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Bioéthique

Créer des cellules souches éthiques serait-il possible ?

par Dominique Raizon

Article publié le 11/06/2007 Dernière mise à jour le 11/06/2007 à 18:00 TU

L'équipe de l'Université de Kyoto a inséré dans des cellules de peau de souris un groupe de gènes liés au développement embryonnaire.(Photo : AFP)

L'équipe de l'Université de Kyoto a inséré dans des cellules de peau de souris un groupe de gènes liés au développement embryonnaire.
(Photo : AFP)

Trois équipes de chercheurs, japonais et américains, ont réussi à produire, chez des souris, l’équivalent de cellules souches embryonnaires sans passer par l’étape controversée de la destruction d’embryons. Les travaux, rendus publics dans les revues scientifiques Nature et Cell Stem Cell, visent à reproduire, à terme, ces résultats à partir de cellules humaines. Si la distance est encore longue de la coupe aux lèvres, les résultats marquent une étape cruciale vers la possibilité de créer des organes de rechange.

Prélever des cellules ordinaires de la peau et les amener à se comporter comme des cellules souches embryonnaires, telle est la performance à laquelle sont parvenues, chacune de leur côté, trois équipes de scientifiques. L’une est japonaise, dirigée par Shinya Yamanaka de l’université de Kyoto, les deux autres américaines, dirigées par Konrad Hochedlinger, chercheur à l’Institut des cellules souches de Harvard et par Rudolf Jaenisch à l’Institut Whitehead à Cambridge (Massachusetts). Les scientifiques soulignent toutefois que la procédure expérimentale n’est pas encore au point pour traiter des maladies et qu’ils ne sont pas en mesure de se prononcer sur une application, avec succès, sur des cellules humaines.

Les trois études publiées séparément montrent que les chercheurs ont réussi à obtenir l’équivalent de cellules souches embryonnaires (CSE ou ESC) à partir de banales cellules adultes reprogrammées (appelées fibroblastes ou IPS) de peau de souris. Pour ce faire, les scientifiques ne sont pas passés par des prélèvements d’embryons et n’ont pas eu recours à des ovocytes. Ils ont inséré, dans les fibroblastes, quatre substances spécifiques, des gènes appelés facteurs de transcription, pour qu’ils produisent une protéine déterminante (dite Nanog) afin de doter les cellules des compétences embryonnaires.

Les cellules reprogrammées ont été introduites dans des ovules fécondés de rongeurs et ont réussi à créer des animaux «chimères», des souriceaux comportant en proportion variable les cellules reprogrammées, y compris au niveau de cellules reproductrices. Les cellules reprogrammées ont pu être transmises à la génération suivante à la suite d’accouplements. Les bébés souris ont eu, à leur tour, des bébés une fois arrivés à l’âge adulte.

Ces cellules créées s’avèrent donc avoir bel et bien des propriétés identiques à celles des cellules souches embryonnaires, non encore spécialisées, non encore différenciées pour remplir une fonction précise et définitive. Des cellules souches embryonnaires qui sont à la source de tous les tissus et organes formant l’organisme. Savoir en fabriquer représente donc un espoir concret de guérir des maladies jusqu’ici incurables.

Si, comme les chercheurs l’espèrent, la procédure utilisée chez la souris s’avérait possible, par la suite, chez l’homme, elle pourrait en effet être utilisée dans le cas de thérapies réparatrices pour de nombreuses pathologies, tout en évitant le débat éthique et politique autour de l’utilisation des embryons humains. Le matériel de base pourrait provenir d’une biopsie de la propre peau du patient. Une révolution, en somme, qui pourrait bénéficier, par exemple, aux diabétiques, aux parkinsoniens ainsi qu’aux personnes paralysées à la suite de lésions de la moelle épinière.

«Tous les avantages (…) sans le problème moral»

Jusqu’à présent, l’extraction des cellules embryonnaires comporte la destruction d’embryons. C’est précisément ce qui fait débat, aux Etats-Unis notamment. L’Eglise catholique, les groupes religieux et les conservateurs s’opposent vivement à cette procédure, faisant valoir que la vie commence dès le début de la conception. Se passer du don d’ovocyte permettrait également d’écarter des risques de dérives comme, par exemple, la création d’un marché essentiellement pourvu par les femmes les plus démunies socialement.

Cette avancée de la recherche sur les cellules souches embryonnaires a donc été saluée par un représentant de la Conférence des évêques catholiques américains, Richard Doerfingler considérant que «c'est une voie à explorer car elle pourrait procurer tous les avantages des cellules souches embryonnaires sans le problème moral».

Pour l’heure, ces cellules dites IPS présentent encore des différences majeures avec les cellules souches embryonnaires et «environ 20% des nouveaux-nés souriceaux ont développé un cancer», indique l’équipe du docteur Shinya Yamanaka dans Nature.

(*) Ovocytes : gamète femelle qui n’est pas encore arrivée à maturité, c’est-à-dire au stade d’ovule.