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Serbie

Les médias du régime enà arrêt-maladie

Un étrange virus semble sévir dans les locaux de la Radiotélévision de Serbie (RTS), relais privilégié de la propagande officielles : « la moitié des journalistes et des techniciens se sont mis en arrêt-maladie, c'est une forme de résistance, peut-être pas la plus courageuse, mais tout le monde a peur de perdre son emploi, même si les salaires des journalistes qui ne sont pas achetés par le régime sont dérisoires », explique Jasna, une présentatrice qui préfère garder l'anonymat. D'autres journalistes de la télévision d'Etat de Serbie continuent de travailler, mais en refusant d'apparaître à l'écran et de signer leurs reportages.

Certains n'hésitent pas, pourtant, à franchir le pas de la contestation ouverte. Le mouvement est parti de Novi Sad, la capitale de la Voivodine, où 150 journalistes sont en grève depuis lundi, en exigeant la démission du directeur de la RTS, Dragoljub Milanovic. La contestation a ensuite gagné la télévision de Belgrade, Radio-Belgrade et la radio culturelle 202, qui dépendent toutes du trust RTS. A la télévision de Belgrade, 70 journalistes et techniciens avaient déjà signé, mardi soir, une pétition adressée au Parlement de la République de Serbie, demandant que la télévision cesse de mentir à propos des résultats du premier tour de l'élection présidentielle du 24 septembre, qu'elle informe objectivement ses auditeurs en revenant à des principes déontologiques de base, et que la rédaction soit totalement changée. A Nis, dans le sud du pays, 20 journalistes du bureau local de la RTS ont emboîté le pas.

Les purges successives ont pourtant éliminé de la RTS les éléments les plus contesta ires. « En janvier 1993, 1300 employés de la RTS ont été licenciés du jour au lendemain, sans préavis : un matin, on ne les a pas laissé rentrer dans leur bureau », explique Dragutin Pakvic, secrétaire de l'Association indépendante des journalistes de Serbie (NUNS), et lui-même ancien de la RTS. « La RTS est un mastodonte, qui emploie plus de 4000 personnes rien qu'à Belgrade. La contestation ouverte n'a pas encore pris une telle ampleur qu'elle menace directement les émissions de la chaîne, mais même les journalistes qui étaient acquis au régime regardent ce qui se passe dans la rue, et se préparent à virer de bord ». L'Association a lancé un appel aux journalistes des médias officiels à rejoindre le mouvement, en leur répétant : « il n'est pas trop tard ».

Une situation semblable règne dans les journaux acquis au pouvoir. Milan Vlajcic travaille depuis 30 ans à la rédaction culturelle du quotidien Politika. Critique cinématographique respecté, membre de plusieurs jurys de festivals internationaux, il figure depuis des années sur les « listes noires « de la rédaction-en-chef. « Politika est le plus ancien des journaux serbes, et autrefois, c'était le plus respecté. Même à l'époque communiste, nous avons toujours réussi à conserver une liberté de ton. Il y a dix ans, Politika tirait à 250 000 exemplaires. Aujourd'hui, qui lirait ce tissu de propagande ? » 58 journalistes de Politika ont déjà signé une pétition, et parlent de se mettre en grève. Une assemblée générale a réuni mercredi après-midi les contestataires, dans une ambiance tendue. « Nous devons respecter les procédures légales et déposer un préavis », tonne Milan Vlajcic. « Notre but n'est pas de saborder notre journal ni de perdre notre emploi ». Dans la salle, beaucoup de jeunes journalistes font connaissance avec les joies et les dangers de la dissidence. Quelques anciens des médias officiels, licenciés tout au long de la dernière décennie observent le mouvement avec un il de connaisseurs. « Milosevic parlent toujours d'écraser les médias indépendants, mais aujourd'hui, c'est son propre système de propagande qui commence à se fissurer », explique une ancienne journaliste du Dnevni Telegraf, dont le directeur avait été assassiné le 11 avril 1999. « Il faut que les collègues des médias d'Etat cessent d'avoir peur ».



par A Belgrade, Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 05/10/2000