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Pôle Sud

Sous la glace, le feu

par Dominique Raizon

Article publié le 24/01/2008 Dernière mise à jour le 25/01/2008 à 12:28 TU

Image du relief de l’Antarctique (NASA). Les barrières de glace (extensions de l’inlandsis sur la mer) sont représentées en bleu-vert.(Photo : NASA/ domaine public)

Image du relief de l’Antarctique (NASA). Les barrières de glace (extensions de l’inlandsis sur la mer) sont représentées en bleu-vert.
(Photo : NASA/ domaine public)

Selon une étude parue dans la revue scientifique britannique Nature Geoscience, le volcan des Monts d'Hudson, en terre d'Ellsworth, près du glacier de Pine Island, dont l'éruption la plus récente remonterait à seulement 2300 ans, a été découvert sous la banquise dans la partie occidentale de l'Antarctique. Cette découverte, soulignent ses auteurs, est particulièrement intéressante en ce qu'elle peut apporter des éléments de compréhension concernant la stabilité de la calotte glaciaire antarctique, dans le passé, le présent et l'avenir.

Montagnes transantarctiques.(Photo : Denis Samyn)

Montagnes transantarctiques.
(Photo : Denis Samyn)

C’est grâce à des données radar obtenues par avion que les auteurs de l'étude, Hugh Corr et David Vaughan, du British Antarctic Survey de Cambridge (Angleterre), ont pu observer qu’une profonde couche de cendres était enterrée dans la glace, entre 100 et 700 mètres de profondeur, sur une surface de quelque 23000 kilomètres carrés.

Ces cendres et roches éjectées dans l'air, appelées « téphras », sont réparties sur une surface elliptique de 156 km de large sur 190 km de long, ce qui montre, soulignent les scientifiques, qu'il n'y a eu « qu'une seule éruption » et qu'« il y avait peu de vent lorsqu'elle s'est produite, entre 240 et 207 ans avant notre ère ». Les chercheurs estiment que la chaleur dégagée par l'éruption a provoqué une fonte des glaces localement, ce qui a dû influer sur l'écoulement des glaciers environnants.

« L'activité volcanique n'est actuellement qu'un facteur mineur »

 Le volcan le plus important en Antarctique, toujours actif, est le Mont Erebus (3 794 mètres), situé sur l'île de Ross. Interrogé sur des activités volcaniques sous-glaciaires qui pourraient, encore de nos jours, contribuer à l’accélération de la fonte des glaces, Denis Samyn, chercheur au Laboratoire de glaciologie de l’Université libre de Bruxelles (Belgique) nuance la réponse : « Il est en effet possible que l'activité volcanique sous-glaciaire en Antarctique ait aujourd'hui une influence sur le comportement de la calotte polaire, dit-il, mais il faudrait cependant que les éruptions en question soient de type cataclysmique, c’est-à-dire d'une amplitude bien plus importante encore que celle qui a donné lieu à la couche de cendres récemment découverte. L'éruption du Mont Tambora (Jakarta) en 1815 serait, par exemple, un bon candidat en termes d'intensité. Le facteur déterminant pour une fonte majeure de glace au socle, et donc pour une accélération importante de la calotte, est la quantité de chaleur dégagée lors de l'éruption. »

Denis Samyn, glaciologue spécialiste de l’Antarctique, poursuit « Ces phénomènes de fonte accrue sont difficiles à prévoir et à quantifier car il existe différents types de volcans en Antarctique, et selon leur type, ces volcans n'ont pas les mêmes caractéristiques et donc pas la même température. Ainsi le Mont Ross, malgré sa grande taille et son activité persistante, ne joue pas de rôle prépondérant dans le comportement des glaciers alentours. Mais les spécialistes s'accordent déjà sur le fait que l'activité volcanique n'est actuellement qu'un facteur mineur dans l'amincissement et l'accélération des glaciers en Antarctique de l'ouest. Le principal facteur est probablement l'augmentation de la température des eaux océaniques environnantes. »

« En 2006, 190 milliards de tonnes (Gt) de glaces sont parties dans l'océan »

La banquise du Groenland(Photo : Denis Samyn)

La banquise du Groenland
(Photo : Denis Samyn)

Les scientifiques sont inquiets de la rapidité avec laquelle fondent les glaces de l'Antarctique. Cette fonte ferait monter le niveau des océans du globe, a déclaré dimanche le Premier ministre norvégien, Jen Stoltenberg, au terme d'une visite de la station scientifique norvégienne Troll, dans l'est de l'Antarctique, à 250 km à l'intérieur des terres.. « C'est alarmant. Les sonnettes d'alarme retentissent. Le fait que les décideurs feignent d'ignorer ces signaux est irresponsable », a-t-il déclaré, ajoutant : « Nous avons besoin d'en savoir plus, plus précisément. Les scientifiques ne disent pas qu'ils savent ce qui se passe actuellement (en Antarctique) mais ils craignent (...) que la calotte glaciaire terrestre ne glisse vers la mer et ne fonde ».

Les chercheurs ont en effet observé que la perte de glaces dans la partie occidentale de l'Antarctique a augmenté, en fonction des régions, de 60 % à 140 % en seulement une décennie. Ainsi, « pour la seule année 2006, 190 milliards de tonnes (Gt) de glaces sont parties dans l'océan. La réduction de la calotte glaciaire antarctique se précipite donc à un rythme inquiétant en ce qui concerne la montée du niveau marin. Il en est de même en Arctique, ou la glace de banquise s'est trouvée réduite de 40 % en à peine 20 ans.», souligne Denis Samyn.

Activités humaines et gaz à effet de serre …

La température, le 20 janvier 2008, était de -10° à la station Troll, alors que le continent Antarctique est en plein été austral. Aux environs de Troll, où les montagnes abritent des milliers d'oiseaux, les changements  climatiques menacent la vie des espèces locales. Grand comme une fois et demie les Etats-Unis, le continent Antarctique porte suffisamment de glace pour élever le niveau des océans de près de 60 mètres si tout venait à fondre. En comparaison, si la totalité de la calotte glaciaire du Groenland fondait, le niveau des mers du globe monterait de sept mètres.

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui a partagé le prix Nobel de la paix 2007 avec l'ex-vice-président américain Al Gore, a déclaré que le niveau des mers du globe allait monter de 18 à 59 centimètres au cours du 21e siècle du fait des émissions par les activités humaines de gaz à effet de serre. Jen Stoltenberg insiste : « Les risques vont grandissant. La montée du niveau des mers pourrait menacer des villes côtières, des îles comme les Maldives et des régions basses au Bangladesh ou en Floride. »

Jean-Claude Gascard

Chercheur au CNRS, océanologue spécialiste des régions polaires.

« Si le pouvoir réflecteur de la glace disparaît, c'est un bilan radiatif complètement chamboulé pour les climats. »