Côte d''Ivoire
Le meurtre de Jean Hélène devant la justice
Le sergent Théodore Séri Dago va devoir répondre du meurtre de Jean Hélène ce 20 janvier à Abidjan, devant un tribunal militaire, en audience criminelle. Il plaide non coupable mais l’expertise balistique l’accuse lourdement. Le procureur militaire Ange Kessi Kouamé avait annoncé le 17 décembre que «l’affaire Jean Hélène, tué le 21 octobre dernier, sera évoquée le premier jour de la session annuelle des audiences criminelles du tribunal militaire», c’est-à-dire le lundi 22 décembre. Mais, du côté des parties civiles, les avocats de Reporters sans frontières (RSF) et celui de RFI, maître Olivier Desandre-Navarre, avaient estimé que cette date rapprochée des fêtes de fin d’année était trop «précipitée pour garantir une justice sereine».
En Côte d’Ivoire, le corps de police auquel appartient le sergent Théodore Séri relève du régime militaire. C’est donc un tribunal militaire qui va le juger, en audience criminelle car le policier est, de fait, accusé de meurtre, tant par la justice militaire ivoirienne que par le parquet de Paris saisi par la famille et l’employeur (RFI) du journaliste Jean Hélène assassiné à Abidjan au soir du mardi 21 octobre 2003. Le procès aura lieu «au siège de la cour d’appel d’Abidjan, dans une juridiction de droit commun et pas dans un camp militaire», indique le procureur militaire, Ange Kessi Kouamé. La cour sera présidée par un magistrat civil, conseiller à la cour d’appel. Le jury sera en revanche composé de membres des forces de défense et de sécurité parmi lesquels deux commissaires de police, un officier de la marine nationale et un sergent. Les débats seront ouverts au public.
Au soir du mardi 21 octobre Christian Baldensperger, dit Jean Hélène, envoyé spécial permanent de RFI à Abidjan a été tué d’une balle dans la tête, à proximité des locaux de la direction générale de la police nationale, alors qu’il attendait, en vue d’interviews, la libération de militants de l’opposition appartenant au Rassemblement des républicains (RDR). La police avait alors immédiatement arrêté le sergent Théodore Séri. Ce dernier avait d’ailleurs reconnu sa responsabilité dans la mort du journaliste, tout en évoquant un coup de feu accidentel, et avait été incarcéré à la Maison d’arrêt militaire d’Abidjan. Mais par la suite le sergent Théodore Séri est revenu sur son début d’aveu initial. Il plaide désormais non coupable, en dépit des éléments balistiques accablant relevés par l’expert français désigné d’un commun accord par les juges d’instruction ivoirien et français. Acceptée comme partie civile à Paris comme à Abidjan, l’association Reporters sans frontières entend de son côté intervenir sur les «responsabilités indirectes des médias ivoiriens» qu’elle accuse d’avoir entretenu «un climat d’hostilité» contre ses confrères de la presse internationale. Accusées de «crime d’État» par une partie de la presse française, les autorités ivoiriennes manifestent pour leur part un souci de transparence et paraissent décidées à boucler rapidement ce procès, avant la visite du président Gbagbo à Paris.
Versions divergentes
Lors de la reconstitution du crime, le 18 novembre dernier, le sergent Séri ne reconnaissait même plus que les balles qui ont tué Jean Hélène proviennent de son arme. Seul le tout début du récit qu’il a mimé sur le théâtre du crime coïncide encore avec sa première version : affecté à la surveillance des abords des bureaux de la police, il aurait signalé à ses supérieurs la présence de Jean Hélène téléphonant de sa voiture non loin de là. Un «Blanc» suspect dont on ne sait pas s’il l’avait vraiment identifié. Son chef, visiblement mieux informé, lui intimant l’ordre de laisser le «journaliste» travailler tranquillement, le sergent se serait alors dirigé vers Jean Hélène, sorti de sa voiture. L’accusé ne dit pas pourquoi il s’éloigne alors de la zone qu’il est censé surveiller. Il ne dit pas non plus pourquoi il rejoint le journaliste, à plusieurs dizaine de mètres de là. Mais cette fois, sa deuxième version diverge grandement de la précédente. Le sergent n’admet plus l’homicide involontaire invoqué lors de son arrestation.
Les juges d’instruction ivoirien et français ont désigné de concert un expert en balistique français qui a été accompagné dans ses recherches par un expert ivoirien. Outre l’autopsie réalisée le 27 octobre en France, le rapport du balisticien indique que la victime a d’abord reçu un violent coup au ventre, porté apparemment par le canon de l’arme d’où est ensuite partie la balle mortelle qui lui a traversé la tête avant de se perdre aux alentours. La douille a été retrouvée. Les munitions correspondraient au fusil d’assaut Kalachnikov du sergent dans lequel manquent justement des balles de même calibre. Les trajectoires évoquent une arme portée à la hanche et un tir à bout portant. Pour le procureur militaire ivoirien Ange Kessi, il n’a jamais fait l’ombre d’un doute que Jean Hélène a été tué «de façon volontaire et pas involontairement comme l’a dit le sergent Séri Théodore» qui risque «au moins vingt ans de prison» devant le tribunal militaire. «Le procureur Ange Kessi raconte n’importe quoi», réplique l’avocat du sergent, maître Charles Kignima, qui ajoute : «voyant que la Côte d’Ivoire est attaquée dans cette affaire, il aurait dû tout faire pour que le corps de Jean Hélène reste en Côte d’Ivoire».
Maître Kignima plaide non coupable. «Mon client, ce pauvre enfant, a toujours soutenu qu’il n’avait pas tiré». Le sergent Séri a déclaré en effet lors de la reconstitution que, au moment où il «poussait» le journaliste – qui lui aurait «mal parlé» –, ce dernier aurait été tué par une balle venue d’ailleurs. Son avocat soutient par ailleurs que rien ne prouve que l’arme du crime lui appartenait effectivement. Avec cette thèse, le sergent se prive des circonstances atténuantes de l’homicide involontaire. Il est soutenu dans cette démarche par un «collectif de soutien au sergent Séri» qui dénonce dans cette affaire «une forte pression internationale sur la justice ivoirienne».
Pour sa part, le président Gbagbo s’était rendu sur les lieux du meurtre, le jour même, se déclarant consterné. De leur côté, les plus hautes autorités africaines et françaises s’étaient publiquement déclarées émues. De Niamey, au Niger, où il se trouvait en visite officielle le 22 octobre, le président Jacques Chirac avait exigé que «les enquêtes permettent très rapidement de savoir ce qui s’est passé de façon transparente et indiscutable et que les sanctions, conformément à la loi, soient appliquées de façon exemplaire». Le chef de l’État français avait également appelé «très fermement, vraiment très fermement, les autorités ivoiriennes à reprendre un peu leurs sens et d’abord à maîtriser ces foyers de la haine et de l’agressivité».
Quarante-huit heures après l’assassinat de Jean Hélène, le jeudi 23 octobre, le directeur général de police ivoirienne, Adolphe Baby, a été limogé. Le 15 novembre les autorités ivoiriennes ont également lancé une «semaine de la presse pour la réconciliation nationale et la paix» dont l’objectif affiché était de «désarmer la plume, l’esprit et le verbe». La veille, l’organisation Reporters sans frontières s’était constituée partie civile, auprès de la justice française, mais aussi ivoirienne. Dans le passé, RSF a enregistré des échecs en la matière, à Haïti ou en Sierra Leone, par exemple. Cette fois, la justice militaire ivoirienne n’a fait aucune difficulté à accepter sa constitution en partie civile, en tant qu’association de journalistes demandant que lumière soit faite sur la mort d’un confrère et dénonçant «le climat de haine et de tension entretenu par une presse partisane qui met en péril la sécurité des journalistes notamment occidentaux». «Le président Gbagbo n’a jamais explicitement condamné les appels à la haine de la presse qui lui est proche», accuse RSF.
«Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour que cette procédure, qui normalement pouvait durer deux ans, soit bouclée en deux mois, en mobilisant toutes les ressources du tribunal», assurait le procureur Kessi, à l’issue de l’instruction le 12 décembre dernier. Reste à savoir si le procès qui s’ouvre va permettre non seulement d’établir la culpabilité de l’assassin de Jean Hélène, mais surtout d’en connaître les mobiles.
Au soir du mardi 21 octobre Christian Baldensperger, dit Jean Hélène, envoyé spécial permanent de RFI à Abidjan a été tué d’une balle dans la tête, à proximité des locaux de la direction générale de la police nationale, alors qu’il attendait, en vue d’interviews, la libération de militants de l’opposition appartenant au Rassemblement des républicains (RDR). La police avait alors immédiatement arrêté le sergent Théodore Séri. Ce dernier avait d’ailleurs reconnu sa responsabilité dans la mort du journaliste, tout en évoquant un coup de feu accidentel, et avait été incarcéré à la Maison d’arrêt militaire d’Abidjan. Mais par la suite le sergent Théodore Séri est revenu sur son début d’aveu initial. Il plaide désormais non coupable, en dépit des éléments balistiques accablant relevés par l’expert français désigné d’un commun accord par les juges d’instruction ivoirien et français. Acceptée comme partie civile à Paris comme à Abidjan, l’association Reporters sans frontières entend de son côté intervenir sur les «responsabilités indirectes des médias ivoiriens» qu’elle accuse d’avoir entretenu «un climat d’hostilité» contre ses confrères de la presse internationale. Accusées de «crime d’État» par une partie de la presse française, les autorités ivoiriennes manifestent pour leur part un souci de transparence et paraissent décidées à boucler rapidement ce procès, avant la visite du président Gbagbo à Paris.
Versions divergentes
Lors de la reconstitution du crime, le 18 novembre dernier, le sergent Séri ne reconnaissait même plus que les balles qui ont tué Jean Hélène proviennent de son arme. Seul le tout début du récit qu’il a mimé sur le théâtre du crime coïncide encore avec sa première version : affecté à la surveillance des abords des bureaux de la police, il aurait signalé à ses supérieurs la présence de Jean Hélène téléphonant de sa voiture non loin de là. Un «Blanc» suspect dont on ne sait pas s’il l’avait vraiment identifié. Son chef, visiblement mieux informé, lui intimant l’ordre de laisser le «journaliste» travailler tranquillement, le sergent se serait alors dirigé vers Jean Hélène, sorti de sa voiture. L’accusé ne dit pas pourquoi il s’éloigne alors de la zone qu’il est censé surveiller. Il ne dit pas non plus pourquoi il rejoint le journaliste, à plusieurs dizaine de mètres de là. Mais cette fois, sa deuxième version diverge grandement de la précédente. Le sergent n’admet plus l’homicide involontaire invoqué lors de son arrestation.
Les juges d’instruction ivoirien et français ont désigné de concert un expert en balistique français qui a été accompagné dans ses recherches par un expert ivoirien. Outre l’autopsie réalisée le 27 octobre en France, le rapport du balisticien indique que la victime a d’abord reçu un violent coup au ventre, porté apparemment par le canon de l’arme d’où est ensuite partie la balle mortelle qui lui a traversé la tête avant de se perdre aux alentours. La douille a été retrouvée. Les munitions correspondraient au fusil d’assaut Kalachnikov du sergent dans lequel manquent justement des balles de même calibre. Les trajectoires évoquent une arme portée à la hanche et un tir à bout portant. Pour le procureur militaire ivoirien Ange Kessi, il n’a jamais fait l’ombre d’un doute que Jean Hélène a été tué «de façon volontaire et pas involontairement comme l’a dit le sergent Séri Théodore» qui risque «au moins vingt ans de prison» devant le tribunal militaire. «Le procureur Ange Kessi raconte n’importe quoi», réplique l’avocat du sergent, maître Charles Kignima, qui ajoute : «voyant que la Côte d’Ivoire est attaquée dans cette affaire, il aurait dû tout faire pour que le corps de Jean Hélène reste en Côte d’Ivoire».
Maître Kignima plaide non coupable. «Mon client, ce pauvre enfant, a toujours soutenu qu’il n’avait pas tiré». Le sergent Séri a déclaré en effet lors de la reconstitution que, au moment où il «poussait» le journaliste – qui lui aurait «mal parlé» –, ce dernier aurait été tué par une balle venue d’ailleurs. Son avocat soutient par ailleurs que rien ne prouve que l’arme du crime lui appartenait effectivement. Avec cette thèse, le sergent se prive des circonstances atténuantes de l’homicide involontaire. Il est soutenu dans cette démarche par un «collectif de soutien au sergent Séri» qui dénonce dans cette affaire «une forte pression internationale sur la justice ivoirienne».
Pour sa part, le président Gbagbo s’était rendu sur les lieux du meurtre, le jour même, se déclarant consterné. De leur côté, les plus hautes autorités africaines et françaises s’étaient publiquement déclarées émues. De Niamey, au Niger, où il se trouvait en visite officielle le 22 octobre, le président Jacques Chirac avait exigé que «les enquêtes permettent très rapidement de savoir ce qui s’est passé de façon transparente et indiscutable et que les sanctions, conformément à la loi, soient appliquées de façon exemplaire». Le chef de l’État français avait également appelé «très fermement, vraiment très fermement, les autorités ivoiriennes à reprendre un peu leurs sens et d’abord à maîtriser ces foyers de la haine et de l’agressivité».
Quarante-huit heures après l’assassinat de Jean Hélène, le jeudi 23 octobre, le directeur général de police ivoirienne, Adolphe Baby, a été limogé. Le 15 novembre les autorités ivoiriennes ont également lancé une «semaine de la presse pour la réconciliation nationale et la paix» dont l’objectif affiché était de «désarmer la plume, l’esprit et le verbe». La veille, l’organisation Reporters sans frontières s’était constituée partie civile, auprès de la justice française, mais aussi ivoirienne. Dans le passé, RSF a enregistré des échecs en la matière, à Haïti ou en Sierra Leone, par exemple. Cette fois, la justice militaire ivoirienne n’a fait aucune difficulté à accepter sa constitution en partie civile, en tant qu’association de journalistes demandant que lumière soit faite sur la mort d’un confrère et dénonçant «le climat de haine et de tension entretenu par une presse partisane qui met en péril la sécurité des journalistes notamment occidentaux». «Le président Gbagbo n’a jamais explicitement condamné les appels à la haine de la presse qui lui est proche», accuse RSF.
«Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour que cette procédure, qui normalement pouvait durer deux ans, soit bouclée en deux mois, en mobilisant toutes les ressources du tribunal», assurait le procureur Kessi, à l’issue de l’instruction le 12 décembre dernier. Reste à savoir si le procès qui s’ouvre va permettre non seulement d’établir la culpabilité de l’assassin de Jean Hélène, mais surtout d’en connaître les mobiles.
par Monique Mas
Article publié le 19/01/2004