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Liban / Syrie

Michel Aoun prône, en Syrie, l'ouverture et l'amitié

par Paul Khalifeh

Article publié le 04/12/2008 Dernière mise à jour le 04/12/2008 à 11:02 TU

Le président syrien Bashar al-Assad (D) s'entretient avec Michel Aoun (G), leader de l'opposition chrétienne libanaise, à Damas.( Photo : Louai Beshara/AFP )

Le président syrien Bashar al-Assad (D) s'entretient avec Michel Aoun (G), leader de l'opposition chrétienne libanaise, à Damas.
( Photo : Louai Beshara/AFP )

Fini le temps de l’hostilité, place à l’amitié. En se rendant en Syrie pour une visite de cinq jours, Michel Aoun tourne la page d’un passé fait de souffrances et de suspicions entre les chrétiens du Liban et Damas. Il opère un repositionnement stratégique qui lui donne la dimension de leader des chrétiens d’Orient. L'événement pourrait être historique.

« Nous ouvrons une nouvelle page où il n'y a ni vainqueur ni perdant. C'est un retour à des relations normales basées sur l'ouverture. Ce qui était dans le passé un tabou est devenu aujourd’hui acceptable, voire souhaitable ». Par cette phrase prononcée au palais présidentiel syrien après un entretien avec le président Bachar al-Assad, Michel Aoun a annoncé le début d’une amitié avec Damas, son ancien adversaire.

Le leader chrétien libanais, qui a combattu la Syrie militairement au Liban entre 1988 et 1990, et politiquement entre 1990 et 2005, a franchi mercredi un pas qui était inimaginable il y a quelques mois à peine. Accompagné d’une délégation comportant quatre députés de son bloc parlementaire, plusieurs responsables de son Parti, le Courant patriotique libre (CPL), et de nombreux journalistes, Michel Aoun a entamé une visite de cinq jours dans différentes régions syriennes, « sur les traces des premiers chrétiens », selon un membre de son entourage.

Cette visite controversée a suscité de virulentes critiques de la part de la coalition anti-syrienne du 14-Mars, dont la plupart des membres étaient des alliés de Damas pendant la période la tutelle syrienne avant l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, en février 2005. L’Eglise maronite, à laquelle appartient le général Aoun, n’a fait aucun commentaire sur la visite.

Michel Aoun a eu droit à un accueil réservé aux invités de marque. Le tapis rouge a été déroulé à son arrivée à l’aéroport de Damas à bord de l’avion présidentiel syrien, spécialement dépêché à Beyrouth pour l’occasion. Il a été accueilli avec tous les honneurs par le vice-ministre des Affaires étrangères, Fayçal Mokdad. Il s’est ensuite rendu au palais présidentiel où l’attendait Bachar al-Assad, avec qui il a eu un long tête-à-tête. Lors de cette première rencontre entre les deux hommes, Michel Aoun a évoqué, selon son entourage, « les questions d’intérêts communs, y compris le sort des disparus libanais en Syrie ».

Dans une conférence de presse à l’issue de l’entretien, l’ancien chef du gouvernement militaire (1988-1990) a donc annoncé « l’ouverture d’une nouvelle page entre les deux pays ». En réponse à une question, il a assuré que « la Syrie encourage la tenue des élections législatives (prévues au printemps au Liban), mais elle n'y intervient pas. Elle ne paye pas de l’argent », a-t-il dit, en allusion aux sommes dépensées par l’Arabie saoudite au pays du cèdre pour soutenir la coalition du 14-Mars.

Michel Aoun s’est également entretenu avec le vice-président syrien Farouk Chareh et le ministre des Affaires étrangères, Walid Moallem. Il devrait avoir une autre réunion avec le président Assad avant son départ.

Politique, histoire et religion

Une grande partie du programme de la visite de Michel Aoun a une dimension historique et religieuse. Il doit visiter, ce jeudi, le célèbre souk al-Hamidiya puis la mosquée des Omeyyades qui abrite dans deux de ses ailes le tombeau de Saint-Jean Baptiste et celui de Saladin, le « libérateur de Jérusalem ». Mais le moment le plus intense de son voyage est prévu dimanche, lorsqu’il se recueillera sur la tombe de Saint-Maron, le patron de sa communauté, dans le village de Brad, au nord d’Alep. Une messe sera célébrée en plein air et une foule immense y est attendue.

La Syrie compte quelque 1,7 millions de chrétiens qui jouissent d’une liberté de culte totale et qui sont actifs et influents dans les institutions politiques et administratives de l’Etat. Michel Aoun visitera d’ailleurs la ville d'Alep et ses environs, qui abritent une importante communauté chrétienne.

Pendant son exil de 15 ans en France, Michel Aoun a été le fer de lance du mouvement réclamant le retrait des troupes syriennes présentes au Liban depuis 1976. Il est rentré à Beyrouth le 7 mai 2005, deux semaines après le départ du dernier soldat syrien. Un mois plus tard, il enregistrait une victoire écrasante dans la plupart des circonscriptions à majorité chrétienne, ce qui lui a permis de se constituer un bloc de 22 députés sur les 128 que compte le Parlement. Après le retrait syrien, il a appelé à la normalisation des relations avec Damas, accusé par le 14-Mars d’être responsable de l’assassinat de Rafic Hariri. « Je suis contre la Syrie au Liban et avec elle en Syrie », répète-t-il pour justifier ses appels à un assainissement des relations avec le puissant voisin.

Lors de la guerre de juillet 2006, il s’est résolument rangé aux côtés du Hezbollah avec qui il avait conclu un « document d’entente », cinq mois plus tôt. Au fil des mois, son discours est devenu très critique envers les Etats-Unis, qu’il accuse d’être responsables de l’exode massif des chrétiens d’Irak et de Palestine.

En scellant une amitié avec la Syrie, qui a accepté d’établir des relations diplomatiques avec le Liban pour la première fois depuis son indépendance, en 1943, Michel Aoun opère un repositionnement stratégique destiné à « ancrer les chrétiens dans leur environnement arabe ». Un choix courageux pour les uns, risqué pour les autres. Seules les prochaines élections législatives nous diront si ses options sont acceptées par la majorité des chrétiens du Liban.