par Sylvain Biville
Article publié le 08/09/2009 Dernière mise à jour le 09/09/2009 à 09:58 TU
« Aujourd’hui, les Américains n’ont plus confiance dans leurs écoles. Pour Barack Obama, il ne faut pas hésiter à virer les ‘mauvais’ profs. »
Malgré la polémique déclenchée par quelques républicains, le discours de Barack Obama aux élèves américains, prononcé mardi 8 septembre, au lycée Wakefield d’Arlington, près de Washington et retransmis en direct dans la plupart des écoles du pays, n’avait rien d’un exercice d’embrigadement politique. « Travaillez dur, a déclaré le président, en ce jour de rentrée des classes. Si vous abandonnez l'école, vous ne vous abandonnez pas seulement vous-même, vous abandonnez votre pays. ». Cet appel au sens des responsabilités de la jeunesse américaine est on ne peut plus consensuel et a même été salué par l’ex-First Lady Laura Bush.
Perte de confiance
Dans le domaine de l’éducation, les véritables controverses sont ailleurs. Barack Obama a fait de la réforme de l’école l’une de ses priorités. A l’exception des universités, très réputées – et souvent privées –, la situation du système éducatif n’est guère brillante aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les Américains n’ont plus confiance dans leurs écoles, selon une étude réalisée par deux des plus prestigieuses universités du pays, Stanford et Harvard. « La réputation des écoles publiques est tombée à un niveau historiquement bas, explique l’un des auteurs du rapport, Paul Peterson, qui dirige le département d’éducation de Harvard. Seulement 18% des personnes interrogées donnent une bonne note, un A ou un B, aux écoles. En 2005, ils étaient encore 30 %. » Les Etats-Unis ne se classent qu’au 26ème niveau mondial en mathématiques et en sciences, selon le test Pisa, réalisé tous les trois ans par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), auprès de 400 000 lycéens de 15 ans, dans 57 pays.
Prime au mérite
Face à la dégradation du niveau d’éducation – moins préoccupante, cependant, qu’en France –, Barack Obama s’est fixé pour ambition de faire en sorte que le système américain « redevienne le meilleur au monde ». Et il ne recule devant aucun tabou. « Il faut récompenser les bons enseignants, et cesser de trouver des excuses pour les mauvais », affirmait-il, le 10 mars 2009, lors d’un discours à la Chambre de commerce hispanique à Washington. Le message est clair : pour le président des Etats-Unis, il faut instaurer une prime au mérite et ne pas hésiter à licencier les « moutons noirs » de l’éducation. Actuellement, aux Etats-Unis, il suffit d’avoir enseigné trois ans pour être professeur à vie.
Des changements aussi radicaux ne sont pas du goût de tout le monde. « Il n’y a pas de statistiques qui prouvent que le salaire au mérite fonctionne, proteste Marilyn Stewart, présidente du syndicat des enseignants de Chicago. C’est même irrespectueux, cela sous-entend que les enseignants ne font pas de leur mieux, comme si on cachait quelque chose dans notre dos, en attendant qu’on nous donne plus d’argent. »
Le concept de prime au mérite ne va pas de soi. « Le mérite est-il purement individuel, faut-il punir ceux qui apparaissent comme des ‘mauvais maîtres’ ? s’interroge Marie Duru Bellat, sociologue de l’éducation à Sciences-Po Paris. Il est dangereux de réduire l’efficacité à une seule personne. C’est injuste lorsqu’on a affaire à un public particulièrement difficile. ». Si l’idée commence à faire son chemin aux Etats-Unis, la notion de salaire au mérite est, pour l’heure, inenvisageable en France. «Il nous a semblé que ce serait une cause de révolution, poursuit Marie Duru Bellat, qui a travaillé sur la question. Tous les profs seraient dans la rue. »
L’autonomie des établissements scolaires
Pour réformer l’éducation aux Etats-Unis, Barack Obama soutient également le développement des « charter schools », des écoles bénéficiant d’une très large autonomie dans l’enseignement et dans les programmes scolaires. Ces établissements sous contrat, fondés par des enseignants ou par des parents d’élèves, sont entièrement gratuits, comme les écoles publiques. Leur financement est assuré principalement par de l’argent public, en échange d’une double obligation : non discrimination et enseignement laïque. Pour le reste, les « charter schools » n’ont aucune contrainte. «Les écoles publiques classiques ont un nombre fixe d’heures de cours, elles doivent suivre un programme, c’est très standardisé, raconte Mary Patillo, qui siège au conseil d’administration du lycée Urban Prep, dans les quartiers sud de Chicago. Les ‘charter schools’ ont, au contraire, une liberté presque totale, nous avons des journées et des années scolaires plus longues et seulement la moitié de nos professeurs doivent être certifiés ». A Urban Prep, la flexibilité a produit des résultats spectaculaires auprès d’un public de jeunes noirs issus de milieux défavorisés.
Les résistances aux « charter schools »
Les élèves du lycée Urban Prep, dans les quartiers sud de Chicago, en uniforme, en janvier 2009. Cet établissement est une « charter school » et bénéficie d’une large autonomie dans l’enseignement.
(Photo : S. Biville / RFI)
Les résistances à une trop forte autonomie des écoles ne sont cependant pas uniquement corporatistes. « Les résultats des ‘charter schools’ sont loin d’être miraculeux, tempère Denis Meuret, professeur à l’Université de Bourgogne, qui a minutieusement analysé toutes les études sur le sujet. Je vois plutôt leur réussite du côté de publics particuliers ou d’enseignants innovants qui étouffent dans le système classique, mais je n’y vois pas une solution d’ensemble. »
Pourquoi tant d’audace ?
Dans le domaine de l’éducation, Barack Obama n’hésite pas à soutenir des idées controversées, plus peut-être encore que dans d’autres secteurs. Parce que c’est un sujet qui lui tient à cœur – il l’avait mis au cœur de sa campagne présidentielle. Cela tient aussi à l’influence de son Secrétaire à l’éducation. Arne Duncan, ami proche du président – dont il a longtemps été un partenaire de basket-ball – est l’ancien président des écoles de Chicago, où il a mis en œuvre, avec un certain succès, les notions aussi audacieuses que le salaire au mérite ou l’autonomie des établissements scolaires. Les choix de Barack Obama s’expliquent aussi par une autre raison, beaucoup plus politique. «Il se méfie de la veille garde des syndicats enseignants, qui ont soutenu Hillary Clinton lors des primaires démocrates, analyse Paul Peterson, de Harvard. Il ne leur doit rien et peut donc lancer de nouvelles pistes. ».
Aux Etats-Unis, la politique d’éducation est une compétence des Etats. Mais depuis l’adoption, en début de mandat de Barack Obama, d’un plan de relance de plus de 700 milliards de dollars, le président dispose d’un magot qu’il peut distribuer en fonction de ses priorités, notamment pour soutenir les projets éducatifs qui lui sont chers. Cette marge de manœuvre lui permet de mettre en œuvre, sans fracas, sa réforme de l’éducation, sans avoir, contrairement à la santé, à en négocier les moindres détails avec le Congrès.
Reportage de Donaig Le Du
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