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Allemagne

L’Afghanistan se glisse dans les urnes allemandes

par Piotr Moszynski

Article publié le 08/09/2009 Dernière mise à jour le 08/09/2009 à 16:54 TU

Angela Merkel au Bundestag de Berlin le 8 septembre 2009.(Photo : Tobias Schwarz/Reuters)

Angela Merkel au Bundestag de Berlin le 8 septembre 2009.
(Photo : Tobias Schwarz/Reuters)

La chancelière allemande, Angela Merkel, a exprimé ses « profonds regrets » pour un raid de l’Otan en Afghanistan, effectué à la demande du commandement allemand sur place. L’opération a causé la mort d’au moins six civils. Du coup, le débat sur la présence militaire allemande en Afghanistan s’est brutalement invité dans la campagne, avant les législatives du 27 septembre.

En principe, rien n’annonçait que la campagne électorale en Allemagne, plutôt terne jusqu’à la semaine dernière, prenne brusquement des couleurs en se concentrant sur la thématique afghane. En effet, les deux grands partis du pays – les chrétiens-démocrates de la CDU d’Angela Merkel et les sociaux-démocrates du SPD – forment non seulement la coalition gouvernementale, mais ils sont aussi d’accord pour que les soldats allemands restent en Afghanistan. L’enjeu électoral semblait, sur ce point, d’autant plus inexistant que les libéraux du FDP, probables futurs partenaires gouvernementaux de la CDU, affichaient le même avis en la matière.

La donne a brutalement changé avec l’affaire du raid de l’Otan contre deux camions citernes détournés par les talibans dans la province de Kunduz en Afghanistan, à six kilomètres seulement d’une base allemande. Se sentant menacés, les Allemands ont demandé à l’aviation américaine de bombarder le convoi. L’attaque a fait environ 70 victimes. Selon les premières informations, très alarmistes, il y aurait eu, parmi elles, plusieurs dizaines de personnes civiles. Selon les constatations plus récentes, relayées par le gouverneur de la province, il n’y en aurait, en réalité, que six. Il n’empêche, l’affaire est bien embarrassante pour les Allemands.

En se prononçant, ce mardi, devant le Bundestag, Angela Merkel a déclaré humblement que « chaque personne innocente tuée en Afghanistan était une de trop » et qu’elle « regrettait profondément toute personne innocente tuée ou blessée, y compris du fait des actions des Allemands ». En même temps, elle a appelé à éviter les critiques hâtives alors que tous les faits sont encore loin d’être bien établis. « Nous n’allons rien passer sous silence – a-t-elle promis – mais nous n’accepterons aucune condamnation prématurée ».

Une trop belle occasion

Pour l’opposition allemande, l’occasion d’attaquer la chancelière, à moins de trois semaines des élections législatives, est évidemment trop belle pour s’en priver. Le seul parti à prôner un retrait d’Afghanistan, Die Linke (gauche radicale), a immédiatement exigé la démission du ministre de la Défense, Franz Josef Jung. Il a également appelé à une manifestation devant la porte de Brandebourg à Berlin. L’actuel partenaire de la CDU dans la coalition gouvernementale (mais rival aux élections du 27 septembre), le SPD, s’est limité à accuser le ministère de la Défense de faire de la rétention d’informations. En revanche, le potentiel partenaire des chrétiens démocrates au futur gouvernement allemand, le FDP, a estimé qu’il fallait « mettre au point un projet précis pour voir comment retirer l’armée allemande (de l’Afghanistan) dans les années à venir ». Jürgen Koppelin, chargé des questions de défense à la direction du FDP, a touché la corde sensible : « Nos soldats qui servent en Afghanistan, ainsi que leurs familles, doivent savoir quand cette mission prendra fin ».

La corde est d’autant plus sensible que le sujet de la projection des forces allemandes à l’étranger est déjà en soi extrêmement délicat. Ce n’est que dans les années 1990 que les troupes allemandes ont commencé à se joindre aux opérations internationales de maintien de la paix. Il est vrai que dans beaucoup de pays du monde les souvenirs du dernier séjour des soldats allemands sur leur sol sont plutôt traumatisants. L’Allemagne fait donc tout pour éviter d’éveiller ces souvenirs ou les moindres soupçons d’un retour au militarisme et à l’expansionnisme allemands. Qu’après avoir péniblement brisé cette barrière psychologique, on se retrouve accusé de meurtres sur la population civile – cela ne doit pas être facile à vivre…

 La Realpolitik reprend ses droits

Néanmoins, la Realpolitik reprend ses droits. Dans le discours d’Angela Merkel devant le Bundestag, rien ne laisse présager un rapide retrait des 4 200 soldats allemands stationnés en Afghanistan. En tout cas, il n’interviendra certainement pas avant que les autorités afghanes ne soient capables d’assurer, elles-mêmes, pleinement la gestion du pays. La chancelière soutient le projet d’une conférence internationale à ce sujet qui pourrait se tenir d’ici la fin 2009 et elle appelle à une sérieuse évaluation de la situation dans un an, mais, pour elle, un horizon réaliste pour le retrait des forces internationales serait plutôt de cinq ans.

Angela Merkel sait que sa marge de manœuvre en la matière est étroite et qu’elle le sera encore plus après les élections. Der Spiegel écrivait fin août que des diplomates américains auraient déjà annoncé à des responsables de haut rang de la CDU qu’après les législatives Barack Obama allait demander à la Bundeswehr d’envoyer davantage de soldats en Afghanistan – et non pas de réduire leur nombre, voire de l’amener à zéro, comme l’exigent, selon les sondages, environ deux Allemands sur trois.

Selon le magazine, le président américain, « attend jusqu’aux élections du 27 septembre par égard pour Angela Merkel, mais ensuite, il va demander que les Allemands aussi envoient davantage de troupes au front ». La Bundeswehr fournit actuellement le troisième contingent de troupes internationales en Afghanistan, après les Américains et les Britanniques. Pour l’instant, rien ne semble indiquer qu’elle quitte le podium.