par Dominique Raizon
Article publié le 19/01/2007 Dernière mise à jour le 19/01/2007 à 16:05 TU
Une petite fille atteinte de leucémie est peut-être définitivement sauvée grâce à une greffe de cellules souches sanguines provenant de son propre cordon ombilical.
(Photo : IFA)
La revue américaine Pediatrics, du mois de janvier 2007, met en avant les résultats exceptionnels obtenus sur une fillette leucémique, ayant fait l’objet, il y a trois ans, d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques (*) dite «autologue», c’est-à-dire que le sang qui lui a été injecté provenait de son propre cordon ombilical –congelé au moment de sa naissance en 1999 et conservé dans une banque, la société privée CorCell de Philadelphie, moyennant quelque 1 300 dollars.
Il faudra attendre encore deux ans pour considérer que la leucémie dont la petite fille était atteinte est guérie. Mais, d’ores et déjà, les médecins considèrent qu’«une rechute semble très improbable. L’enfant a une très bonne qualité de vie, bien meilleure que si elle avait eu recours aux cellules souches d’un donneur», selon les déclarations du Dr Ammar Hayani, co-auteur de l’article.
L’enfant était atteinte d’une forme de cancer du sang appelée «leucémie lymphoblastique». Aucun membre de la famille ne pouvait être un donneur compatible permettant de tenter une greffe «allogénique» -c’est-à-dire une greffe effectuée à partir de cellules souches hématopoïétiques provenant d’un donneur anonyme. L’enfant a donc reçu une chimiothérapie et une radiothérapie agressives puis, en appoint au traitement, les cellules souches hématopoïétiques présentes dans son propre cordon ombilical lui ont été administrées par voie intraveineuse.
Ces cellules souches hématopoïétiques, qui se sont avérées salvatrices avaient été conservées à la naissance de l’enfant. Une fois le cordon ombilical clampé (ou "coupé") et le sang prélevé (à l’aide d’une aiguille creuse, comme s’il s’agissait d’une prise de sang classique), ce sang avait été testé par les laborantins pour en exclure au préalable toute présence éventuelle de bactéries et de virus, puis congelé dans de l’azote liquide, jusqu’au moment de son utilisation.
Avant d’utiliser le greffon, les médecins ont vérifié que les cellules souches ne présentaient pas de marqueurs de cellules cancéreuses similaires à ceux existant sur les cellules de l’enfant malade. Le Dr Hayani souligne toutefois que les techniques de vérification de cellules cancéreuses ne sont pas fiables à 100%. Peut-on imaginer que les cellules souches transplantées soient susceptibles de muter ? «Non, elles n’ont pas de potentiel mutagène, le risque aurait été qu'elles présentent les anomalies acquises caractéristiques de la leucémie de l'enfant», répond Hélène Espérou, médecin hématologue à la direction scientifique et médicale de l’Agence de biomédecine.
Le cordon ombilical possède un énorme potentiel comme alternative à la greffe de moelle osseuse. Les greffes de sang placentaire (ou de cordon) ne sont pas rarissimes mais à chaque fois, il s’agit de greffes dites «allogéniques». A titre indicatif, environ 7 000 transplantations allogéniques de sang placentaire ont été réalisées l’an dernier dans le monde (dont environ 150 en France et 400 en Europe) et ce, dans les cas de leucémies et de maladies héréditaires s’attaquant aux cellules de la moelle osseuse.
Controverse éthique sur l’existence de banques privées
Cette conservation de sang du cordon à des fins personnelles relance la controverse éthique et scientifique sur l’existence de banques privées chargées de cette conservation par congélation. Eliane Gluckman, professeur à l’hôpital Saint-Louis (Paris), citée par le quotidien Le Monde, considère qu'«il est urgent de lancer ce débat en France, où la pratique est interdite, au nom d’une conception très dogmatique des principes éthiques».
«Interdite» ? «Pas exactement», rectifie Hélène Espérou, laquelle explique que dix millions de donneurs de moëlle sont inscrits dans le monde entier, dans des registres mis en réseau par les différents pays développés. L'hématologue précise que 230 000 unités de sang placentaire sont conservées, de manière anonyme et gratuite, dans des banques à visée «allogéniques», c'est-à-dire pour des greffes éventuelles à usage d'autrui. Hélène Espérou souligne donc que, par définition, le principe repose sur l’idée fondamentale de la solidarité : «Que le malade soit argentin et le donneur australien, il suffit aux médecins de 48 heures -le temps de viabilité des cellules souches- pour se rendre sur place et se procurer les cellules de la moëlle, les échanges de sang placentaire étant encore plus simples puisque les unités sont congelées et donc peuvent être facilement exportées dans des conteneurs spéciaux».
Ce qui est à craindre, selon Hélène Espérou, c'est que le succès de la greffe dont a bénéficié la fillette américaine puisse, à l’avenir, encourager les circuits privés de banques et servir d'argumentaire à celles-ci lorsqu'elles démarchent auprès des familles pour les inciter, moyennant de fortes rétributions, à congeler le sang placentaire de leurs nouveaux-nés, à des fins personnelles, ce qui, précisément, souligne ce médecin attachée à l'Agence de biomédecine, soulève différents problèmes d’ordre éthique.
Premièrement, qui dit commercialisation dit discrimination sociale avec, d’un côté, des personnes aisées qui pourront payer une conservation du sang placentaire de leur enfant pour leur propre confort, en cas de besoin, mais qui, ce faisant, priveront le reste des malades d’une compatibilité sanguine dont ces derniers auraient pu, peut-être, bénéficier ; et, à l’opposé, des personnes moins favorisées socialement qui donneront leur sang pour l’usage de tous, sans avoir les moyens d'en prévoir la conservation pour un éventuel usage personnel.
Deuxièmement, explique encore Hélène Espérou, «il faut rester prudent car, dans l’état actuel de la recherche médicale, nul n’est en mesure d’affirmer quelle est la durée de vie de cellules souches congelées. Par ailleurs, il est encore trop tôt pour affirmer que ces cellules souches pourront régénérer n’importe quel organe malade. Dans cinquante ans, on pourra peut-être le faire. Pour l’heure, ce n’est pas à l’ordre du jour». Une réflexion s’impose, souligne Hélène Espérou, afin d’éviter que les banques privées usent d’arguments fallacieux pour s’enrichir tout en nourrissant de faux espoirs chez leurs clients.