Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Agriculture

Culture intensive de Jatropha : manne ou catastrophe ?

par Dominique Raizon

Article publié le 23/06/2009 Dernière mise à jour le 06/07/2009 à 09:50 TU

Jatropha curcas après 8 mois de culture en serre.(Photo : Claudine Campa/ IRD)

Jatropha curcas après 8 mois de culture en serre.
(Photo : Claudine Campa/ IRD)

La plante appelée Jatropha -décrite comme poussant sans apport d'eau, d'engrais ou de pesticides- serait capable de se développer en milieu aride. En plus de cet atout, il se trouve que ses graines accumulent de l'huile permettant de fabriquer de l'agrocarburant. Si plusieurs pays se jettent sur cette culture désignée comme «l'or vert du désert», « l'examen attentif des résultats des projets déjà avancés permet de relativiser nombre de promesses vantées par les inconditionnels de Jatropha », soulignent des chercheurs de l'IRD.

Jatropha curcas (ou Curcas curcas) ne sent pas bon et ses fleurs mäles et femelles sont peu attractives. Ce sont ses fruits et plus particulièrement ses graines riches en huile ( environ 35% de la masse) qui lui valent sa nouvelle notoriété. La plante est un arbuste originaire d’Amérique centrale ou du Sud qui peut atteindre jusqu’à 10 mètres de hauteur dans certaines conditions climatiques et peut résister aux stress hydriques comme aux fortes pluviométries.

Classée parmi les «plantes à latex», Jatropha n’est certainement pas une plante destinée à être consommée. A l'instar des autres plantes à latex, Jatropha curcas contient dans ses tiges un latex riche en composés de différentes natures dont certains peuvent être toxiques.

Claudine Campa

Chercheuse à L'IRD

« Selon la zone géographique et le climat sous lequel elle prospère, le développement de cette plante peut varier entre 3 et 10 mètres de haut

26/06/2009 par Dominique Raizon

Un arbuste de Jatropha au Sénégal.(Photo : IRD)

Un arbuste de Jatropha au Sénégal.
(Photo : IRD)

Répandue rapidement sur tous les continents et dans différents pays, dès le 19ème siècle, la plante a rapidement été utilisée pour constituer des haies vives protégeant les champs de l’invasion du bétail -du fait de son odeur peu apétente pour ce dernier et de sa toxicité fatale aux animaux- et comme tuteur par exemple pour la vanille, à Madagascar.

D’autres pays, comme le Népal, l’utilisent comme engrais vert en la laissant pousser un peu avant de l’enfouir dans le sol pour améliorer la culture du riz. Enfin, ses extraits végétaux sont utilisés pour protéger les plantes des mollusques tels que limaces et escargots.

La  complexité de la composition de cette plante toxique lui vaut d’être exploitée très différemment -selon les pays et en fonction des organes sollicités- pour ses vertus médicinales. 

Claudine Campa

« L'huile de la graine est utilisée comme purgatif ou pour soigner des maladies de peau; la décoction des feuilles, comme hémostatique ou contre la toux; l'écorce comme poison de pêche ... »

26/06/2009 par Dominique Raizon

Jatropha, qui se développe facilement sur des terres déshéritées, en milieu tropical et sub-tropical, connaît depuis peu un succès croissant. La graine -parfois appelée noix des Barbades (Barbados nut en anglais- est extrêmement riche en huile et celle-ci se révèle être un très bon agrocarburant.

Plantation paysanne de jatropha.© Cirad/ Roland Pirot

Plantation paysanne de jatropha.
© Cirad/ Roland Pirot

La découverte de ce nouvel atout séduit donc les pays en développement : « des projets de mise en culture de grande envergure ont fleuri récemment dans la bande intertropicale sur trois continents (Afrique, Asie, Amérique) », soulignent les chercheurs de l'IRD, qui précisent que : « Les Philippines, le Ghana et Madagascar envisagent d'ensemencer 15 à 20% de leurs terres cultivables en Jatropha curcas ».

Claudine Campa

« Le Cirad et plusieurs ONG ont développé des projets au Mali autour de ce biocarburant, pour donner aux villages plus d'autonomie en matière énergétique

26/06/2009 par Dominique Raizon

Toutefois, explique Claudine Campa, le manque de variabilité génétique des variétés actuellement mises en culture rend la plante vulnérable et les projets de culture intensives, téméraires. La chercheuse rappelle les déboires subis par les planteurs de caféiers d’arabica, lorsque toutes les plantations issues de quatre à six plants-mères originaires d'Arabie furent touchées par la rouille orangée.

En effet, la plante prospéra allègrement dans toutes les colonies françaises et hollandaises jusqu’au jour où sévit cette maladie cryptogamique, qui n’épargna aucun plant : les arbustes caféiers ne présentaient que peu de diversité génétique (lié à un faible brassage génétique), ne permettant pas l'émergence d'une quelconque résistance au pathogène. Il fallut alors retourner sur le sol africain pour trouver des espèces plus robustes (entre autres, le robusta) afin de relancer la caféiculture.

Claudine Campa

« La même plante porte des fleurs mâles et des fleurs femelles, lesquelles doivent être pollinisées par un insecte, ce qui limite son pouvoir germinatif. On opte donc souvent pour une reproduction par bouturage, mais cette méthode reproduit de manière conforme, sans diversité génétique. »

26/06/2009 par Dominique Raizon

Latex sur tige.(Photo : Claudine Campa/ IRD)

Latex sur tige.
(Photo : Claudine Campa/ IRD)

Pourtant, estiment les chercheurs, les pays du Nord et les pays émergents financent des projets de recherche visant à améliorer la rentabilité des cultures intensives. N'est-ce pas là mettre en quelque  sorte "la charrue avant les boeufs", pour reprendre le vieil adage? Ne serait-il pas prudent d'approfondir des études préliminaires à la fois sur l’utilité de cette plante et sur les risques associés à une culture intensive tels que : risques d'apauvrissement des sols, impact néfaste sur la biodiversité, désiquilibre des biotopes, et privation des populations indigènes des cultures vivrières nécessaires à leur survie ?

Craignant des risques de dérives, Claudine Campa, souligne l’intérêt qu’il y aurait à privilégier, par exemple, des programmes génétiques visant à étudier la diversité naturelle et les caractères adaptatifs de l'espèce et à en tirer profit avant de lancer des productions intensives dans des pays pauvres aux économies déjà fragiles et instables.

Claudine Campa

« Bien que le jatropha soit capable de coloniser des terres pauvres et peu arrosées, il lui faudra, pour obtenir de meilleures rendements, prospérer sur de meilleurs substrats et les plantations risquent alors d'avoir lieu sur les terres qui servent aux cultures vivrières

26/06/2009 par Dominique Raizon

Doit-on imaginer que pour optimiser les plantations d’« or vert », il faille développer des Jatropha génétiquement modifiés ? Peut-être …

Claudine Campa

« On voudrait que les plantations de jatropha visant à la production de biocarburant soient effectuées sur des sols qui ne servent à rien d'autre, dans des zones très salées où rien ne pousse, par exemple, ou bien sur des terres très sèches ou chargées en métaux lourds.»

26/06/2009 par Dominique Raizon

(*) Les scientifiques pensent que probablement originaire du Mexique ou du Pérou, cette plante aurait été transportée au cours du 18ème siècle par les marins portugais sur le continent africain et principalement au Cap vert où elle a été abondamment plantée pour produire du savon exporté alors en Europe. Puis elle s'est rapidement répandue sur tous les continents au 19ème siècle.

Quelques caractéristiques

En Afrique, cette plante est appelée pourghère, ou tabanani en sénégalais, ou bagani (« poison ») en bambara et Gwo Medsiyen, en Haïti.

- La multiplication se fait par semis (mais la productivité s'avère moins avantageuse) ou par bouturage.

- Chaque arbre adulte donne entre 2 et 6 kg de graines par an, généralement en deux fructifications.

- La plante peut commencer à produire au bout d’un an. Douze mois suffisent pour obtenir une plante adulte à partir de graines (ou 9 mois à partir d'une bouture).

- Peu de besoin en eau : de l'ordre de 400 à 600 millimètres de précipitations annuelles. (La plante supporte mal une précipitation supérieure à 2000 mm).

- Cinq kilos de fruits donnent 1 litre de bio-carburant. (Potentiel: entre 600 et 1800 litres d'huile à l'hectare.)

- La plante vit plus de 50 ans.

- La coque séchée des graines est combustible et peut remplacer le bois de feu = une alternative pour lutter contre la déforestation en milieu rural ?

Pour en savoir plus :

Consulter le site de l'IRD

-/ Le Jatropha, une plante miracle ?

-/ Les impacts potentiels de l'introduction de Jatropha

- Un article collectif sur le Jatropha (co-signé par Claudine Campa)