Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Serbie

Un jeudi historique entre espoirs et dangers

Une journée de tous les espoirs, mais aussi de tous les dangers. Jeudi 5 octobre va sans doute rester dans l'histoire de la Serbie contemporaine, car cette journée marquera vraisemblablement le début de la fin du régime Milosevic. De toute la Serbie vont converger vers la capitale Belgrade des centaines de milliers d'opposants.
Des mineurs et des étudiants, des chômeurs et des intellectuels, des fonctionnaires et des paysans qui ont déjà manifesté leur colère et leur soif de changement depuis le début de la semaine, lorsque la campagne de désobéissance civile à commencé, devraient paralyser la capitale. Ce mouvement, lancé il y a quelques mois par les jeunes du mouvement « Otpor » (Résistance), a peu à peu fait tâche d'huile. Au lendemain de la victoire du candidat de l'opposition Vojislav Kostunica, le 24 septembre 2000, c'est d'abord en dehors de la capitale que la désobéissance civile s'est manifestée. Selon notre correspondant en Yougoslavie, Jean Arnault Derens, à Kragujevac, la capitale industrielle de Serbie centrale acquise de longue date déjà à l'opposition, les contestataires ont anticipé les consignes officielles et le blocage permanent des axes routiers a commencé dès lundi. Depuis mardi matin, une poignée de jeunes gens montent la garde autour des semi-remorques qui bloquent les accès à la ville. Les slogans des automobilistes immobilisés suffisent à créer la complicité : «Slobodan, sauve la Serbie : suicide-toi». Vlado et Dejan, deux étudiants trop jeunes pour avoir participé aux manifestations de l'hiver 1996-1997, sont très déterminés : «Nous aimons notre pays, nous voulons le sauver de la destruction. Nos parents ont longtemps voté pour Milosevic, et nos grands frères ont été engagés dans des guerres absurdes, avant de devoir partir tenter leur chance à l'étranger. Nous, nous voulons vivre ici. La Serbie est notre pays.» Kragujevac et sa région, la Sumadjia, sont le c£ur de la Serbie. « Si la Sumadjia se réveille, le reste de la Serbie suivra» ajoutent-ils.

La peur change de camp

De fait, le «président élu» Vojislav Kostunica, lui même originaire de Kragujevac a effectué une tournée triomphale dans la région, où il a été acclamé par près de 50 000 personnes.
Ailleurs, non seulement les fiefs de l'opposition, mais aussi des villes traditionnellement acquises au régime sont à la pointe de la contestation. «Nous avons vu nos fils partir sur le front au Kosovo, et pour quels résultats?» s'interrogent de nombreux Serbes. Ils semblent de plus en plus déterminés à ne pas quitter les barrages « jusqu'au départ de Milosevic », alors que les sympathisants de Kostunica crient leur slogan favori : « il est fini ». Même la Confédération des syndicats de Serbie - jusque là proche du pouvoir - a menacé d'appeler à la grève générale, si la vérité sur les résultats de l'élection présidentielle n'est pas rendue publique.
Mais c'est au coeur de la mine stratégique de Kolubara (au sud de Belgrade) que semble se jouer désormais le destin du pays et de son président autocrate. Les mineurs ont commencé mardi une grève qui risque de priver d'électricité des régions entières - à commencer par la banlieue de Belgrade - et ont reçu l'appui de centaines de personnes des villages voisins. Mais ils redoutent toujours l'intervention de la police de Milosevic, qui mercredi après-midi a encerclé ce haut lieu de la «révolution pacifique» en cours. Et l'opposition démocratique a aussitôt appelé les manifestants qui se trouvaient dans le centre de Belgrade à se rendre immédiatement à Kolubara pour soutenir les mineurs.

En réalité, partout dans le pays la peur est en train de changer de camp. Même chez les journalistes des médias officiels des défections sont signalées : des télévisions et radios locales ont elles aussi pris le train en marche. Elles assurent désormais une information correcte et sont devenues un instrument indispensable, au moment où cette « révolution d'octobre » de l'an 2000 ne cesse d'intriguer les pays voisins de la Serbie et met dans l'embarras diplomatique la Russie de Poutine, qui ne peut que constater que son offre de médiation n'a toujours pas reçu de réponse officielle de la part de Milosevic et de Kostunica.

Enfin, l'effet Kostunica se fait déjà sentir même au Monténégro, un petite République membre elle aussi de la Yougoslavie, mais tentée de faire sécession. Son ministre des Affaires étrangères Branko Lukovac a déclaré mercredi que son pays pourrait revenir sur sa revendication d'indépendance totale, en cas de victoire de l'opposition. Ce qui marquerait un tournant dans les Balkans, et tout particulièrement en Yougoslavie, engagée depuis une dizaine d'année dans une désagrégation progressive inaugurée par la Slovénie en 1991.




par Elio  Comarin
avec en Yougoslavie Jean-Arnault Dérens

Article publié le 04/10/2000