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Etats-Unis / Irak

Cinq employés de Blackwater inculpés d'homicides

par Frédérique Misslin

Article publié le 09/12/2008 Dernière mise à jour le 10/12/2008 à 10:22 TU

Pour la première fois, le ministère américain de la Justice a décidé de poursuivre les salariés d’une entreprise de sécurité privée pour des crimes commis en Irak. Cinq employés de Blackwater vont devoir répondre de 35 chefs d’accusations. Le bureau du procureur estime qu’ils ont attaqué de façon illégale des civils irakiens qui ne représentaient pas de menace. Les conséquences ont été tragiques : 14 morts et 20 blessés. Le ministère américain de la Justice donne aujourd’hui une version précise du déroulement des faits.

Les anciens agents de sécurité de la société Blackwater, à leur arrivée au palais de justice de Salt Lake City, le lundi 8 décembre 2008.(Photo: Reuters)

Les anciens agents de sécurité de la société Blackwater, à leur arrivée au palais de justice de Salt Lake City, le lundi 8 décembre 2008.
(Photo: Reuters)

En 2007, les six accusés travaillent à Bagdad pour la société de sécurité privée américaine Blackwater. Leur unité compte 19 personnes et assure la protection rapprochée de personnalités américaines et irakiennes. Le 16 septembre, un convoi de 4 véhicules blindés, utilisant le nom de code Raven 23, quitte la zone verte. L’enquête montre que cette équipe va porter secours à un autre convoi menacé par une voiture piégée, une situation qui n’entre pas dans le cahier des charges de ces agents de sécurité. D’après l’accusation, Raven 23 a quitté la zone verte sans autorisation et avait même reçu l’ordre de rentrer à la base aussi vite que possible. En dépit de ces instructions, les employés de Blackwater bloquent un carrefour très fréquenté de Bagdad, place Nisour. Une voiture de marque Kia Sedan s’approche du convoi, à vitesse réduite, les agents américains, équipés de fusils d’assaut, d’armes automatiques et de lance-grenades, ouvrent le feu sur le véhicule. Ahmed Haithem Ahmed al Rubia’y, étudiant en médecine, et sa mère sont tués. Les Américains quittent rapidement les lieux en tirant en rafale sur des civils qui ne présentaient aucune menace. Un Irakien a par exemple été tué de plusieurs balles dans la poitrine alors qu’il se tenait les mains levées. Le dossier d’accusation n’a pas identifié l’auteur des premiers tirs mais le procureur du district de Washington, Jeff Taylor, précise : « Aucune des victimes n’était armée, aucune n’était une insurgée ». A charge encore le témoignage de Jeremy Ridgeway. Ce sixième accusé, 34 ans, plaide coupable de tentative d’homicide. Son ancien employeur, Blackwater, se dit extrêmement déçu de cette coopération avec la justice. « Cet individu a donné de fausses informations », affirme l’entreprise.

Vétérans décorés, reconvertis

Âgés de 24 à 29 ans, Paul Slough, Nicholas Slatten, Evan Liberty, Dustin Heard et Donald Ball sont tous d’anciens militaires, marines, tireurs d’élite, vétérans d’Irak ou d’Afghanistan. Leurs avocats répètent que, lors de la fusillade, leurs clients étaient en état de légitime défense. Ils rappellent que tous ont été décorés pour leurs bons et loyaux services. « Ils avaient été engagés comme sous-traitants du département d’Etat. Ils ont fait leur travail comme le prévoyait leur contrat, comme on l’exigeait d’eux, comme le département d’Etat leur avait demandé de le faire », assure Me Brent Hatch. Ces anciens militaires, reconvertis dans le très lucratif commerce de la sécurité en Irak, se sont rendus aux autorités fédérales, lundi 8 décembre 2008. Ils ont été remis en liberté avec interdiction de quitter les Etats-Unis. Leur première audition devant le juge est prévue pour le 6 janvier 2009, à Washington car le magistrat a refusé de délocaliser la procédure dans l’Utah. Pour la défense, ces inculpations sont à visée politique : il s’agit uniquement de calmer les autorités à Bagdad. Si les cinq hommes sont reconnus coupables, ils encourent jusqu’à dix ans de prison pour chaque homicide, sept ans pour chaque tentative de meurtre et surtout trente ans de prison obligatoire pour infraction à la réglementation sur les armes.

Réactions à Bagdad

Le gouvernement irakien a salué la procédure en cours aux Etats-Unis, qui vise à établir « des responsabilités criminelles ». « Les assassins doivent payer pour des crimes commis contre des civils innocents », affirme Khalid Ibrahim dont le père, âgé de 78 ans a été tué lors de la fusillade. D’autres victimes rappellent que Blackwater leur avait proposé de l’argent (10 000 dollars) pour oublier l’affaire. Il faut dire qu’en septembre 2007, le drame avait provoqué colère et indignation à Bagdad. La fusillade est devenue le symbole de l’impunité des troupes américaines et de leurs sous-traitants. A l’époque, le Premier ministre Nouri al-Maliki avait réclamé le départ de Blackwater, sans succès puisque le contrat de l’entreprise en Irak a été renouvelé en avril 2008. La justice irakienne avait annoncé en août dernier qu’elle se réservait le droit de poursuivre en justice les six gardes privés de la compagnie américaine. L’enquête irakienne parle en effet de « meurtre avec préméditation ».

Questions juridiques

Poursuivre des agents sous-traitants, aux Etats-Unis, pour des crimes commis à l’étranger : c’est une première. Pour boucler le dossier d’accusation, le ministère américain de la Justice s’est appuyé sur la loi pour la juridiction extraterritoriale militaire (Military Extraterritorial Jurisdiction Act - MEJA). Ce texte permet de soumettre aux cours fédérales le cas de civils ayant commis des crimes et employés à l’étranger par le département de la Défense. Le procureur général adjoint Patrick Rowan estime que cette inculpation « démontre que ceux qui s’engagent dans des attaques non provoquées et illégales contre des civils, que ce soit en temps de paix ou de conflits, doivent rendre compte de leurs actes ». Mais, un amendement au MEJA (datant de 2007) place les contractants civils sous l’autorité du code de justice militaire en cas de « guerre déclarée » et pendant les « opérations d’urgence ». Toutes les interprétations sont possibles.

L’externalisation des conflits


Blackwater est une des principales sociétés de sécurité privée implantée en Irak. Fondée en 1997 par Erik Prince (un ancien des forces spéciales et fervent supporter du Parti républicain), l’entreprise a été impliquée dans 195 fusillades en Irak entre 2005 et 2007 (rapport de la Chambre des représentants des Etats-Unis).

Actuellement, les effectifs des compagnies privées en Irak sont supérieurs à ceux de l’armée américaine (150 000 hommes sur 400 bases) alors que 122 sociétés privées de sécurité disposent de 163 000 employés. 17% sont de nationalité américaine.

 

Pour d'autres informations :

http://www.raven23.com/Home_Page.html (site de soutien aux cinq accusés)

http://www.usdoj.gov/ (Ministère américain de la Justice)

http://www.blackwaterusa.com/ (site de la compagnie Blackwater)