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Autriche

Les fréquentations douteuses du Narcisse de Carinthie<br>

Jörg Haider n'est pas un cas isolé. Il fait partie d'une série de leaders qui se sont imposés à l'occasion de la fin du communisme, de part et d'autre du «rideau de fer», dans une partie de l'Europe centrale autrefois intégrée dans l'empire austro-hongrois, actuellement l'une des régions les plus riches du continent européen. En Vénétie et en Lombardie, en Suisse alémanique et en Carinthie, mais aussi en Slovénie et en Croatie, des formes nouvelles de nationalisme populiste et xénophobe se sont imposées, sur le deux versants des Alpes, parmi des peuples à la recherche d'une identité nouvelle : ils croient que la naissance de l'Europe communautaire est une menace pour leur culture et leurs traditions ancestrales. Ce qu'a su bien exploiter le carinthien Haider, à la suite de la sud-tirolienne Klotz, du lombard Bossi, du croate Tudjmann, du slovène Kucan ou du suisse alémanique Blocher.
En bon autrichien, Jörg Haider aime quitter les montagnes quelque peu austères de sa Carinthie natale pour le versant méridional des Alpes, qui s'étend sur les pentes beaucoup plus clémentes du piémont vénète, frioulan ou slovène, jusqu'aux eaux tièdes de l'Adriatique. Le leader de la droite xénophobe, ultra-nationaliste et poujadiste a compris dès la chute du 'mur de Berlin' qu'un espace régional se reconstituait, plus sur le souvenir quasi mythique d'un passé commun à l'ombre de l'aigle des Habsbourgs que sur les décombres d'une idéologie dépassée, du Sud-Tirol italien à l'Istrie croato-slovène, en passant par des capitales ou chefs-lieux prestigieux: Trente, Venise, Trieste, Klagenfurt, Ljubljana et Rijeka. Différentes personnalités de cette sous-région appelée Alpes-Adria, ont ainsi mis sur pied un réseau plutôt informel mais bien réel entre Klagenfurt, Ljubljana, Venise, Trieste, Trente, Bolzano (Bozen), au-delà des frontières traditionnelles de l'Italie, de l'Autriche, de la Slovénie et de la Croatie (en attendant la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie).


Dix ans plus tard, force est de constater que cette initiative typiquement transfrontalière n'a pas tenu toutes ces promesses. Elle a néanmoins permis la circulation d'importants capitaux qui sont à l'origine d'une richesse inégalée sur le continent, mais aussi d'idéologies marquées par des rêves micro-nationalistes et des discours démagogiques typiques de leaders naturels demeurés plus proches de leurs clochers enneigés que des grandes traditions modernistes du continent européen. Des personnalités souvent tentées de se contempler dans les eaux immaculées des lacs alpins et de céder volontiers aux regards admiratifs et aux acclamations bien arrosées des foules, avant, pendant et après la messe du dimanche.

«Un paladin de la lutte contre les pouvoirs occultes¯!»

Narcisse extrémiste et populiste, provocateur né, Haider peut ainsi descendre jusqu'à Vicence, au c£ur de la Vénétie opulente et méprisante qui ne connaît plus le chômage et doit désormais faire appel (à contre c£ur) aux immigrés de l'autre rive méditerranéenne, pour prendre un bain de soleil et crier «Vive la Padanie Libre¯!» aux côtés des chemises vertes du leader régionaliste Umberto Bossi, qui dirige la Ligue du Nord. Puis s'afficher aux côtés de son maître à penser: le maire de Trévise, Giancarlo Gentilini, lui aussi membre de la Ligue régionaliste, qui revendique des gestes aussi glorieuses que l'arrachage (devant les cameras) des bancs publics de la gare de sa ville, dans le but avoué d'empêcher les immigrés maghrébins d'y passer des nuits tranquilles et, bien entendu, d'y faire régner l'insécurité. Son anti-sémitisme? «Une invention de la gauche bolchévique et des autres oies d'Europe», dit Gentilini qui porte sur Haider «un jugement absolument positif», car il s'agirait d'un «paladin de la lutte contre les pouvoirs occultes».

Le gouverneur de Klagenfurt aime surtout prendre un café à Venise, sur la place Sant-Marc, mais le maire de la cité maritime, le philosophe Massimo Cacciari (un spécialiste de Nietzsche), ne l'aime pas et ne le fréquente guère. Quant à celui de Trieste, Riccardo Illy, le créateur de la fameuse marque de café, il limite ses contacts avec Haider au strict protocole et aux indispensables rencontres multilatérales entre les quatre régions qui ont récemment relancé l'initiative Alpes-Adria: Carinthie, Frioul, Vénétie et Slovénie. Mais il précise toutefois qu'il ne comprend pas le boycottage européen et se demande pourquoi personne n'a protesté lorsqu'il a été élu gouverneur de la Carinthie.

Toujours à Trieste, le président de la Région Frioul-Vénétie julienne, Roberto Antonione, un dentiste proche de Silvio Berlusconi, ne cache pas son admiration pour Haider, «une personne correcte, modérée, tranquille, moderne, cultivée», avec laquelle il a signé des dizaines d'accords de coopération régionale. Il va jusqu'à affirmer qu'il a entendu des propos bien plus antisémites et xénophobes dans la bouche de certains leaders politiques italiens, tels que Umberto Bossi (Ligue du Nord) et Gianfranco Fini (ex-néofasciste, actuellement président d'Alliance nationale)

Mais c'est sans doute dans le Sud-Tirol (ou Haute-Adige) que Haider compte le plus d'amis, à commencer par les «Freiheitlichen», ces «frères libéraux» qui animent à Bolzano un parti qui ressemble comme une goutte d'eau à celui du gouverneur de Klagenfurt. Son leader Pius Leitner n'a pas de doutes: «Moi j'ai peur de l'Europe, pas de Haider¯!». Quant à Eva Klotz, une dame de fer qui dirige toujours l'Union für Sud-Tirol mais aussi de nombreux schutzen impliqués dans des attentats indépendantistes dans les années soixante, elle qualifie Haider «d'excellent politicien, quoique un peu populiste», avant de préciser que dans le passé elle a été «très proche de lui, mais (qu')il parlait trop de liberté». Seul le leader des Verts sud-tiroliens, le grand alpiniste Reinhold Messner, pense qu'il s'agit d'une «personne très dangereuse», tout en ajoutant qu'il «a été élu démocratiquement et le boycottage de l'UE est une offense pour les Autrichiens».

Un populisme de nantis


Bien entendu, dans ce «premier cercle» régional tout proche de la Carinthie, Haider ne compte pas que des amis; mais il a su parfaitement profiter de la nouvelle richesse des uns et des autres, et des centaines de milliers de petites et moyennes entreprises qui ont vu le jour au nord comme au sud des Alpes, pour prôner une sorte de «populisme de nantis» - voire de parvenus - qui aime se donner en spectacle, soigner son «look» moderne, et offrir constamment un sourire à pleines dents. Surtout lorsqu'ils se retrouvent entre eux, petits ou grands entrepreneurs riches roulant en Mercedes, Porsche ou BMW. Germanophilie oblige.

Enfin, avec la Slovénie, Haider ne peut qu'entretenir des relations étroites et ambiguës à la fois. De nombreux Slovènes figurent parmi les étrangers qui se sont définitivement établis en Carinthie, en particulier à Klagenfurt. D'ailleurs peut-on les qualifier d'étrangers? Cette ville s'appelait Celovec et était majoritairement slovène jusqu'à la première guerre mondiale. Aujourd'hui encore des Slovènes se considèrent chez eux dans cette ville, souvent qualifiée de «berceau historique de la nation slovène». C'est sans doute pour cela que Haider ne peut que ressentir comme un «danger historique» la présence de ces slovènes, tout en acceptant qu'ils participent au développement de la région. Ces citoyens de deuxième classe ne rêvent que de ressembler aux autres Autrichiens et de s'éloigner encore plus des «peuples balkaniques» de l'ex-Yougoslavie qu'ils ont quittée en 1991: pour cela ils sont apparemment bien traités par le nouveau gouverneur, qui n'apprécie guère les autres peuples balkaniques, qui vivent au-delà des frontières historiques de l'empire austro-hongrois.

Le micro-nationalisme slovène

Haider a sans doute aimé aussi que la Slovénie ait décidé de se détacher du reste de la Yougoslavie, et ainsi mis le feu aux poudres dans les Balkans, en déclenchant de facto la guerre en Yougoslavie. La fin de la Yougoslavie de Tito lui a offert une chance nouvelle de s'imposer comme leader régional, voire comme modèle politique. Car, les arguments le plus souvent avancés par les leaders slovènes dans les années qui ont précédé la guerre ne sont finalement pas très éloignés de ceux qui sont utilisés vis-à-vis des «étrangers» par les sécessionnistes vénètes ou lombards (en Italie), les régionalistes zurichois de l'UDC de Christoph Blocher, ou les carinthines du parti «libéral» de Jörg Haider. «Arrêtons d'envoyer nos sous aux peuples balkaniques du sud, surtout aux Serbes, aux Monténegrins ou aux Bosniaques¯! criaient alors les dirigeants slovènes. Nous sommes partie prenante de l'Europe centrale, pas de l'Europe du Sud ou des Balkans».





par Elio  Comarin

Article publié le 08/02/2000