue Giles Ji Ungpakorn qualifie les activistes du PAD de « fascistes armés », d’« extrémistes de la classe moyenne qui n’ont pas besoin d’aller travailler » et qui prétendent que « les pauvres sont trop bêtes pour mériter le droit de vote ».
La légitimité des urnes
Dans ces conditions, alors que les critiques se font de plus en plus vives contre ce coup de force constitutionnel, les conditions de ce succès obtenu de façon extra-constitutionnelle par le PAD pourraient heurter la sensibilité d’une large fraction de l’opinion publique thaïlandaise. Et se traduire dans les urnes, lors des prochaines élections législatives désormais attendues par un vote de sympathie à l’égard d’un PPP brutalement écarté des affaires et démantelé. Car, en tout état de cause, lors de la dernière consultation, le PPP aujourd’hui décapité est bien apparu à l’issue du vote comme le premier parti de Thaïlande, de même qu’avant lui, son prédécesseur de même inspiration, le Thaï Rak Thaï. Dans ces conditions, il ne serait pas invraisemblable que le Pheu Thaï, qui succèdent aux deux précédents, obtiennent la légitimité des urnes.
Enfin, outre les dégâts économiques qui se chiffrent en milliards de dollars, le bilan humain de l’aventure est lourd. Si la guerre civile n’a pas déferlé sur le pays, la situation, tout au long des mois écoulés, a souvent pris une tournure violente, voire insurrectionnelle. Depuis la fin août, la crise thaïlandaise a fait au moins 7 morts et des centaines de blessés.
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Nous avons déjà vu un coup d'Etat militaire en septembre 2006 (...) Cette fois-ci, c'est plutot un coup d'Etat qui serait passé par les cours de justice.
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«Tous les partis fraudent aux élections.(...) Si les juges avaient voulu être justes, ils auraient peut-être dû dissoudre absolument tous les partis!»
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