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Serbie

Bujanovac à l'heure de l'escalade

Les villages de la zone tampon au sud de la Serbie vivent à l'heure des armes, des blindés et s'attendent à l'escalade du conflit. Les escarmouches sont presque quotidiennes. La guerilla albanaise se renforce. Les forces de police et de l'armée yougoslaves sont de plus en plus présentes.
De notre correspondant dans les Balkans

Il suffit de franchir le check-point de la police serbe établi à 800 mètres du centre de Bujanovac, une bourgade misérable du sud de la Serbie, pour gagner le territoire contrôlé par l'Armée de libération de Presevo, Bujanovac et Medvedja (UCPBM), la guérilla séparatiste albanaise qui réclame le rattachement de ces trois communes au peuplement majoritairement albanais à un Kosovo qui deviendrait indépendant.

Dans le gros village de Trnovac, les combattants en treillis déambulent parmi une foule de civils venus chercher un peu d'aide humanitaire ou bénéficier d'une consultation médicale. Par contre, les villages de la montagne sont tous désespérément vides depuis les combats de l'automne

L'UCPBM a établi une première base à l'emplacement d'un ancien check-point serbe, sur la petite route asphaltée qui mène au Kosovo. La frontière, contrôlée par les guérilleros séparatistes, n'est qu'à une dizaine de kilomètres.

Le commandant Sheli dirige la première brigade de l'UCPBM. Il reconnaît volontiers avoir fait ses classes dans les rangs de l'UCK. «Nous ne nous battons que pour obtenir ce qui nous appartient. L'UCPBM n'est présente que dans des zones qui, de tout temps, ont été peuplées d'Albanais».

Dans les rangs du village fantôme, une escouade défile au pas cadencé. Les combattants, en uniformes flambant neuf, arborant des armes légères en parfait état, sont des jeunes gens de la région, mais beaucoup viennent aussi du Kosovo : Driton, 19 ans, est déjà un ancien combattant, il a une longue expérience. Il a rejoint l'UCK dès les premiers affrontements dans son village de Drenica, dans le Kosovo central. «Je préfère me battre ici que d'être au chômage dans mon village», reconnaît-il volontiers.

A défaut d'une véritable stratégie militaire, l'UCPBM a multiplié les provocations pour pousser les forces serbes à réagir, dans l'espoir de capter l'intérêt et la sympathie de l'opinion internationale. Pour l'instant, cette stratégie n'a guère été payante : les civils ont fui par milliers vers le Kosovo voisin, mais la situation politique est restée bloquée.

Le commandant Sheli se dit favorable à l'ouverture de négociations à trois, avec les autorités yougoslaves et des représentants internationaux.

Les blindés dans les rues

Les autorités de Belgrade ont également essayé d'obtenir un engagement international sur la question. Samedi dernier, le gouvernement yougoslave s'était réuni en séance exceptionnelle à Bujanovac, en demandant aux Nations Unies et aux troupes internationales de la KFOR de boucler la frontière du Kosovo, par laquelle passent les armes destinées aux combattants de l'UCPBM.

Changement de ton mardi : constatant l'incapacité de la communauté internationale à réduire la guérilla, Belgrade a annoncé que la Serbie ferait face «avec ses propres forces» à la menace séparatiste. L'Armée yougoslave et la police ont concentré des forces importantes dans le secteur. Le gouvernement yougoslave essaye pourtant d'entamer un processus de négociation avec les partis politiques albanais, notamment avec le maire albanais de la commune de Presevo, elle aussi confrontée à la guérilla, mais le président Kostunica est désormais tenté par l'épreuve de force, de crainte d'être accusé d'inaction par sa propre opinion.

A Bujanovac, des blindés sont stationnés dans toutes les rues. Pour Svetlana, une Serbe d'une cinquantaine d'années, «la terreur est la seule chose qui réunisse encore les Serbes et les Albanais. Passé le milieu de l'après-midi, les Albanais n'osent plus sortir dans la rue, et depuis quelques jours, les Serbes ont commencé, eux aussi, à fuir la région».



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 20/12/2000