Immigration
La France lorgne sur les quotas allemands et italiens
Ils semblaient contraires à la tradition française. Les quotas ne sont plus aujourd'hui rejetés en bloc et pourraient figurer comme un élément de réflexion dans un débat apaisé sur la politique de l'immigration. Pour banaliser l'idée, Hubert Védrine fait désormais référence à certains pays étrangers où l'expérience est diversement ressentie.
Le ministre des Affaires étrangères n'en fait plus un tabou. Dans une émission de radio récente, Hubert Védrine précisait: "Si la thèse des quotas heurte en général la sensibilité française comme attentatoire à certains droits, je constate que beaucoup de pays dans le monde gèrent leur politique d'immigration sous forme de politique de quotas, pour s'adapter aux besoins de leur économie et à leurs capacités d'intégration dans de bonnes conditions juridiques et politiques". De fait, les quotas ont longtemps été associés à une certaine conception nord-américaine de la politique d'immigration. Instaurée dans les années vingt aux Etats-Unis, cette politique est encore appliquée de nos jours, le Bureau de l'Emigration fixant un quota annuel d'immigrants par nationalité. Celui-ci s'élève à environ 750 000permis d'entrée par an, toutes origines confondues.
Confortée dans la durée, la politique des quotas se pose désormais outre-atlantique en des termes nouveaux. Le besoin d'une main d'£uvre qualifiée relance le débat sur la nécessité de faire venir de l'étranger des travailleurs hautement spécialisés. Actuellement, l'importation de "grosses têtes" est limitée à 65 000personnes par an et les bénéficiaires se voient attribuer un visa pour une durée maximale de six ans, à l'issue desquels il leur faut tenter de décrocher la fameuse green card, le permis de travail permanent. Cette politique est contestée par un certain nombre de syndicalistes ou juristes qui plaident pour un effort de formation de la population américaine. Les entreprises y trouvent en revanche de nombreux avantages, à commencer par le moyen de limiter la hausse des salaires, la rémunération des travailleurs étrangers étant généralement de 15 à 20 % inférieure à celle de leurs collègues américains.
D'une manière plus générale, de nombreux experts remettent aujourd'hui en cause le système des quotas au nom de principes moraux - tout plafond étant arbitraire. Il renverrait à une conception archaïque de la gestion de l'immigration, l'origine de la main d'£uvre n'étant pas un critère d'emploi pour les entreprises. En pratique, cette politique contribue à créer des listes d'attente de plusieurs années et génère un système dont chacun dénonce l'opacité et l'inutile bureaucratie.
L'Italie et l'Allemagne pionnières
Ces réticences et la remise en cause du système américain n'ébranlent pas la tentation de certains pays européens de se lancer à leur tour dans une politique de quotas. Au deuxième semestre de 1998, l'Autriche, alors en charge de la présidence de l'Union, proposait à ses partenaires d'instaurer des "contingentements" d'immigrés. Sans succèsà Depuis, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, les contraintes de la nouvelle économie incitent l'Allemagne à choisir ses immigrés. En février dernier, le chancelier Gerhard Schröder a ainsi annoncé l'attribution de 30 000 visas de travail à des informaticiens indiens et originaires d'Europe centrale et orientale. Devant les cris d'orfraie d'une partie de la population, le chiffre a été revu à la baisse. Ce sont finalement 20 000 autorisations qui ont été décernées, pour cinq ans seulement et avec impossibilité d'étendre cette mesure à d'autres catégories professionnelles, bien que des milliers d'ingénieurs, entre autres, soient recherchés dans l'industrie.
La décision du chancelier allemand constitue une petite révolution et introduit une brèche dans des pratiques très figées en matière d'immigration, dans un pays où il est explicitement écrit que "un étranger né hors de l'Union européenne ne peut travailler que s'il ne prend pas la place d'un Allemand ou d'un Européen". Dictée par la nécessité - répondre à une pénurie d'informaticiens estimée à 75.000 personnes- , elle provoque les mêmes grincements de dents qu'outre-atlantique, côté syndical. A Berlin aussi, certains craignent que cette "importation" d'experts de l'étranger ne se fasse au détriment d'un véritable effort national de formation.
En accord avec les pays d'origine
En Italie, la politique d'immigration instaurée en mars 1998 introduit aussi le principe de quotas. En présentant cette législation, le Premier ministre d'alors, Romano Prodi, insistait sur une double volonté: celle de procéder à un contrôle des flux migratoires dans un pays que sa position géographique stratégique rend particulièrement vulnérable en terme d'immigration clandestine; et faciliter l'insertion d'un flux régulier d'immigrés légaux par ailleurs nécessaires à son économie. En 2000, leur nombre a été fixé à 63 000 et leur admission décidée sur la base d'accords de réciprocité avec les pays de départ. Un quota de 18 000 personnes est ainsi réservé à certains pays, parmi lesquels l'Albanie, le Maroc et la Tunisie. Pour ces immigrés réguliers, l'Italie prévoit une véritable politique d'insertion à travers la scolarité des enfants et les soins sanitaires. Pour les illégaux, le message est clair et sans appel. Il prend la forme d'un rapatriement forcé dans leur pays d'origine. La collaboration avec ces Etats représente la pierre angulaire de la politique italienne mais ne résout pas totalement le problème d'immigration clandestine auquel est confronté ce pays.
L'Allemagne et l'Italie entraîneront-elles le reste de l'Europe? En ne fermant pas la porte à une réflexion sur les quotas, Hubert Védrine admet implicitement la dimension européenne de la future politique française de l'immigration. La logique de la fin des frontières intérieures, de la libre circulation à l'intérieur de l'Union induit une coordination des politiques de l'immigration. Dans l'avenir, plus aucun Etat ne pourra décider indépendamment des autres du nombre d'immigrants à accueillir.
900 000 postes vacants en Europe
D'après plusieurs études des Nations unies et de l'OCDE, le problème se pose de manière identique dans l'Europe des Quinze. Faute d'un effort massif de formation, il y aurait 900 000 postes vacants sur le Vieux continent, et ce chiffre pourrait doubler dans les trois ans qui viennent. D'après certaines prévisions alarmistes, pour maintenir son équilibre démographique, ce sont 159 millions de travailleurs immigrés que l'Europe devrait accueillir d'ici à 2025. Des chiffres qui devraient naturellement amener les pays de l'Union à réviser la législation sur l'accueil des étrangers.
Généralisée à l'ensemble de l'Europe, une politique de quotas présenterait certes des avantages mais ne serait pas dépourvue d'ambiguïté. Elle permettrait d'admettre que l'Europe est une terre d'immigration, le transfert des décisions à l'Europe empêchant de faire dépendre trop étroitement les politiques migratoires des sentiments de l'opinion publique. Les instances communautaires évalueraient le besoin de main d'£uvre dans tel ou tel secteur. Le choix serait purement technique et limiterait la dimension affective, voire irrationnelle que revêtent souvent les débats nationaux sur l'immigration.
Pour être plus raisonnable, la dimension européenne d'une politique des quotas ne suffirait pas à relever toutes les préventions morales qui ont en Europe longtemps freiné une telle évolution: question de la formation des peuples mais aussi de la perte de leurs cerveaux par les pays en voie de développement. Le débat des quotas ne doit plus être tabou, mais il ne saurait pour autant perdre sa dimension morale.
Confortée dans la durée, la politique des quotas se pose désormais outre-atlantique en des termes nouveaux. Le besoin d'une main d'£uvre qualifiée relance le débat sur la nécessité de faire venir de l'étranger des travailleurs hautement spécialisés. Actuellement, l'importation de "grosses têtes" est limitée à 65 000personnes par an et les bénéficiaires se voient attribuer un visa pour une durée maximale de six ans, à l'issue desquels il leur faut tenter de décrocher la fameuse green card, le permis de travail permanent. Cette politique est contestée par un certain nombre de syndicalistes ou juristes qui plaident pour un effort de formation de la population américaine. Les entreprises y trouvent en revanche de nombreux avantages, à commencer par le moyen de limiter la hausse des salaires, la rémunération des travailleurs étrangers étant généralement de 15 à 20 % inférieure à celle de leurs collègues américains.
D'une manière plus générale, de nombreux experts remettent aujourd'hui en cause le système des quotas au nom de principes moraux - tout plafond étant arbitraire. Il renverrait à une conception archaïque de la gestion de l'immigration, l'origine de la main d'£uvre n'étant pas un critère d'emploi pour les entreprises. En pratique, cette politique contribue à créer des listes d'attente de plusieurs années et génère un système dont chacun dénonce l'opacité et l'inutile bureaucratie.
L'Italie et l'Allemagne pionnières
Ces réticences et la remise en cause du système américain n'ébranlent pas la tentation de certains pays européens de se lancer à leur tour dans une politique de quotas. Au deuxième semestre de 1998, l'Autriche, alors en charge de la présidence de l'Union, proposait à ses partenaires d'instaurer des "contingentements" d'immigrés. Sans succèsà Depuis, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, les contraintes de la nouvelle économie incitent l'Allemagne à choisir ses immigrés. En février dernier, le chancelier Gerhard Schröder a ainsi annoncé l'attribution de 30 000 visas de travail à des informaticiens indiens et originaires d'Europe centrale et orientale. Devant les cris d'orfraie d'une partie de la population, le chiffre a été revu à la baisse. Ce sont finalement 20 000 autorisations qui ont été décernées, pour cinq ans seulement et avec impossibilité d'étendre cette mesure à d'autres catégories professionnelles, bien que des milliers d'ingénieurs, entre autres, soient recherchés dans l'industrie.
La décision du chancelier allemand constitue une petite révolution et introduit une brèche dans des pratiques très figées en matière d'immigration, dans un pays où il est explicitement écrit que "un étranger né hors de l'Union européenne ne peut travailler que s'il ne prend pas la place d'un Allemand ou d'un Européen". Dictée par la nécessité - répondre à une pénurie d'informaticiens estimée à 75.000 personnes- , elle provoque les mêmes grincements de dents qu'outre-atlantique, côté syndical. A Berlin aussi, certains craignent que cette "importation" d'experts de l'étranger ne se fasse au détriment d'un véritable effort national de formation.
En accord avec les pays d'origine
En Italie, la politique d'immigration instaurée en mars 1998 introduit aussi le principe de quotas. En présentant cette législation, le Premier ministre d'alors, Romano Prodi, insistait sur une double volonté: celle de procéder à un contrôle des flux migratoires dans un pays que sa position géographique stratégique rend particulièrement vulnérable en terme d'immigration clandestine; et faciliter l'insertion d'un flux régulier d'immigrés légaux par ailleurs nécessaires à son économie. En 2000, leur nombre a été fixé à 63 000 et leur admission décidée sur la base d'accords de réciprocité avec les pays de départ. Un quota de 18 000 personnes est ainsi réservé à certains pays, parmi lesquels l'Albanie, le Maroc et la Tunisie. Pour ces immigrés réguliers, l'Italie prévoit une véritable politique d'insertion à travers la scolarité des enfants et les soins sanitaires. Pour les illégaux, le message est clair et sans appel. Il prend la forme d'un rapatriement forcé dans leur pays d'origine. La collaboration avec ces Etats représente la pierre angulaire de la politique italienne mais ne résout pas totalement le problème d'immigration clandestine auquel est confronté ce pays.
L'Allemagne et l'Italie entraîneront-elles le reste de l'Europe? En ne fermant pas la porte à une réflexion sur les quotas, Hubert Védrine admet implicitement la dimension européenne de la future politique française de l'immigration. La logique de la fin des frontières intérieures, de la libre circulation à l'intérieur de l'Union induit une coordination des politiques de l'immigration. Dans l'avenir, plus aucun Etat ne pourra décider indépendamment des autres du nombre d'immigrants à accueillir.
900 000 postes vacants en Europe
D'après plusieurs études des Nations unies et de l'OCDE, le problème se pose de manière identique dans l'Europe des Quinze. Faute d'un effort massif de formation, il y aurait 900 000 postes vacants sur le Vieux continent, et ce chiffre pourrait doubler dans les trois ans qui viennent. D'après certaines prévisions alarmistes, pour maintenir son équilibre démographique, ce sont 159 millions de travailleurs immigrés que l'Europe devrait accueillir d'ici à 2025. Des chiffres qui devraient naturellement amener les pays de l'Union à réviser la législation sur l'accueil des étrangers.
Généralisée à l'ensemble de l'Europe, une politique de quotas présenterait certes des avantages mais ne serait pas dépourvue d'ambiguïté. Elle permettrait d'admettre que l'Europe est une terre d'immigration, le transfert des décisions à l'Europe empêchant de faire dépendre trop étroitement les politiques migratoires des sentiments de l'opinion publique. Les instances communautaires évalueraient le besoin de main d'£uvre dans tel ou tel secteur. Le choix serait purement technique et limiterait la dimension affective, voire irrationnelle que revêtent souvent les débats nationaux sur l'immigration.
Pour être plus raisonnable, la dimension européenne d'une politique des quotas ne suffirait pas à relever toutes les préventions morales qui ont en Europe longtemps freiné une telle évolution: question de la formation des peuples mais aussi de la perte de leurs cerveaux par les pays en voie de développement. Le débat des quotas ne doit plus être tabou, mais il ne saurait pour autant perdre sa dimension morale.
par Geneviève Goetzinger
Article publié le 27/07/2000