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Congo démocratique

Kabila junior s'est doté d'un prénom

Joseph Kabila est rentré dimanche à Kinshasa après une longue tournée diplomatique en Europe et aux Etats-Unis qui lui a permis de conforter sa position tout en relançant le processus de paix en RDC comme dans toute la région.
En une semaine seulement le nouveau président congolais a su se donner un prénom. Par une longue série d'initiatives diplomatiques, menées presque à marche forcée, Joseph Kabila a d'ores et déjà fait oublier son père. La tournée qu'il vient d'achever en Europe et aux Etats-Unis montre qu'il n'y a probablement pas de filiation politique entre Laurent-Désiré et Joseph Kabila ; car celui-ci a su saisir l'opportunité créée par l'assassinat du père, pour remettre le Congo démocratique au centre des préoccupations des différents partenaires, tout en le dotant d'un leader que nul n'ose plus remettre en question après le satisfecit de Pretoria, de Paris, de Washington, de New York et de Bruxelles. Et ce quelques jours à peine après son arrivée au pouvoir et alors que la quasi totalité des observateurs habituels exprimaient des doutes sur sa capacité à diriger un pays aussi grand - et compliqué - que la RDC comme sur sa véritable filiation.

«Il faut vraiment essayer de tout faire pour augmenter la pression» de façon à ce que tous les protagonistes du conflit se retrouvent autour de la table de négociations «dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois», a déclaré dimanche le premier ministre belge Guy Verhofstadt, après avoir rencontré Joseph Kabila à Bruxelles. Quelques heures seulement après l'assassinat de Laurent Kabila, la Belgique avait pris le risque de faire vite démarrer la «machine diplomatique» ; aujourd'hui elle suggère que les Nations unies prennent «la responsabilité de lancer une initiative concrète» pour réunir tous les protagonistes du conflit, ainsi que l'élaboration d'un «pacte de stabilité pour l'Afrique centrale en général et le Congo démocratique en particulier». Et le Premier ministre belge d'ajouter: «On a l'intention d'associer tous les membres de l'Union européenne à la création, au financement et à l'élaboration de ce pacte de stabilité». Ils ne seront pas de trop, au vu des problèmes qui restent à résoudre.

Laurent Désiré Kabila a été tué par les «kadogos» qui l'avaient porté au pouvoir

Les deux principaux groupes rebelles semblent méfiants, sinon ouvertement hostiles, vis-à-vis du nouveau président congolais. Le MLC (Mront de libération du Congo, pro-ougandais) de Jean-Pierre Bemba, jusque là plutôt modéré, a fait savoir samedi que «les troupes ougandaises et rwandaises ne se retireront que dans le cadre de l'application des accords de Lusaka»; en clair, après le début d'un véritable dialogue inter-congolais. Pour l'autre front, le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie, pro-rwandais) présidé » par Adolphe Onusumba, Joseph Kabila demeure «l'obstacle majeur au processus de paix», car il «s'évertue à entretenir la contradiction, en affirmant une chose et son contraire», notamment à propos des accords de Lusaka.

Ces prises de position ne sont probablement pas partagées par les «parrains» respectifs des deux fronts rebelles (qui par ailleurs n'ont toujours pas réglé tous leurs problèmes internes) ; mais elles confirment la difficulté à concrétiser «la chance de paix» évoquée de presque tous les côtés. Visiblement l'Ouganda voudrait se retirer du nord du Congo, à condition que la frontière commune soit «sécurisée», notamment autour de la ville de Bunia. Et de toute manière Kampala peut compter sur une armée rebelle alliée qui a fait ses preuves : celle du MLC. Le Rwanda voudrait lui aussi retirer son armée, mais sa propre sécurité passe par la neutralisation des «milices hutus» présentes en RDC. De plus il ne peut que compter à moitié sur les rebelles du RCD, dont la capacité militaire semble des plus réduites: on l'a constaté une nouvelle fois début décembre, lors de la prise de la ville de Pweto, lorsque l'armée rwandaise n'a pu mobiliser que ses propres forces.

Mais les fronts rebelles, comme leurs alliés, devront désormais tenir compte d'une nouvelle donne, qu'ils n'avaient guère prévue: le nouveau président congolais n'est pas «une marionnette», mais un interlocuteur attitré de la communauté internationale, et notamment de l'ONU. L'intransigeance du MLC et du RCD pourrait se retourner contre eux mêmes, lorsque tous les «parrains» régionaux se retrouveront autour de la table des négociations. Pour l'heure, cette longue guerre qui a commencé en 1996 oblige tous les protagonistes à préparer de nouvelles armes, notamment sur le plan politique.

Mais, avant tout cela, il faudra que tous les «seigneurs de la guerre» qui prospèrent des deux côtés de la ligne de front acceptent de renoncer à leur butin quotidien. De nombreux officiers supérieurs, businessmen ou politiciens ont fait fortune grâce à une guerre qui partage l'un des pays les plus riches de la planète. Ils ont aussi fait profiter de cette manne d'autres «parrains» européens, américains ou israéliens, grâce à l'exploitation de matières premières stratégiques et rares. Il va de soi que ceux-ci n'ont nullement l'intention d'y renoncer du jour au lendemain. Et encore moins sans contrepartie.

De son côté, Joseph Kabila a certes remporté un succès inattendu sur le plan international. Mais il devra d'abord assumer une tâche difficile : faire cohabiter à Kinshasa différents groupes - sinon clans - pour la plupart originaires du Katanga, du Kivu ou du Kasaï. L'état de grâce dont il semble disposer est d'autant plus provisoire que l'on commence à connaître les véritables auteurs de l'assassinat de son père. Il s'agit de leaders «kadogos» : des jeunes combattants swahilophones, pour la plupart originaires du Kivu, qui ont été les principaux artisans de la victoire militaire de Laurent Kabila, en 1997. Selon différentes sources, c'est la «disparition» en novembre dernier de leur chef, le commandant Anselme Masasu, qui est à l'origine de celle du président congolais.

Masasu a été jugé sommairement par un Conseil de guerre de la Cour d'ordre militaire venue spécialement de Kinshasa, et exécuté le 24 novembre, avec huit autres militaires, à 25 km de la ville de Pweto, par des officiers supérieurs fidèles à Laurent Kabila, selon un militaire des forces armées congolaises fait prisonnier par les Rwandais lors de la bataille de Pweto. Moins de deux mois plus tard, Laurent Kabila était littéralement «exécuté» dans son palais par un groupe de «kadogos» qui l'avaient porté au pouvoir et qui ne lui ont pas pardonné d'avoir éliminé le colonel Masasu.



par Elio  Comarin

Article publié le 03/02/2001