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Serbie

Les médias indépendants<br>dans le collimateur<br>

A l'approche des élections générales du 24 septembre prochain, le régime de Belgrade accentue sa pression sur les médias. Dernier épisode d'une longue guerre d'usure : deux télévisions indépendantes, TV Cacak et TV Rosulja viennent d'être réduites au silence. Par ailleurs, selon l'agence Beta, la Commission électorale accuse les médias indépendants de propagandeà
La perspective d'une compétition électorale qui s'annonce difficile pour le pouvoir en place û les élections fédérales présidentielle et législatives du 24 septembre, qui coïncident avec les élections municipales en Serbie, û conduit les responsables politiques à des initiatives visant à intimider ou à interdire purement et simplement les médias sur lesquels ils n'exercent pas de contrôle absolu ou qui ne pratiquent pas l'autocensure. Il s'agit de réduire au silence les candidats de l'opposition pour empêcher le déroulement de toute campagne électorale équitable.

L'agence Beta rapporte que la commission électorale yougoslave a ordonné mardi 12 septembre 2000 aux médias indépendants de cesser de «faire de la propagande» en faveur de l'opposition. Plusieurs journaux de Belgrade ont ainsi été accusés par le conseil de surveillance de la Commission de diffuser «des brochures, des tracts et autre matériel électoral» en faveur des partis d'opposition. Stevan Niksic, rédacteur en chef de Nin, un des journaux visés, a rétorqué que ces accusations étaient infondées : «Le conseil aurait plutôt dû mettre en garde les journaux officiels contre leurs reportages en faveur des partis au pouvoir.» Les menaces de la Commission électorale ont suivi la parution dans la presse indépendante de publicités payées par les partis d'opposition.

Mais les actes, traduisant la nervosité croissante du pouvoir à moins de deux semaines des ces différents scrutins, avaient déjà précédé les menaces. Ainsi, selon des informations diffusées par l'organisation Reporters sans frontières (RSF), la police a saisi le 9 septembre dernier l'émetteur de TV Cacak qui couvrait la région de Gonji Milanovac, au centre de la Serbie. La rédactrice en chef de TV Cacak, Svetlana Kojanovic, voit dans cette mesure «une réaction à la retransmission par TV Cacak de la campagne de Vojislav Kostunica, principal candidat de l'opposition à l'élection fédérale présidentielle du 24 septembre prochain». Une méthode moins brutale mais bien plus pernicieuse a été utilisée pour faire taire, le 7 septembre dernier, la télévision privée TV Rosulja qui émettait de Vlasotince, au sud-est de la Serbie. La chaîne, chichement logée dans un appartement du centre-ville, a été expulsée par le comité d'urbanismeà sous prétexte que le contrat de location n'aurait pas été renouvelé ! La chaîne avait pourtant tenté de préserver un équilibre entre les candidats, invitant même au cours des derniers jours, outre Vojislav Mihailovic, candidat d'opposition appartenant au Mouvement serbe du renouveau (SPO), deux membres de la coalition au pouvoir, l'un du Parti radical serbe (SRS, ultranationaliste) et l'autre de la Gauche yougoslave (le JUL de Mira Markovic, épouse du président yougoslave Slobodan Milosevic). S'agissait-il d'une simple mesure d'intimidation, dès lors que TV Rosulja a pu reprendre ses émissions dès le lendemain depuis ses anciens locaux ? Ce ne serait pas la première fois que de telles méthodes sont employées. RSF signale par ailleurs que la police a saisi le 7 septembre 2000, à la frontière avec la République serbe de Bosnie, une cassette vidéo de la campagne présidentielle de Vojislav Kostunica.

Le pouvoir serbe n'en est pourtant pas à son coup d'essai. Par des moyens détournés, imitant en cela son rival croate, et parfois sous prétexte de privatiser les médias «afin de couper leurs liens avec l'Etat», il est parvenu en quelques années à écraser toute velléité de liberté d'expression dans les médias officiels et à menacer la survie des rares médias indépendants.

Les atteintes à la liberté de la presse ont commencé dès 1989, avec la répression des médias albanophones du Kosovo. Il y a deux ans, le plus ancien journal indépendant du pays, Nasa Borba a été interdit. Les autorités n'hésitent pas à bâillonner les médias -û ou les journalistes û jugés trop «impertinents» : depuis 1998, ce sont plus de 200 stations de radio serbes qui ont dû mettre la clé sous la porte. Les journalistes vivent sous une menace permanente qui crée un climat d'autocensure.

La Bosnie n'échappe pas non plus à cette tendance. Dramatique fut l'attentat commis en octobre 1999 à Banja Luka contre le directeur du journal indépendant Nezavisme Novine (qui y a perdu ses deux jambes), évènement perçu comme un avertissement par l'ensemble des journalistes bosniaques. Le rédacteur en chef de l'hebdomadaire Svijet de Sarajevo dénonce, dans le dernier rapport de RSF, «le climat qui règne dans les deux entités de la Bosnie, l'animosité du pouvoir envers la presse critique, l'absence de sécurité pour les journalistes, l'impunité des criminels de guerre et leur implication dans la vie politique et économique du paysà».

Mais si les médias indépendants sont dans le collimateur du régime serbe, certains journaux tentent de résister et poursuivent le combat avec des moyens souvent dérisoires comme, par exemple, l'hebdomadaire serbe Vreme. Rappelons qu'il y a juste deux ans, le parlement de Serbie avait adopté une nouvelle loi sur l'information très restrictive à l'égard des médias indépendants, interdisant notamment la rediffusion d'émissions étrangères et obligeant les patrons de presse à justifier auprès du ministère de l'Information tout ce qui concerne leurs sources de financement et les aides en provenance de l'étranger. Il est vrai que l'Etat serbe détient le monopole de l'imprimerie, de l'approvisionnement en papier et de la distribution de journaux, et qu'il use avant tout de pressions économiques pour faire plier les médias récalcitrants.




par Pierre  DELMAS

Article publié le 13/09/2000