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Angolagate

Noël en prison pour Jean-Christophe Mitterrand<br>

Le fils aîné de l'ancien président François Mitterrand passera Noël en prison, sa demande de mise en liberté ne pouvant être examiné avant mardi 26 décembre. Détenu à la prison parisienne de la Santé depuis le jeudi 21 décembre pour «complicité de trafic d'armes, trafic d'influence par une personne investie d'une mission de service public, recel d'abus de biens sociaux, recel d'abus de confiance et trafic d'influence aggravé», il aurait perçu 1,8 millions de dollars du marchand d'armes Pierre Falcone, dirigeant de la société Brenco. Celle-ci aurait également versé - en espèces - 3,6 millions de dollars à Paul-Loup Sulitzer, auteur de best-sellers, en échange de «conseils».
Membre de la cellule africaine de l'Elysée à partir de 1981 aux côtés de Guy Penne, Jean-Christophe Mitterrand en est devenu le numéro un à partir de 1986 et jusqu'en 1992. Après quelques mois de «chômage», il a rejoint la Compagnie Générale des Eaux (CGE) - aujourd'hui Vivendi - pour une période de quatre ans, durant laquelle il a été en charge du développement international de cette holding omniprésente en France et à l'étranger. C'est cette période qui intéresse tout particulièrement les deux juges en charge de l'affaire Falcone-Brenco International : une entreprise de vente d'armes dirigée par Pierre Falcone (détenu depuis le premier décembre 2000), ancien représentant de la Sofremi (Société française d'exportation du ministère français de l'Intérieur) en Amérique latine dans les années 80, aujourd'hui soupçonné d'avoir vendu illégalement des armes à l'Angola, en profitant des relations africaines du fils de François Mitterrand devenu son «Monsieur Afrique» de 1986 à 1992.

Jean-Christophe Mitterrand a apparemment été longuement interrogée par les juges sur le versement, en deux ans, de 1,8 million de dollars par Brenco International sur un compte numéroté de la Banque Darier, basée à Genève, et dont l'ayant droit serait le fils de l'ancien président de la République. Selon le quotidien Le Monde, celui-ci aurait expliqué, durant sa garde à vue, qu'une partie de cette somme - environ 700.000 dollars - ne provenait pas directement de Brenco International, mais avait été déposée provisoirement sur un compte détenu par Brenco, et celle-ci ne l'aurait que «restituée» en 1997 à son propriétaire. Le reste aurait été, en revanche, versé à Jean-Christophe Mitterrand en contrepartie de «prestations».

Des armes pour l'Angola

Quelle est la nature de ces prestations? Il s'agirait surtout de conseils qui auraient permis à Falcone d'effectuer des montages financiers permettant à l'Angola de Eduardo Dos Santos d'obtenir d'importants crédits - gagés sur son pétrole - et qui très probablement ont permis à ce pays en guerre contre la rébellion de l'UNITA de s'équiper en armes russes et ukrainiennes, en raison de la coopération militaire qui existe depuis 1975 entre Luanda et Moscou. Jean-Christophe Mitterrand a servi d'intermédiaire entre Falcone et le président angolais Dos Santos, mais il a nié avoir participé à des trafics d'armes.

Ce qui est sûr, c'est que deux importants contrats d'armement ont été signés entre, d'un côté, l'Etat angolais et, de l'autre, la CEI, grâce à l'entreprise de Pierre Falcone et d'un autre intermédiaire, Arcadi Gaydamak, un milliardaire d'origine russe, très lié à la présidence angolaise. Des contrats apparemment légaux et portant respectivement sur 47 et 463 millions de dollars, mais qui n'ont pas fait l'objet, semble-t-il, d'une autorisation officielle française, la Benco International de Pierre Falcone étant une entreprise basée en France. Jean-Christophe Mitterrand est-il intervenu auprès du ministre de l'Intérieur de l'époque, Charles Pasqua, ainsi que de son ami, l'ancien préfet Jean-Charles Marchiani, pour que ces contrats ne passent pas devant le Comité interministériel français ad hoc ? C'est l'une des questions que se posent les juges Isabelle Prevost-Deprez et Philippe Courroye en charge de l'affaire. Jean-Christophe Mitterrand a nié avoir joué un rôle quelconque dans ces deux contrats. «Il n'a même jamais été informé de la vente de matériels militaires par Falcone au régime angolais», a ajouté l'avocat de Jean-Christophe Mitterrand, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi.

Côté angolais, ces importants achats ont été réglés en pétrole. Le quotidien Libération s'interroge sur le rôle qu'a pu jouer dans ce contexte la compagnie française Elf-Aquitaine. Après avoir quitté ses fonctions à l'Elysée, en 1992, Jean-Christophe Mitterrand «est récupéré par Elf-Aquitaine sur ordre présidentiel, écrit le quotidien français. L'équipe de Le Floch-Prigent le place en qualité de consultant dans le Centre de recherche économie et société (CRES), qu'elle est en train de créer à Genève» , mais lui demande aussi d'effectuer quelques missions en Russie.

L'enquête, instruite par les juges Philippe Courroye et Isabelle Prévost-Desprez, est d'autant plus surprenante qu'apparaissent, outre Jean-Christophe Mitterrand, des noms aussi divers que Jean-Charles Marchiani, l'homme des missions secrètes de Charles Pasqua, Paul-Loup Sulitzer, auteur de best-sellers, et Jacques Attali, ancien conseiller spécial de François Mitterrand et intellectuel touche-à-tout. Mais les juges ont aussi découvert un chèque de 100 000 francs, en date du 7 octobre 1997, destiné, selon le Monde, à l'Association professionnelle des magistrats (APM), un syndicat classé très à droite, présidé, jusqu'en 1998, par George Fenech. Ce dernier avait dû démissionner après la publication dans la revue de l'APM de propos à caractère antisémite. Mais il avait aussi été cité, la même année, parmi un groupe de treize juristes français recrutés par Robert Bourgi, l'avocat du président du Gabon Omar Bongo, pour «aider» à l'observation d'élections présidentielles très contestées dans ce pays. Georges Fenech conteste avoir «jamais rendu le moindre service» à Pierre Falcone. Mais il reconnaît que ce dernier avait abonné sa société à la revue de l'APM, avec un abonnement de soutien de 50 000 F par an, qui représente, selon ses propres dires, environ un quart du budget du syndicat.

L'affaire Falcone-Mitterrand suscite déjà des réactions, notamment parmi ceux qui dénoncent depuis longtemps certaines dérives de la politique africaine de la France, observées depuis les années 60. Pour François-Xavier Verchave, président de l'association Survie et auteur de plusieurs ouvrages au vitriol sur les relations franco-africaines, «la nouvelle politique africaine n'a jamais été mise en £uvre». «Les réseaux sont intacts. Ils ont été renouvelés et ont désormais des connexions mondiales», ajoute-t-il. «Ce que nous dénonçons depuis longtemps continue : un système clientéliste et quasiment mafieux avec la complicité de certaines élites africaines que la France continue à soutenir», renchérit le député vert français Noël Mamère. Guy Labertit, délégué national à l'Afrique du Parti socialiste français, voit en revanche dans cette affaire la preuve de la «volonté politique du gouvernement que ces pratiques cessent». «En tous cas au niveau du Parti socialiste, le ménage est quand même fait», affirme-t-il. Avec l'arrestation de Jean-Christophe Mitterrand, c'est en tous cas une face hautement controversée de la politique africaine de la France qui est en train de ressurgir.



par Elio  Comarin

Article publié le 23/12/2000