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Etats-Unis / Guantanamo

Obama veut réactiver et réformer les tribunaux d’exception

par Frédérique Misslin

Article publié le 15/05/2009 Dernière mise à jour le 15/05/2009 à 18:08 TU

Le président américain annonce le rétablissement des tribunaux militaires d’exception. Ces « commissions » avaient été créées par George Bush pour juger les personnes suspectées de terrorisme. Barack Obama veut élargir les droits de la défense mais fait tout de même machine arrière. Les organisations de défense des droits de l’homme sont déçues et accusent le président de ne pas rompre franchement avec la politique de son prédécesseur.

Pour Barack Obama, rétablir ces tribunaux militaires d’exception signifie s’aliéner une partie des démocrates et les associations de défense de droits de l’homme.( Photo : Reuters )

Pour Barack Obama, rétablir ces tribunaux militaires d’exception signifie s’aliéner une partie des démocrates et les associations de défense de droits de l’homme.
( Photo : Reuters )



Avant son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama, candidat à la présidence des Etats-Unis, avait qualifié les tribunaux militaires d’exception d' « énorme échec ». Trois mois après avoir gelé leurs activités, le président veut finalement les réactiver.

Les tribunaux, appelés « commissions militaires », ont été mis en place par l’administration de George Bush en 2006. Ils ont été créés par une loi votée par le Congrès. Barack Obama, dès son arrivée à la Maison Blanche, avait suspendu ces instances. Aujourd’hui, il envisage de les rétablir tout en renforçant les droits de la défense. Dans un premier temps, la Maison Blanche va prolonger la durée de la suspension de ces tribunaux, pour 4 mois, un délai qui devrait permettre à l’administration Obama d’obtenir un vote du Congrès sur la réforme. Le département de la Défense a d’ores et déjà choisi un nouveau procureur en chef sur ce dossier : John Murphy, réserviste de la marine et habitué de ce type d’affaires puisque c’est lui qui a aidé à poursuivre Salim Hamdam, l’ancien chauffeur d’Oussama ben Laden.

Selon le Wall Street Journal, l’administration américaine envisage également de créer une Cour de sécurité nationale qui aurait le pouvoir de décider de détentions illimitées, aux Etats-Unis, sans procès.

Le casse-tête de Guantanamo

Ces tribunaux ont notamment pour tâche de juger les détenus de Guantanamo mais aussi d’autres prisonniers capturés dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Actuellement, l’administration s’interroge : 241 personnes sont toujours incarcérées sur la base américaine de Cuba. Ces détenus peuvent-ils être poursuivis devant la justice civile ou transférés dans d’autres pays ? Une soixantaine de prisonniers sont jugés libérables mais une cinquantaine de cas apparaissent litigieux. Certains détenus sont considérés comme dangereux mais il n’y a pas suffisamment de preuves pour les inculper.

Les tribunaux militaires devraient donc trancher. Où ces commissions vont-elles siéger ? C’est encore assez flou puisque le camp de Guantanamo doit fermer ses portes, au plus tard le 22 janvier 2010, et il y a peu de chance que les procès soient terminés à cette date. L’objectif de la réforme prônée par Barack Obama est d’accélérer les procédures. Jusqu’à présent, seuls 3 détenus ont été condamné par les juridictions d’exception mises en place par George Bush. Au cœur du problème, le fait que certains détenus considérés comme « les plus intéressants » ont été torturés par la CIA. L’organisation de défense des droits de l’homme Constitution project souligne : « Il serait tristement ironique que nous en venions à justifier l’usage des commissions militaires (…) en raison des tortures que nous avons fait subir à ces prisonniers ».

Droits de la défense renforcés

Le principal changement concerne donc les dépositions sur la foi d’un tiers (règle du ouï- dire). Le département de la Défense veut désormais limiter le recours aux témoignages non confirmés. Actuellement, 90% des preuves contre les détenus sont basés sur des confessions obtenues lors d’interrogatoires dont les techniques font l’objet d’une controverse aux Etats-Unis (le « waterboarding », simulation de noyade, par exemple).

Devant les tribunaux civils, ce type de document n’est recevable que si l’accusation prouve la fiabilité des dépositions mais l’administration Bush avait voté une loi autorisant ces juridictions à renverser la charge de la preuve : c'est-à-dire que c’est à l’accusé de prouver que le témoignage n’est pas fiable. Barack Obama souhaite donc renforcer les droits de la défense. Les accusés devraient pouvoir désormais changer d’avocat plus facilement, jusqu’à présent c’est la règle du commis d’office qui s’appliquait. Cette réforme devrait s’appliquer en priorité à cinq détenus soupçonnés d’avoir joué un rôle clé dans les attentats du 11 septembre 2001, dont Khalid Sheikh Mohammed, cerveau auto-revendiqué de ces attaques.

Trahison ?

Pour Barack Obama, rétablir ces tribunaux militaires d’exception signifie s’aliéner une partie des démocrates et les associations de défense de droits de l’homme. Ces dernières ne décolèrent pas. Elles estiment déjà avoir été trahies cette semaine par le président américain qui s’est finalement opposé à la diffusion de photos de sévices pratiqués par des soldats américains sur des prisonniers en Irak et en Afghanistan. La décision de maintenir les tribunaux d’exception risque de conforter ceux qui accusent Barack Obama de ne pas tenir ses promesses de rupture. « Je crois que la conséquence directe de la publication de ces photos serait d’attiser encore davantage les sentiments anti-américains et d’exposer nos soldats à un danger plus grand », a pourtant expliqué le président des Etats-Unis.

Pour l’ACLU (Association américaine de défense des libertés civiles), ces commissions militaires, même remaniées, seront « fatalement viciées puisqu’elles ont été créées sur des bases anticonstitutionnelles et partisanes et non pas pour garantir des procès justes ».